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C’est la lecture silencieuse

Posté par traverse le 23 février 2007

C’est la lecture silencieuse qui me donne confiance dans l’avenir du monde, on y trouve, en fermant doucement les yeux, des voix indistinctes de moi enfant lisant, ânonnant les abécédaires jusqu’aux phrases les plus osées, de ma mère et de mon père me tapant sur la tête pour que les diphtongues s’intercalent au bon endroit, des autres encore, de mon institutrice que j’aimais tant et tant qu’aujourd’hui j’aimerais lui demander sa main, de mes camarades aux jambes écorchées qui prêchaient mieux que moi et que je ne croyais pas, de mes vieux voisins passés aujourd’hui dans l’ordre des poussières, du flamand qui m’étonne de prononcer si mal un mot que je trouve soudain beau, du wattman qui se penche vers moi et que je voudrais mordre pour vérifier que la bonté est une affaire de résistance et non de glissement, des nonnes qui m’apprirent le mensonge en offrant des images à ceux qui Le scrutaient, jamais images ne m’ont parues si ordurières, de ce grand-père aux moustaches de paille qui fouettait si bien les mollets nus des âmes dispersées, de ces amis qui venaient et que je voyais loin en les voulant plus proches, des sales, des écorchés, des snotebelles 1 qui m’ont toujours laisser croire que la vie était moins sombre qu’ici, des premiers noirs vivants, des bananias de hauts chefs éloignés, qui m’apprenaient le pire et le piment, des femmes d’ouvrages de l’internat honni qui nous pressaient gentilles sur leurs seins de nylon ; c’est la lecture qui me fait toujours entendre leurs voix dans le bruissement temporal de mes glossolalies, ils sont en marge maintenant du texte initial mais la ponctuation de leur souvenir sonore me lisse le poil et ravive mes babines. 

1. Mot bruxellois signifiant une tourelle de morve qui vous tombe du nez 

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Double vie

Posté par traverse le 22 février 2007

         Quelques semaines avant de mourir, mon papa me demanda de lui pardonner bien des choses que je ne m’imaginais pas être si graves ou importantes, il parlait de cet amour qu’il ressentait pour moi tel que parfois il avait l’impression de me réduire en cendres. 

         Mais mon papa exagère toujours, c’est bien connu, mon papa est un florentin et les florentins sont de sacrés lascars en matière d’exagération, il suffit de regarder leur ville et le premier venu découvre à l’instant qu’ils ne savent rien faire comme les autres, tout est ornement, splendeur, décor et sculptures à chaque détour. 

         C’est là que mon papa à commencé à penser à moi, à me porter, à me glisser chaque matin dans les plis un peu rudes de son cœur. Cela dura deux longues années. Deux années pendant lesquelles il composa ce qui allait être ma vie, les détours de mon âme et les surprises de mon esprit. Quand j’ai grandi, quelque chose en lui a diminué, il est devenu moins agile, moins drôle, il avait perdu une partie de cette élégance qui avait été la sienne au cours de ma jeunesse, comme s’il m’avait tout donné. 

         Je n’oublierai jamais ce moment où il m’a fait comprendre que j’étais libre de vivre ma vie, de courir le monde comme je le voulais, je savais que c’était difficile pour tous les parents mais pour lui, ce fut pire que tout, il pensait que j’étais un oiseau pour le chat, comme il se plaisait à le répéter, qu’on allait faire feu de tout bois avec moi, que je ne pourrais porter le regard où mon nez m’entrainerait et que le monde était peuplé de tant de faux amis que je ni verrais goutte. 

         Il a dit encore bien des choses à propos de mes qualités et de mes défauts, mais il a répété que mes qualités feraient souvent ma perte et que mes défauts feraient rire l’assemblée quelle qu’elle soit. C’était mes défauts qu’il aimait et qu’il confondait souvent avec mes qualités mais ça, c’est normal, c’est mon papa. Et il est florentin… 

         Quand mon papa est mort, il pleuvait mais il y avait tant et tant de gens à son enterrement qu’on se serait cru à un mariage princier. La pluie crépitait sur la croupe des chevaux qui tiraient le corbillard. Chacun marchait au pas, l’œil vif, presque heureux comme si l’instant n’était pas triste. Quelqu’un a dit que c’était toujours les meilleurs qui partaient mais ça, je l’avais déjà entendu à propos du charpentier qui s’était fendu le crâne en tombant du faîte de l’église qu’il réparait. 

