L’atelier des illusions (suite « Quinta »)

Posté par traverse le 22 août 2006

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Le fleuve passe, une lame enfoncée dans les collines qui s’écartent de ce miroir où elles tombent en escarpements de vignes et sentiers de misère…De la boue et des coulées de vert se répandent dans les eaux. Le Douro est rapide ce jour-là, il tente de respecter l’horaire que le paysage lui impose, le courant trouble le ciel qui laisse flotter un nuage ci et la entre les algues.La Ferme, la Quinta, est ouverte. Portes, fenêtres, terrasses, patios, tout et ouvert. Les murs prennent l’air avant la semaine d’enfermement qui va commencer. Le vent balaye la cour, le soleil décolle le bleu de la piscine qui coule entre les arbres.De l’autre côté du mur de la propriété, la gare, le réservoir d’eau toujours intact, dans l’attente de locomotives qui ne passeront plus, deux voies pour un seul quai, du temps suspendu, de la chaleur en cristal sur les azulejos des murs, des hommes et des femmes immobiles et silencieux…Seul un chien miteux semble témoigner de l’intérêt des points de vue, il court d’une voie a l’autre, renifle les sacs des voyageurs, reçoit caresses et mouvements brusques, attrape les mouches a coups de gueule bruyants, dépense son énergie sans compter, tire la langue à l’ombre qui l’invite, pisse contre la porte des guichets, aboie une dernière fois et disparaît dans les buissons d’acacias.

Le train repart, les premiers participants se regroupent, se saluent, s’embrassent, certains se demandent soudain pourquoi ils sont la, ils savent que le temps, ici, ne leur fera pas de cadeau, il les saisit déjà a pleine gorge, les crocs se resserrent d’un seul coup, anxiété, chaleur, fatigue, tristesse aussi devant ce lieu suranné qui les projette d’un seul coup dans l’enfance et dans la mort, ils se reprennent, parlent fort, cherchent l’animateur du regard, perdent tout espoir, aimeraient pleurer ou mordre, soudain, les choses se mettent en place, ils abandonnent, rendent les armes, sourient, il est la, leur faisant de grands signes, deux voitures attendent leurs bagages, chacun s’aide, des épaules se touchent, des mains se frôlent dans les coffres brûlants, une dernière respiration, on se redresse, il va falloir y aller, bientôt les chambres, la salle de travail, des souvenirs d’internat pour certains, l’angoisse revient, ils savent qu’ils sont la pour ça, où sont les toilettes ?
  

 

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tout est cerclé de pluie

Posté par traverse le 22 août 2006

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Images clichés odeurs tout est cerclé de pluie et un souffle de vent me fait souvent pencher la tête, on respire, on se livre tout entier au clapotis de l’air, de la gorge aux poumons, ça siffle, ça embrouille le souffle direct, ça se disperse autour des bronches, ça racle, ça arrache, ça passe mal mais ça vient de faire le plein, on est à nouveau bordé de bruissements légèrement humides, on renâcle, on expire le temps de se reprendre, ça continue, ce rythme qu’il faut parfois briser, laisser faire la vitesse, la peur, l’accéléré soudain de l’orchestre du sang, ça grouille de partout malgré notre désir de grammaire et de ponctuation, un souffle meurt en vain, il se nourrit de sa disparition, il fore dans le profond, là dans les caves basses, et ça gémit un peu parfois, c’est de l’or de douleur cette métamorphose du peu en feu, cette flambée de chaux qui passe sur le voile des sanies et des gémissements, ça nettoie la langue, les ratés inaudibles, les mots tombés dans la désuétude de l’âge, le craché hasardeux des anathèmes tout racornis dans la béate admiration du monde, du peu qui se dilate en feu qui ne veut que s’éteindre et contre la vitre, dehors, des brassées d’inquiétude qui sèchent dans les arbres et tombent délivrées au seuil de ma maison… 

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Comment se dire que c’est fini

