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Les femmes de la Menara

Posté par traverse le 30 juillet 2006

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Et si la nuit n’était que le dôme étouffant du bassin planté au centre des oliviers, et si la nuit ne faisait plus la différence entre les corps qui glissent lentement dans l’eau froide, comme si elle ne voyait plus ces corps flotter avant de se dissoudre et n’entendait que le cri aigu et si bref des jeunes filles comme on entend un oiseau au loin contre le vent, comme si elle n’entendait pas ses cris glisser dans les gorges des jeunes filles oubliées sur les bords de la Ménara, comme si la nuit soufflait ses derniers feux dans les gorges palpitantes et que dans ces gorges, nous aussi, nous enfoncions nos regards, nos yeux éternellement encombrés de la nuit que nous fuyons en secret dans les avantages chauds des corps achalandés dans la lumière et le bruit de la ville et que nous avons justement destinés à accueillir nos épanchements et nos pleurs, et cette nuit dure, déroule son temps sans hésitations dans la durée qui s’est enfouie maintenant dans le râle des jeunes filles et cette nuit, toujours, s’enfonce et se goinfre de la complicité des géants, de leur oeil borgne, elle se gonfle de la vertu des sourds, elle piétine dans son étourdissement, elle évente les moindres sons de son haleine d’ivoire, et la nuit s’encombre une fois encore du cri des jeunes filles, elle les décolle lentement de leur corps et les rend définitivement à l’image de ce que nous voyons ici dans la nuit cadrée avec corps en deuil, couteaux épars et sultans fatigués, cette nuit gonflée des derniers souffles féminins qui éclairaient ce soir-là la Ménara, alors le sultan se lève, il regarde droit dans l’Atlas, les yeux dans la blancheur bleutée qui cascade au loin, il regarde les cônes blancs si proches maintenant et pense à cette jeune fille qui s’enfonce dans le drapé d’argent de ses cheveux qui flottent un court instant à la surface avant les fonds noirs de la Ménara qui s’éteint dans un désir que la puissance des meurtriers a voulu légère mais qui pèse enfin dans les yeux du sultan aux mains fortes, aux doigts agiles pour le plaisir, aux bras cerclés pour l’étouffement des femmes et de la cohorte de leurs filles, aux exigences sans pardon, toujours confiant dans l’arrogance des lames et de son sexe,  et ce sont des larmes qu’il fait naître à chaque fois du bout de son sceptre, des larmes qui ont fait lentement la Ménara, des larmes qui ont coulé jusqu’aux paupières des jeunes filles qui courent encore dans les plaines de l’Atlas sans savoir qu’elles connaîtront bientôt la Ménara et qu’elles s’en émerveilleront avant de s’en épouvanter.

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Dedans/Dehors

Posté par traverse le 22 juillet 2006

mer 021.jpg Il y a dans le son de la voix la résonance d’une caisse, une caverne dans laquelle nous sommes et que nous entendons résonner de l’intérieur, comme l’écho d’un ailleurs qui est en soi. 

Voix intérieure ou voix de l’intérieur ? 

C’est l’oreille qui fait la différence. 

Notre vie tout entière, nous voulons aller là, dans l’oreille de l’autre, peut-être pour mieux entendre ce que nous ne percevons, de nous, que confus, irradié, flottant. Là, le son du monde nous apparaîtrait plus clair, échappé à la scansion du sang qui brouille, qui englue toute écoute. 

Voix du dedans, résonante, et qui fait vibrer le corps tout encombré d’organes. Voix du dedans habité de nous, sourds en nous, tendus hors de nous. 

Cette voix court le long du sang, du souffle et de la peau, passe par les gorges, les escarpements, les barrages, les occlusions et arrive enfin dans l’oreille, dont une partie passe par la bouche. 

Voix imaginaire, voix de représentation, voix rêvée ou crainte, passée par le tambour du crâne, le bec et les papilles… 

Voix du dehors, voix que soudain nous entendons, arrêtée dans la mémoire du son, l’enregistrement, cet ailleurs que nous reconnaissons sans jamais y être allé. 

Voix d’un autre qui s’éloigne de nous dès lors qu’elle se rapproche. 

Voix du dehors, qui nous met hors de nous, à l’écart de la reconnaissance, voix de l’indisctinct qui se proclame, voix altérée par ce dehors qui emporte du dedans, voix d’expire et de silence que nous lui accordons. 

 

 

 

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Du souffle, matière de la parole

Posté par traverse le 19 juillet 2006

Dans la parole, un souffle initial, un « épos » a été livé au monde et nous nous en emparons.

Souffle de la mère livré à la pulsion amniotique, souffle du poète livré à la tribu, souffle du conteur offert au temps et à l’espace pour les récréer, souffle divin pour d’autres, livrés aux hommes à bout de souffle, souffle de la loi portés sur le corps des égarés ; toujours le souffle émonde le chemin.

C’est de ce souffle qu’il est bon de se souvenir quand le narrateur parle. Il évoque cette histoire qui n’a pas eu lieu exactement comme il la raconte, mais qu’il a vécue, il en est sûr et qu’il doit faire entendre pour en confirmer l’écho. 

Une céphéide : comme une ombre sur la rétine du sang, le souffle conduit jusqu’à nous le temps de l’antérieur. 

