Babel poubelle

Posté par traverse le 23 juin 2006

 

 Cette histoire,  j’ai tenté de te la raconter de nombreuses fois mais tu ne l’as jamais entendue jusqu’au bout.
   Tu partais, tu étais ma fille toujours en partance, pour un mois ou cinq ans, tu partais, je ne savais ou, mais je comprenais à chaque fois que c’était le père qui te faisait partir, tu étais de la génération des copains, tu le regrettais chaque jour, tu rêvais d’un père sévère et juste, aimant et doux, présent mais aveugle, tu avais raison, tu étais si jeune et moi, déjà si vieux, tu avais le monde pour toi et j’étais le dernier héritier des illusions du Romantisme, que j’ai appris a haïr de toutes mes forces par la suite.
La Guerre, la Deuxième, venait d’accoucher de la plus longue, la Froide que nous observions au télescope, les Chaudes éclataient comme un zona mondial et moi, j’entrais les yeux grands ouverts dans l’atelier des illusions, j’entrais en scène chaque matin, je rejoignais la cohorte des décervelés.
Je croyais et c’était ça, justement, qui n’aurait pas du avoir lieu. Penser était la seule issue, la mort, son passage obligé. Mais nous étions une génération de croyants, dans la justice, la paix, le bonheur, la révolution, la pilule, la libération des peuples, des femmes, des immigrés et des tsiganes ; nous croyions à la solidarité et peu à peu nos croyances ont fondu, ne sont restés que les fonds de sauce, les carrières, le cynisme, la jouissance et la putréfaction, la tristesse et la vieillesse qui vient. 
Toi, tu étais pressée, tu étais consciente que ça ne durerait pas mais tu ne pouvais pas encore le reconnaître, alors tu en profitais de toutes tes forces, tu lapais à même le bol, tu rongeais les os jusqu’à la mœlle, tu me regardais comme un enfant malade qui est dispensé de sports à l’école, avec mépris et une certaine envie.
Tu te disais que j’y avais échappé à la réalité, que j’étais passé à travers les mailles du filet, que j’avais eu le beurre et l’argent du beurre et que je rêvais encore au sourire de la crémière…
Tu te disais que ça commençait à bien faire toute cette bêtise qui était celle de ma génération qui confondait tout, batailles et histoires de batailles, qui contemplait les désastres du monde du fond de la nouvelle caverne de la communication. Comme si justement, elle avait été inventée pour que nous nous échappions toujours un peu plus, un trou où nous nous plongions tendus de frissons et de désolation, une berceuse cybernétique, une raison d’abandon…
   Je ne le savais pas encore, mais ça deviendrait l’ennemi absolu de ta génération. Une Gorgone que vous combattriez tout en lui cédant régulièrement.
   Elle vous a presque tous pétrifiés aujourd’hui.
    Je ne sais si tu as survécu, si tu peux encore même te souvenir de ce temps ou ta colère de jeune fille était magnifique, malhabile et toujours dans le regret des luttes sanglantes que tu découvrais peu a peu dans le marketing de la foi révolutionnaire. Tu apprenais la géographie en découvrant les abîmes de l’histoire, tu acceptes l’histoire aujourd’hui en raccommodant la géographie.
   La boucle est bouclée. Chacun chez soi.
   Je voulais savoir pourquoi j’allais te raconter cette histoire maintenant alors que nos vies dureraient probablement encore longtemps, je voulais savoir ce qui me poussait à écrire si régulièrement des lettres que je n’envoyais pas, des textes que je ne cherchais pas à publier, des histoires que je ne racontais à personne.
   Qu’est-ce qui m’enfermait dans l’impuissance de te nommer comme le fruit de ma génération ?      
   Je ne le savais que lorsque j’écrivais, ça m’aidait à me souvenir de la façon de me souvenir, simplement.
   Ca me permettait de ne pas oublier tous ces chemins embrouillés qui menaient jusqu’à toi, ça me soutenait dans cette entreprise quotidienne qui consistait à ne pas me distraire de l’ides de ta présence, et que ta présence peuple le monde et me distrait un peu du chagrin d’être ici.
   Tu existes et cela suffit à me transporter.
   Où ?
   Je ne sais, mais je suis un peu moins immobile grâce à toi…
   La parole du père est lentement devenue inaudible et je n’ai jamais eu le goût des copinages.
   Il ne nous restait donc que le silence et une certaine imagination.
   J’ai toujours aimé l’idée de Babel, tu le sais.
   Alors, tu as appris à communiquer, à partager, à échanger… pour ne rien dire.
   Tu as appris à faire attention, à respecter cette fausse Babel, à te renier au nom de cet Eldorado de bondieuseries…
   La Babel que nous apprenions dans des livres d’images naïves et colorées était plus subtile, plus ambiguë, plus réelle…
   Je t’apprenais à te méfier des bons sentiments qui
poussaient dans ton monde comme des champignons
sur la misère,
    Je me sens aujourd’hui comme cette tour dressée vers le mystère et le chaos…
   Ce qui devait nous unir nous a éloignés…
   J’ai cessé les adresses du père, j’ai obstrué ce qui coulait de source.

   J’écris.

 

Une Réponse à “Babel poubelle”

  1. Ola dit :

    bon blog chat sexy

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