         Non, c’était comme une joie d’accompagner un des siens vers le bonheur, je n’ai pas tout compris mais j’ai ressenti cette fierté des gens qui cheminaient à ses côtés, j’ai perçu leur attention à ne rien perdre de ce moment presque magique. Puis il y a eu le soleil et il a disparu définitivement. 

         Les mois ont passé, les années se sont bousculées et j’entends encore certains parler de lui comme d’un proche. Attention, pas que des vieux, des jeunes aussi, des enfants de mon âge, quoi. 

         Je savais que j’avais un bon papa mais je n’imaginais pas quel père il était pour tant et tant de personnes. J’étais heureux de ça, un peu jaloux aussi bien sûr, mais convaincu qu’un papa comme ça avait le cœur assez large que pour aimer tous ceux qui comme moi ne savaient pas toujours quoi dire ou faire dans un monde qui ne pose pas de questions et attend toujours des réponses… 

         Ce n’est que récemment que j’ai appris qu’il était écrivain, mon papa écrivain ! Il écrivait des histoires, des contes, des articles, il était toujours au travail, il écrivait sans cesse. Ca devait être sa double vie comme on dit. 

         Moi qui l’avais toujours connu menuisier, reniflant ses copeaux comme on hume l’air frais, profitant de n’importe quel morceau de bois perdu pour en tirer une forme, …Ecrivain ! C’est le comble ! 

         Une double vie, je vous dis et il paraît que c’est moi le menteur ? 

Pinocchio

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…ma Foire du Livre

Posté par traverse le 22 février 2007

…à Tour et Taxis Bruxelles du 28 février au 4 mars 2007

C’est toujours l’opportunité d’une rencontre mais parfois la grâce d’un livre la transforme en un moment inoubliable… 

Vous y comptiez y aller ?  J’y serai en permanence au stand de Couleur Livres Asbl (Stand N° 137) où je présenterai les deux numéros de la Revue de Récit de vie Je et la Collection que je dirige où sont déjà parus : 

L’usine de Vincent de Raeve 

La dernière fois de Jean-Claude Legros 

Parle-moi de ton absence de Saber Assal   

A l’espace Forum, le 2 mars à 20h, une rencontre « Le Récit de vie entre fiction et réalité » avec Saber Assal, Jean-Claude Legros, Vincent de Raeve, Gérard Adam, et des participants aux ateliers d’écriture de récits de cie… 

Sur le stand de 20h45 à 22h, dédicaces et rencontres avec Saber Assal, Jean-Claude Legros, Daniel Simon,… 

(Prochaine rencontre autour du Livre de Saber Assal, à Passa Porta, Maison internationale des Littératures, Rue Antoine Dansaert le 30 mars à 20h en présence de l’auteur, de responsables d’Amnesty international, de Daniel Simon, de Jean-Claude Legros et de personnes venant témoigner de la violence faite aux femmes dans l’écart Maroc-Belgique)                        

Par ailleurs, comme écrivain, je présenterai mon récent recueil de nouvelles L’échelle de Richter paru aux éditions Luce Wilquin (Stand N 116) 

Le 3 mars, sur le Stand de 17h-18h: Daniel Simon et Jean Jauniaux. Je rencontrerai le public et dédicacerai l’échelle de Richter… 

Le 3 mars à 15h au Compartiment auteurs J’animerai le débat « Et si vous nous donniez des nouvelles? » Rencontre  » avec Jean Jauniaux, Aurelia Jane Lee, Agathe Gosse

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Conte des Nuits blanches et bleues

Posté par traverse le 22 février 2007

de Anna Stelkowicz

Depuis plusieurs mois, l’équipe de Traverse asbl met en production la pièce de Anna L’édition du texte accompagné d’un DVD est programmée pour le printemps.            

La pièce « Conte des nuits blanches et bleues » de Anna Stelkowicz est une pièce rare, elle touche autant à la parole épique, qu’à la parole prophétique et au dialogue philosophique.             