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…et quand il perdit la parole…

Posté par traverse le 16 juillet 2006

…et quand il perdit la parole, il sentit venir en lui une mélancolie sans limites, comme une eau envahissant les eaux, quelque chose qui ne pouvait plus sortir ni entrer, immobile entre les eaux où le sombre se mêle à l’éclatant, et c’est à cet endroit le plus déserté que la parole se tapisse et qu’il ne reste rien quand les aboiements se taisent.
         Dans ce vide il n’y avait que le souvenir déjà presque ancien d’une parole qui aidait tout simplement, il le comprit alors, à faire sortir dehors ce qui était dedans.
         Il regarda le monde absent de tout bruissement, les arbres figés, le ciel qu’on ne voit plus, le soleil déjà froid, la terre qui se rapproche et que l’on sent déjà en soi, voilà ce qu’il voyait.
         Et voyant tout cela, il voulut en dire à nouveau la beauté, ce très léger mouvement qui le ramenait à lui et lui prenait la main.
         Alors, il se palpa le ventre, il devait y avoir, ça et là, dans la graisse des paroles, quelques replis de suif où l’un et l’autre mot avait connu l’abri, la graisse, les replis, le lissé, le palpé, tout était silencieux.
         Il y avait au bout de ses doigts fouaillant le saindoux quelque chose qui manquait. Et plus il palpait son ventre réticent moins il comprenait ce qu’il lui faisait, du ventre il passa à la jambe, puis à l’autre, il se palpa le bras, le torse, la nuque, les yeux, les tempes, le front et le dessus du crâne, il n’y avait plus de mots pour lui dire ce qu’il était en train de découvrir sans même s’en rendre compte.
         La graisse avait tout absorbé, des virgules ça et là traînaillaient mais le gros de la langue avait été dissout. Son ventre était vide d’être si engraissé.
         Et cet assaut du vent, ces nuées d’incertitude, quelque chose qui n’a pas de nom, tout ce vide qui rêve tant d’être plein se mit à le remplir.

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Sans oeuvres

Posté par traverse le 11 juillet 2006

Sans œuvres, vous dis-je, sans œuvres, sans exposition ni intention, sans risque ni position, sans observation ni putréfaction, simplement sans œuvres, nu et couvert de silence, immensément visible mon silence, exposé et connu, admirable et visité comme il se doit, limpides ma communication, mon site,  grâce à la corruption des lexicons et des alphabéticons, le vertige vous dis-je, la grandeur sans hauteur, voilà mon attitude, dernier cliché de mon état, visibilité lisible de mes impostures, mais quoi, cela est-il vraiment utile, une œuvre, un travail, tout un temps passé à disparaître, une perte, un gâchis, une histoire ancienne, une occupation qui risque de me délocaliser en territoires ennemis, peut-être, ou pire, être reconnu, démasqué, moqué entre deux réunions d’élection du président de machinchose ou de réélection de trucmachin qui est presque certain de pouvoir ainsi nous représenter au symposium des jeunes auteurs, pour ou contre, je ne sais, peu importe, pour ou contre, peu importe de savoir, symposium, jeunes et auteurs, voilà ce qui nous fait valser, nous met la trique à l’air ou la culotte au flair, symposium, auteurs, jeunes, les vraies valeurs sont là ; aurais pu dire « millionnaire, voleur ou voltigeur » ai préféré « auteur », pas de risque, pas de preuve, pas d’importance non plus, suffit de dire et de pas faire entendre, sans œuvres et sans les salves on est les dieux des valves, valves des auteurs sans œuvres, vulves des œuvres qui valsent et qui se salent sur le dos des auteurs à l’œuvre des temps anciens, de mémoire gâchée, de style mal embouchés; platitudes sévères, notoires inepties suffisent à un pays gaufré de certitudes, sans œuvres, j’insiste sur le trait, je réitère, j’affirme, sans œuvres, sans soucis et sans mépris non plus, je respecte ces gens tout encombrés de choses difficiles, de paroles si nues qu’elles donnent souvent envie de les laisser s‘éteindre en SOS fébriles, paroles si vieillottes, pleunichotes et pour tout dire bigotes, paroles toutes enivrées d’elles-mêmes , paroles sourdes au cliquetis du monde, silencieuses et privées, paroles de moutarde et paroles d’asticots, paroles au fort fumet et aux chairs évasées, paroles désinvoltes, légères, sautillant dans la joie de broutiller la glauque effervescence du malheur, voilà bien des paroles que laissent ceux qui lissent leurs outils contre leur cuir à vif, je les vois, las, en pantomimes de larmes arpenter la mémoire des temps sombres de l’avenir, je suis hors de cela, des simagrées douloureuses du temps, hors des visions, des  inutiles pensées emportées au-delà des raisons, je suis auteur sans œuvre, sans chipotis, sans prétexte aux études scabreuses, heureux de cet état sans compromis ; mes soucis sont ailleurs, dans la vie, bien ici, ils touchent à ce que chacun connaît et reconnaît, maux de ventre, tête lourde, âme enfuie, ils touchent à ce que chacun souhaite et revendique au cœur d’une paresse commune, ils s’attachent  au néant des espoirs sans mesures, ils plongent dans un ici, un maintenant, une vérité simple qui est que ce qui pousse tout autour de moi devra, un jour ou l’autre connaître l’élagage, la taille, l’émondage et parfois l’incendie, oui, ces choses encombrantes, ces êtres en désordre sont  dangers et menaces, et le monde est ainsi, troublé par sa fureur, stupéfié d’arrogance, il lance ses anathèmes, ses fatwas, ses insultes sans ignorer la haine et le mépris qui s’accrochent aux mots comme des teignes hargneuses, voilà ce que vous empêchez en imitant le calme et la paix des esprits sans désirs, vous êtes sans ambages, vous passez dans le temps, vous faites le bonheur des êtres sans échos, pleins d’eux-mêmes, apaisés aux paupières glacées; et une œuvre, voyez-vous, c’est de l’inextricable à jamais, du chagrin en cascades, des secrets relancés au milieu des mêlées; une œuvre, c’est juste un excédent, du poids jeté sur l’épaule des autres…rien.

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