Posté par traverse le 21 août 2006

Comment se dire que c’est fini que là bientôt faudra r’tourner, dans ces écoles remplies de vide, de belles paroles et d’uniformes, tiens ça revient, les p’tites jupes bleues, les pulls tout gris, les chaussettes blanches, le cœur bien propre, comment se dire que c’est fini, que là bientôt faudra ramer, pas faire de vagues, le dialogue c’est du silence autorisé,

hé, bougez-vous, les jupes bleues, gris pantalons, tenues correctes et bel ennui, bougez-vous donc, r’fusez l’ennui organisé entre la classe et la récré, un phénomène de société comme disent les profs en s’pinçant le nez très éclairé, et les parents disent oui oui oui béni oui oui, on est contents on vous les prête du p’tit matin à tard le soir et un bon prêt sans intérêts n’est pas affaire à faire ensemble, comment se dire qu’on y retourne, ça me chamboule, ça me tourne-boule, c’est pas Kaboul, pas Istanboul, c’est pas l’Irak on est patraques, faudrait pas mettre tout dans l’même sac, on vous les prête, panpan pepet, faut nous les rendre, mieux policés, bien orchestrés dans le blabla des Je m’en fous, des Rien à fiche de ce bazar même pas marrant, on vous les rend mais pas polis, pas dégrossis, pas bien finis, c’est votr’boulot, d’les dégraisser, d’les défroisser, d’les habiller dans de beaux draps, allez, au pas et avanti la musica, tralalalère, les Mousquetaires marchent pas au pas, ils sont par terre depuis longtemps, papa maman, monsieur, madame, faut pas nous prendre pour des poussins tout beaux tout peints avant d’passer au Téléthon des oisillons gentils tout bons, bien le bonjour papa, maman, monsieur madame, on apprend vite quand ça vaut l’coup, on s’y remet matin et soir quand faut connaître c’qui fait paraître intelligents, papa maman, monsieur madame, on vous regarde et on se dit qu’ça vaut pas le coup de s’tordre le cou dans le grisou des blablasblas, des faut savoir, faut s’adapter, faut s’développer pour échapper à cette misère de nos grands-mères, grands-pères, vieux rastaquouères du temps lanlaire où cette école valait la peine qu’on se démène pour y apprendre le Nord le Sud, le haut le bas, le bien le mal le chaud le froid avec des profs qui osaient dire ce qu’ils pensaient…

 

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Que voulez-vous c’est le Liban

Posté par traverse le 21 août 2006

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Que voulez-vous c’est le Liban qui est mis sur le flanc, il est pas noir il est pas blanc, c’est le Liban, c’est le Liban, Liban, Liban, c’est le lit blanc des crimes et châtiments mais ce lit blanc pas assez blanc devient si rouge et sale que je me dis que jamais plus je n’dormirai, ça non, non, non, dans de beaux draps 

C’est le Liban qui a mis trop de temps à comprendre qu’il est trop tard pour s’étonner des balles, des pleurs, des cris et des massacres, le lit tout blanc se retrouve noir quand la nuit tombe sur le Liban, 

Et rien ici, pas vous, pas moi, rien ici bas, ni là, là bien trop haut pour ceux qui croient, rien, rien rien de rien, ne me fera dire que ce turban, cette croix rouge, ce MSF ou cette église ne savaient pas que le lit blanc du beau Liban allait d’un coup, d’un seul coup de tonnerre connaître la guerre, une fois encore, une fois de trop, une foi à quoi ça sert, à quoi ça sert la foi pour en être là, dans le lit blanc tout moche et tout cassé du Liban blanc couvert de sang, de larmes et de paroles, en grec, en hébreu, en français, en allemand, en arabe, en espagnol, en anglais ou en serbe ou en n’importe quoi, en persan, en flamand, en portugais ou en chinois peut-être, en toutes ces langues du Liban si étonnant, si libre, si élégant qui en est là comme deux ronds de flan, et bien ce que je pense, les autres et moi, moi et les autres, c’est qu’on devra se lever tôt bientôt pour nous faire croire que tout est blanc dans cette histoire d’injures, de menaces et de batailles, les uns tout noirs, les autres blancs et nous tout gris d’avoir si peur d’en être aussi, d’un coup, soudain, pour un oui pour un non, pour un baptême mal placé, pour un mariage trop arrangé, des funérailles prématurées, d’en être tout raplaplats, tout dérouillés d’angoisse et de se dire que dans ce présent, cet été si étrange, si beau et si dangereux un nouveau clan va apparaître, celui des excuses, des navrés, des mais, des savais pas vraiment, des je m’en fous pourvu qui paient, des pardons le ferai plus, des choses pas belles et très habituelles vont être dites et dites redites encore jusqu’à la nuit sur le Liban, Liban pan pan, Liban maman, Liban perdant.

 

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l’atelier…suite

Posté par traverse le 13 août 2006

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2.

