Ils ont osé !

Posté par traverse le 21 avril 2008

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Aux Donneurs, 

Pour Jean-Pierre Girard et Jack Keguenne,

Aux Donneurs, 

Pour Jean-Pierre Girard et Jack Keguenne, 

 

 

 

  

Rien n’est plus énigmatique que de rencontrer quelqu’un d’emblée dans ce qu’il a de très intime. L’amitié, l’amour, la nuit, les situations extrêmes le permettent. Mais même dans ces situations, le dévoilement est difficile : souvent trop impudique, un tantinet hystérique ou franchement ennuyeux et lourd comme une confession mal fagotée. La vie des gens, la mienne, la vôtre, n’ont rien d’exceptionnel. Un  petit tour, quelques étapes, terminus. Tout le monde sait cela, c’est pourquoi les médias font tant de gros plans sur les larmes qui coulent, les mentons qui tombent, les mains qui se crispent, les voix qui tremblent: la joie, la douleur, les souvenirs des personnes agrippées à leur micro et que la caméra traque en quête d’un dérapage en direct. C’est une des versions de l’obscène aujourd’hui et chaque continent a ses animateurs patentés dans ce genre de déballage pathétique. 

Parler n’est pas une entreprise facile et s’adresser à quelqu’un d’inconnu, même affublé d’une fonction d’écrivain et de médiateur d’écriture, ne va pas de soi. J’en fais l’expérience depuis plus de vingt-cinq ans lors de rencontres et ateliers divers à propos de l’écriture et du grand écart entre sincérité et vérité. 

Dans ce Foyer d’écriture publique ouvert à la Foire du Livre de Bruxelles (mars 2008), les Donneurs québécois, avec la complicité de belges et de français, ont accueilli sous la tente (un stand ouvert au passage public et régulièrement annoncé par le troubadour complice) des visiteurs, des passants qui soudain se sont arrêtés, ont franchi le seuil et se sont adressés à l’une ou à l’un d’entre nous. 

« Je vous en prie, asseyez-vous, comment vous appelez-vous ? ». La phrase est simple, un signe d’accueil et la relation se met en mouvement. Des jeunes filles, des jeunes hommes, des couples en attente de naissance, des passionnés de foot ou de bricolage, une libraire de Montréal ( !) m’ont demandé d’écrire une lettre à l’un ou l’autre de leurs proches. Parfois, il s’agissait d’écrire à soi-même (pour me rendre plus forte, quand je lirai cette lettre), ou à l’enfant à naître (quand il sera grand, nous lui lirons votre, notre lettre et la mettrons dans l’album de famille,…). Parfois, il y avait des silences, parfois les conversations se nouaient comme si cette rencontre était d’évidence, parfois on avançait pas à pas. Mais la lettre fut écrite et les auteurs accompagnés repartaient avec satisfaction et le sourire aux lèvres. Certains m’ont invité à boire un verre pour parler plus longuement mais je leur disais que c’était difficile, que j’étais dans l’attente d’autres visiteurs. Et ils repartaient convaincus que ce travail devait se poursuivre… 

Ca, c’est le miracle de cette rencontre organisée et improvisée tout à la fois. 

Ce qui me renforce dans l’idée de poursuivre l’aventure d’une façon ou d’une autre, c’est la qualité immédiate des paroles échangées : elles étaient de l’ordre de l’intime, de l’essentiel, du désir d’être ici, de se projeter dans un avenir meilleur, de donner des forces et de la conviction. Et ce n’est pas rien. 

Les questions qui se posent dans la relation de médiation comme celle évoquée ici sont, il me semble, adossées l’une à l’autre : comment ne pas dépasser la limite de la confidence, ne pas faire intrusion par des questions indiscrètes dans le champ privé de l’auteur/visiteur et comment faire de cette rencontre une coopération et pas une leçon de savoir-faire ? 

Ces questions sont les balises, à mon sens, de ce genre d’exercice. Et les émotions, les résonances que l’on peut lever par la mise en jeu de l’écriture sont telles qu’il s’agit de ne pas se laisser emmener dans la confession mais bien dans la formulation de ce qui était flottant et informulé dans les auteurs de passage.
         La durée si courte de la rencontre exige que les deux parties posent visiblement et de façon audible les demandes et les compétences qui pourraient les satisfaire. Ca a été, dans ce Foyer d’écriture, un vrai condensation de ce qui se noue et se trame la plupart du temps dans ce domaine… 

Enfin, j’ai été troublé par l’intrication permanente d’une certaine mélancolie et d’un ravissement chez les visiteurs qui se mettaient à parler. L’écrit gardait et garde à leurs yeux cette puissance de révélation que nous tentions d’approcher. 

En quelques minutes, ces personnes rencontrées sous la tente des Donneurs ont décidé d’aller à l’essentiel de ce qu’ils vivaient alors, ils ont osé et je les en remercie. 

 

 

Avril 2008

www.lesdonneurs.ca

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