Cette écriture entrecroise trois fils forts que sont le regard rétrospectif sur la Naissance d’une Nation et le prix de cette naissance, les paradoxes et les mystères que les hommes de
la Cité doivent traverser quand ils construisent la cité de leurs rêves et… le rêve de l’avenir qui s’exprime aussi sous la forme du conte. 
            

Cette pièce est aussi une rencontre entre deux personnages assis sur un banc, évoquant la douleur et la joie d’être en route vers le meilleur de l’homme, sa capacité à régler le fait de vivre ensemble en paix même si la paix est l’aube la plus difficile à contempler…                

Cette pièce est un conte…qui paraîtra en mars 2007 aux éditions Traverse (« Les feuillets de corde ») accompagnée d’un DVD ( la lecture polyphonique du texte par les acteurs, un entretien avec l’auteur et un entretien avec le metteur en scène et en ondes, Daniel Simon) 

Prix public : 15 euros (prix en souscription : 10 euros TTC à virer au compte 068-2144376-24 de Traverse asbl.). 

 Vous trouverez le livre à sa « première  » sortie publique à l’occasion de la 21ème Journée du Livre et des Arts organisée par la Fédération WIZO – Belgique – Luxembourg

Patronnée par les plus hautes instances politiques du pays

le 11 mars de 14 à 18H – HOTEL HILTON  - 

38, Bd de Waterloo à 1000 Bruxelles (entrée libre)

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JE La revue des récits de vie

Posté par traverse le 19 février 2007

Une nouvelle revue dans le paysage éditorial belge :


JE, La revue des récits de vie


dirigée par
Daniel Simon

Vous venez de partout…
Des écoles, des usines, des bureaux, des bibliothèques, des lieux de vie qui sont les vôtres, vous en rêvez, vous voulez passer à l’acte, vous vous dites “pourquoi pas moi ?”. Alors, un jour, ça y est, vous vous décidez, vous vous éloignez un temps du monde et des rumeurs, vous hésitez, la page est blanche, trop blanche, l’écran de l’ordinateur tellement volatile, vous vous cramponnez pour ne pas vous enfuir, vous vous dites que ce que vous deviez absolument faire pourra encore attendre, vous jetez les premiers mots, c’est étrange, tout de suite quelque chose se passe, ailleurs, là où vous ne comptiez pas aller, des phrases se mettent en place, un texte se dessine, ça y est, la machine est lancée, vous écrivez…

JE La Revue des Récits de Vie publie textes et réflexions, annonce des manifestations ou des créations autour du Récit de vie, des écritures du moi, de l’intime.
La Revue JE est le résultat d’un constat et d’un pari. Si chacun aujourd’hui veut écrire (ateliers d’écriture, blogs sur Internet,…), c’est aussi pour résister à un “nous” décervelant. Le je redevient une façon de s’opposer au lissage des fausses émotions. Et c’est, pour nous, un pari que de relier ces écrits, de les mettre en réseau, de les questionner, d’en faire une matière de débat public.
La Revue JE paraît quatre fois l’an. En alternance, deux numéros seront essentiellement consacrés à la réflexion, à l’analyse et aux enjeux, deux autres numéros donneront priorité aux textes et récits de vie.
JE se déclinera enfin sur d’autres lieux : un site où l’information à propos du Récit de vie sera à la disposition de chacun, où les lecteurs pourront réagir, et une collection de livres de récits de vie, de témoignages, d’expériences à transmettre…

JE La Revue des Récits de Vie
Trimestriel (paraît 4x l’an)
Directeurs : Pierre Bertrand et Daniel Simon
Rédacteur en chef : Daniel Simon

Adresses
• Edition et abonnements : Couleur livres, 4 rue Lebeau, B – 6000 Charleroi
couleurlivres@skynet.be, tél : 0032 (0)71 32 63 22
Rédaction :
daniel.simon@skynet.be, tél : 0032 (0)2 216 15 10

Abonnement 2006 (Quatre numéros)
Belgique : abonnement de soutien et institutions : 60 euros ; normal : 45 euros ;
sans emploi et – de 25 ans : 35 euros
Étranger : U.E. : 70 euros ; autres pays : tarif sur demande
Vente au numéro : 14 euros

Avec la collaboration de Traverse asbl

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Elle porte ses seins

Posté par traverse le 19 février 2007

 Elle porte ses seins comme une chronique du bonheur. C’est en apnée qu’elle exhibe sa poitrine tatouée de tissus.