 

Ils viennent de partout, écoles, usines, familles, prisons, hôpitaux, centres culturels, bibliothèques, de tous ces lieux de pauvreté secrète, ils découvrent, prennent position, s’installent, parlent d’écriture, d’emblée, ils en rêvent, ne savent plus que dire, se préparent au pire qui serait de comprendre qu’ils ne pourront jamais y arriver seuls, alors se rassemblent, s’encouragent, se soutiennent, comparent la qualité des ateliers passés, rêvent de celui-ci, anticipent leurs résultats, s’inventent de lourdes préoccupations récentes, des mariages, des naissances, des enterrements, des bouleversements métaphysiques soudains, des parents morts et des maladies secrètes, se nourrissent de malheur ou d’un excès de bonheur trop exubérant, évoquent Dieu, le Diable, le sexe, le trou, le grand  trou du remords, la vie passée a des choses trop humaines, puis se reprennent, se contredisent, reconnaissent l’importance de la durée, de l’ennui dans la naissance d’une œuvre, combattent pied à pied la peur de disparaître dans l’insuffisance de leur ambition, citent leurs dernieres trouvailles, tombent au même instant dans un modeste silence, se rapprochent néanmoins du plus important qui est d’être la, d’avoir trouve et pris le temps sur le temps, de se reconnaître le droit a cette bizarre comédie d’écriture, ils redressent la tête, se découvrent un destin, une famille, du moins une tribu d’errance, certains se connaissent depuis si longtemps, ils écrivent ensemble depuis une éternité, se lisent et se commentent avec tant de complicité qu’ils en deviennent exceptionnels, ils tournent autour de la bête, ne l’approchent que rarement, crèvent de peur, ne peuvent pas en parler encore, la dynamique doit se reconstruire a chaque fois, les présentations auront lieu ce soir, sont un peu tendus, savent que le jeu qu’ils jouent n’est pas très net, affirment le jour en rêvant de la nuit, ont peur du noir et le redoutent encore plus dans la solitude qu’ils prétendent atteindre, déballent leurs petites affaires, dictionnaires, ordinateurs portables, crayons de couleurs, fiches et outils déclencheurs d’imaginaire, ont appris que ca se travaille comme le reste, mais ne savent pas toujours comment travailler le reste, échangent des revues spécialisées, des adresses de sites Internet, des souvenirs, de la peur au ventre, du désir au cœur et des banalités.
 

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L’atelier des lieux communs

Posté par traverse le 13 août 2006

 1. 

Je me suis refusé longtemps à l’écriture de ce texte. 

Je me disais, qui parle, elle, lui ou moi?

Elle, lui, écrivent dans l’atelier d’écriture. 

L’autre, celui qui anime cet écrire dans et hors atelier, c’est moi, souvent. 

Tout se passe entre elle, lui et moi. 

C’est grâce à eux principalement que ce texte existe.

Je préférais me dire qu’en écoutant ces hommes et ces femmes en train de tenter d’approcher la bête, j’en apprendrai bien plus sur cette satanée traque qu’en forant dans ma propre expérience. 

J’ai évoqué la bête, souvent.

En ce moment, elle me caresse le dos mais c’est une bête aux muscles tendus, sans pardon, dévorant vivants et morts, infidèle à la réalité, livrant ses largesses d’un coup, réanimant le monde endormi que nous transportons d’une génération à l’autre, nous arrachant à la lenteur de vivre, évidentes comme l’eau et la soif. 

Voila la bête qu’ils veulent approcher.

Nous en parlons régulièrement eux et moi.

J’aime leur rappeler qu’elle réclame sa livre de chair à chaque mot juste. 

Je frissonne en l’évoquant et ça nous donne du cœur à l’ouvrage. 

Dans l’atelier, je rencontre des personnes magnifiques, en colère, étrangères parfois à leur véritable voix, attentives au moindre détail, naviguant sur les lieux communs et soudain les perçant d’une phrase, de quelques mots nus comme le marbre, les yeux grands ouverts sur des promesses impossibles à tenir, des barrières plein la tête, mais ne connaissant plus soudain l’usage des barrières, intrépides, malicieuses et hésitantes, enfin, parce que c’est la règle ici, dans ce texte et dans l’espace qui les accueille tous, l’atelier, presque toujours bien élevées.  

J’écris ces mots, bien élevées, sans guillemets.

J’insiste sur l’absence de guillemets.

Une des manies que je méprise dans le flou de mon époque, c’est cet abus des guillemets, cette avant-garde du mensonge…Il avance toujours masqué, le mensonge et ces fichus guillemets sont un des trous d’échappement de la pensée aujourd’hui.

Pas de la communication, de la pensée tout simplement, donc du courage.  

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