…et il dit que les livres

Posté par traverse le 9 janvier 2007

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…et il dit que les livres ont un goût de cendre alors qu’il n’a pas connu le vertige des incendies, il se lamente et lance à qui veut l’entendre : «Nous ne sommes que peu de temps, un peu de temps perdu dans l’épaisseur des livres, bien sûr, il y a aussi des naissances et des morts, un peu de temps mêlé à la vitesse du sang, un peu de temps livré lentement au seul bénéfice de la durée, bien sûr l’âge alors mélange cette trop courte histoire aux volumes que nous enfonçons dans la gueule ouverte des bibliothèques…».    Ce temps vient sans hâte, il nous trouve ci et là attachés à la fabrique, à l’usine, à l’école, au chantier, il passe et nous le saluons en honorant une fois encore la fabrique, l’usine, l’école ou le chantier, lentement il est passé et nous l’apercevons dans la poussière de nos travaux et le vacarme de nos chants.    Ce qui pousse alors hors de nous, ce sont des maisons, des temples et des tombeaux, ce sont des livres aussi, comme des abris, des vestiges, des paillasses, des terriers,  des niches, des ruches colorées, ce sont encore des refuges et des remparts, des casemates, des puits ou des plaines sans fin et cela n’arrête pas de pousser comme des adventices de papier, cela n’arrête pas et les buissons progressent sur la terre désertée, ils arrachent à ce qui n’est pas visible ce qui pourra se dire dans le flocon et la matière ligneuse, ils roulent jusqu’au repos des broyeurs et des vasques humides, ils forment des nuages et des pâtes, ils se déposent enfin dans le fond des tumultes. 

   Il n’y a pas de fin à cette fête intime des palabres, pas de halte pour qui dessine ainsi nos dédales et nos phares, pas d’issue pour ceux qui veulent les détruire si ce n’est de guetter en chacun les traces du périple et de les effacer, pas de repos pour qui les reconnaît. 

   Du temps a passé et des livres demeurent. 

   « Un linceul ou une proie », dira l’homme. 

   « Un lien ou un soc », dira l’autre. 

   Et ça caracole, ça crapahute, ça roule-boule. 

   Ca soudoie la patience où se tient la grammaire. 

   Ca bonimente la syntaxe et la galanterie. 

   Ca se tord la grimace avant que de venir. 

   C’est du domaine public. 

   « Entrez, vous les accélérateurs de particules, et notez ». 

   « Sur la pâte et les flocons, sur tout ce qui vous apparaîtra utile à la séparation, sur l’ombre de ce que vous convoitez, notez ». 

   « J’ai cherché à disparaître et vous me voyez enfin, j’ai trouvé dans celui-ci ce que j’avais oublié, gamin encore et toujours, rien n’échappe à la vertu des polices,  allez va jouer dans le jardin, ça t’abîme les yeux, pourquoi s’enferme-t-il dans tant de silence, il n’est pas bon de le forcer, le plaisir est affaire de patience, etc, etc, etc… » 

   Et le fauve amical se couche aux pieds de son lecteur, il dissipe peu à peu le doute et la vertu, il gronde ou il s’endort, peu importe, il rôde au cœur des cathédrales et des bibliothèques. 

   Les livres se dévident dans l’acide des encres et des papiers cassants. 

   Tout est là, qui s’aligne, se conforte dans les presses, hésite à tomber sous le fil du hachoir, tout est là qui s’abandonne à qui dira à temps : « Ce livre me convient, et sa taille, et son poids, et sa couverture bleue ». 

   D’un œil il passe sous la paume, il franchit les derniers portillons, il renoue le cycle des objets sans avenir, il livre son dos rond ou sa masse légère à d’autres ambitions. 

   Le fauve est sauvé. 

  

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