Ce sont des fougères ondulant sous la brise,  des senteurs de gingembre et des parfums sonores qu’elle offre aux aveugles et aux hommes perdus. Ses seins abondent et la précèdent comme des sanctuaires en maraude où chacun veut presser ses ampoules de lait.

C’est un Stabat Mater de talc et de clapotis sucrés. Une histoire sans fin aux aurores pointues où des mouettes viennent pondre. C’est un bouillonnement de vagues, une conversation avec des hôtes de taffetas, un commencement et une confusion.

Des mains se sont levées, ont offert leurs empreintes aux couronnes grenelées en les signant d’un baiser sans témoins. 

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D’un pas léger

Posté par traverse le 13 février 2007

dunpas.jpg

Poèmes 

A paraître aux éditions Le Taillis Pré en mars 2007 

68 pages, 10 euros (Expire, Inspire, Les gorges nouées, Lisbonne dernière étape

D’un pas léger, nous allons vers ce qui nous semble périlleux et utile, d’un pas léger nous allons vers cet endroit des limites que certains nomment l’évidence et la nécessité, d’un pas léger, nous allons vers un temps dilaté dans lequel nous disparaissons. Quatre étapes dans ce périple. Les deux premières (Expire, Inspire) appartiennent à Brancusi, le Sculpteur roumain  qui accomplit en 1904 une longue marche de
la Transylvanie à Paris où il offrira la sculpture moderne à notre ébahissement. C’est de cette marche revisitée que le poème s’inspire pour en scander le rythme et l’étonnement. L’Atlantique, au bout du chemin de l’Ouest apparaît avec les Gorges nouées, troisième étape avant la grande dissolution. Et enfin, Lisbonne, aujourd’hui, à la couture atlantique, où l’Occident tremble dans son poing liquide. Ces poèmes sont de l’ordre d’une commémoration, celle du voyage, de la durée et de notre joie d’être au monde.
 

Daniel Simon emploie la majeure partie de son temps à diverses tâches d’éducation et de formation dans les domaines de l’écriture et de la parole. Metteur en scène, éditeur, il publie du théâtre, des nouvelles, des articles, des essais divers et achève un premier roman. Il anime l’association Traverse (www.traverse.be) qui croise textes, images et vidéo. Il livre régulièrement de courts récits sur son blog littéraire (Je suis un lieu commun, http://traverse.unblog.fr). Vit et travaille entre Bruxelles et Lisbonne.  

 

 

 

Sous le signe du pélerin
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 150

Avec D’un pas léger de Daniel Simon, nous pourrions nous mettre sur les traces d’un pèlerin, d’un cheminant qui sait son peu de poids – et sa charge de doutes –, d’un marcheur qui, en taillant sa route, n’ignore en rien qu’il va égarer son passé à mesure qu’il va découvrir son présent et ne s’illusionne sur aucune valeur, y compris la sienne propre : « Parler doucement comme pour rien, pour s’éloigner de ce dégoût de soi que le voyage allume. / Parler en somme pour s’effacer ». Mais il s’agit surtout de « parler doucement » pour continuer à être et parce que la parole va servir à manifester (pour ne pas dire justifier) cette existence que rien n’interrompt et qui se poursuit dans le « vivre par inadvertance et aller les yeux clairs dans des embuscades de vocabulaire ». Comme le vocabulaire, la marche, le voyage en train ou le seul jeu des pensées à part soi tendent des embuscades, des pièges qu’il faut contourner pour continuer ; c’est le moment, sans doute, où s’affirme cette parole effaçante, celle qui s’aperçoit qu’il est inutile de conserver un écho passé lorsqu’il s’agirait d’afficher un présent ou, mieux encore, de recomposer un projet. Puisque « la débâcle du temps s’embourbe dans une durée perdue », il faut aller « convaincu d’espace, de vide et de silence », « marcher d’un soleil à l’autre, réinventer chaque jour le sens de la marche ». Quelles que soient les ambitions de chacun, Daniel Simon les amène, « dans l’agonie permanente des formes », à hauteur de souffle, les dit dans un style qui bat au rythme du coeur, ou s’accorde à la mécanique des corps, sachant ceux « qui renoncent à leur part » et ceux « qui apprennent lentement le temps de la durée ». Aucun jugement ici, mais la possibilité d’entrer « sans le savoir […] dans le bonheur ». Daniel Simon témoigne magnifiquement de ce refus d’une défaite qui ne mènerait qu’à des regrets et de ce « frisson du bien commun » qui irrigue le « plus beau poème ».

(…)

 

 

 

Le Taillis Pré                  Commande aux particuliers                                 
Yves Namur                         au siège de l’édition ou en librairie.
Rue de la Plaine, 23           Compte ING : 360-0434166-97
6200 Châtelineau           ( pour l’étranger : par virement international)
fax : 00 32 71 391415     BELGIQUE 

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L’auberge espagnole…

Posté par traverse le 13 février 2007

L’auberge espagnole… des écrits

en cours…à la Maison du Livre

De nombreuses personnes fréquentant des ateliers d’écriture ou écrivant en solitaires expriment depuis longtemps le désir d’être accompagnées dans leur travail d’écriture.

Le projet n’est pas d’animer un atelier pour aider à l’émergence de textes mais bien de renforcer et d’interroger le processus en cours.

Cet accompagnement de manuscrits et/ou de travaux en cours est complexe (les manuscrits sont déjà en cours) et simple (des questions communes et récurrentes se posent)…

Les auteurs ressentent le besoin de poursuivre cette réflexion ou ce travail dans une relation plus individuelle avec l’animateur qui devient ici lecteur accompagnateur. Des séances collectives permettent de mettre à jour et de commenter les difficultés de chacun quand elles résonnent pour tous…

Un suivi individuel pourra se faire «à la carte», en fonction des besoins de chacun. Une seule condition : témoigner d’un travail en cours.

Dates : Les mardis 27/2, 20/3 et 22/5 de 18h à 21h
Les mardis 13/3, 24/4 et 8/5 de 10h à 17h
Prix : 180 euros non remboursables + 20 euros supplémentaires pour le suivi individuel (facultatif).
Si vous êtes intéressé(e), faites-vous connaître et livrez vos suggestions, vos questionnements, vos demandes par mail à daniel.simon@skynet.be 

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Le temps vidéo

Posté par traverse le 11 février 2007

          Les accélérés de sa vidéo, voilà ce qu’il lui reste du goût ancien de l’aventure. Depuis longtemps déjà, il a renoncé aux accidents du jour. 

         Il distingue le passé du présent à la qualité du « direct » et des retransmissions.  Le défilement des images ouvre en lui un passage étroit entre sa vie et le rêve de sa vie qui appartient désormais à l’ordre du montage. 

         Il reste assis des heures entières, comme un mendiant, au pied de son écran, le bras tendu, la télécommande à la main.  Que faire de l’autre main ? 

         Par la fenêtre donnant sur les toits, il n’aperçoit déjà plus que la lune légèrement saturée de rose.  La nuit est tombée sans bruit et il a perdu le goût de sa lente progression qui le tenait éveillé, il y a quelques années encore, une éternité aujourd’hui. Il ne se fie plus aux indications de programme du journal, aux horaires, aux cycles annoncés.  Il a oublié depuis longtemps les rigueurs de l’attente et les affres des retards. Il flotte et plonge, de temps à autres, dans le liquide amniotique des images. Il n’appartient plus au monde, il se fond en lui, volubile ou muet. 

         «Peu importe que je n’attende plus aucune promesse, que j’aie perdu l’habitude des réponses.  Les questions sont les servantes de l’inconfort. » Et d’une légère pression du pouce sur le velours caoutchouté du zappeur, il passe à une autre émotion, il glisse vers le mirage de nouveaux sentiments. 

         Le lendemain, café recuit, vite avalé, il plonge dans le flou du monde matinal. 

         C’est la pluie, ou un brouillard persistant, c’est sûr…Ou un vol de cigognes, comme ces crétins de l’Hôtel du Peuple m’ont répondu à Varsovie…Les cigognes…Il oublie de vérifier, les rideaux sont tirés, il règle le téléviseur. 

         La journée traîne d’une inquiétude à l’autre. Un épisode manqué il y a quelques jours lui a fait rater les beautés secrètes de la nature africaine.  Il est convaincu que ce trou accidentel de cinquante minutes suffira à le disqualifier. Un épisode manque et le temps est rompu. Il note mentalement qu’il devra rattraper ce retard. «Ils reprogramment toujours tout » pense-t-il en souriant, et cette idée le rassérène à l’instant. Les émotions sont la mine d’or du décervelage démocratique, annonce-t-il à qui veut encore l’écouter. Il faut les refroidir, les réfrigérer, les anesthésier en les usant par la répétition. Et de cela, les programmateurs sont conscients comme de leurs vices les plus secrets : mêler les caprices émotionnels aux réalités les plus simples, voilà une belle façon de lisser le temps, le monde et la souffrance des hommes. 

         Elle téléphone vers 17 heures.  Elle est libre ce soir, revient d’un voyage lointain.  Ca fait si longtemps déjà qu’ils ne se sont pas vus.  Une pensée furtive pour son corps frais. Il cherche un qualificatif mais rien ne vient si ce n’est l’image de la speakerine.  Il raccroche en s’excusant d’être trop occupé ces jours-ci.  Un voyage à préparer, lui aussi.  Oui, l’Afrique, plus tard certainement, il est désolé. 

         Téléphone encore, c’est une erreur, elle le met de mauvaise humeur. Il se décide à débrancher le combiné. Bien lui en coûte, il a oublié de programmer les enregistrements de la journée. Il plonge vers l’écran : tout est normal, les images défilent.  L’Afrique encore. Une émission consacrée au génocide des gorilles ou des pygmées, il ne sait plus vraiment, mais c’est l’émotion qui domine…Profonde, ancrée dans sa colère ancienne, une belle émotion, vraiment, il faudra qu’il s’en souvienne… 

         L’Afrique soudain lui donne faim, il hésite, le frigo est loin. Autre chaîne, patins à glace, bon. Les championnats reprennent, mauvais présage. Il connaît la période exacte de toutes les  compétitions, olympiques, tours cyclistes ou matches importants et imagine les millions de regards attentifs tournés vers le petit écran.La connivence de cette foule l’indispose, l’inquiète même. Il préfère la solitude des émissions nocturnes, la valse lente des reprises, les sagas interminables.  Il sait que ces spectacles n’offrent aucune occasion de suspense. La machine tourne pour tourner, spectateurs compris. Les donnes sont claires. C’est encore ce qu’il préfère, cette interminable répétition sans accroc. 

         Il a la conscience nette des ratés du monde. « Il suffirait, murmure-t-il en mâchant son sandwich du soir, qu’ils visionnent tout comme moi.  Les pannes leur apparaîtraient bien plus visibles, évidentes même …Mais ils n’ont pas encore accédé à la clairvoyance qui est le propre des témoins muets »… 

         Il est aux toilettes, il prend son temps, les informations sont moins passionnantes que les fictions d’hier, et il tire la chasse d’eau en tendant l’oreille vers les commentaires sans invention. Il pense encore : « A quoi sert de filmer de nouvelles catastrophes, à quoi sert le cadrage toujours plus serré du massacre ?  Les images d’hier suffiraient. » Il comprenait l’infini possible du futur en instance de montage. 

         Il a souvent hésité à leur écrire, aux programmateurs, aux serviteurs de l’infini, à leur expliquer comment alterner les rétrospectives et les histoires les plus plates en glissant ça et là quelques éclats bien cadrés de la putréfaction cathodique.  Mais autant demander à un bègue de se taire ! 

         La nuit se déplie maintenant comme un chat sur le radiateur, sans indication autre que le générique sous-titré du film du ciné-club. Il s’en contente même s’il l’a déjà vu trois fois. Tant que l’image coule, la vie continue. 

         Il s’installe confortablement dans le canapé orthopédique, le programme l’emporte doucement, il est heureux. 

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