Autour d’Helen Hanff

Posté par traverse le 6 octobre 2008

n039.jpg

 

Bruxelles, le 29 août 2008 

 

Cher ami, 

Cher Jean-Louis, 

 

Le livre que tu viens de m’envoyer est un cadeau d’une autre époque, celle de ces années cinquante, justement, où il fut écrit au fil des correspondances et d’une amitié fondée sur un  enthousiasme pudique. 

Je suis troublé par cette passion si évidente, cet amour si profond, ces sacrifices si constants que Helene Hanff  porte à tous ces livres qu’elle attend au fil des ans. 

Ce sont les années de ma naissance, à peu de chose près, et je replonge à l’instant dans un temps qui était comme entre parenthèses, la guerre venait de finir et la prochaine,  l’atomique se profilait entre Cuba et nous. C’était une époque qui était toute empesée de principes et en plus d’un demi-siècle, ces principes se sont faits rares, paraît-il, alors que c’est l’exigence intérieure qui est venue à manquer au nom de la satiété générale. 

Mais ton geste me renvoie plutôt à ma bibliothèque que je suis en train de la dégraisser de tous ces volumes qui ont compté mais qui aujourd’hui me renvoient bizarrement à une mélancolie tenace, celle du temps qui passe et qui est enfermé, là, dans ces livres qui m’ont fait et accompagné pour le meilleur et pour le pire. 

Je ne me débarrasse pas d’eux, comment pourrait-on effacer le temps qui est en nous, mais je suis occupé plutôt à faire de la place pour les livres d’un autre temps, ceux de la méditation sur l’avenir, ceux qui feront de mes jours et de mes nuits des durées irremplaçables. Comme je suis un homme de paroles, je ne doute pas que je les ferai connaître autour de moi et il est vrai que de parler des livres sont toujours une façon de les protéger et de leur rendre grâce. C’est une façon de les rétribuer de ces qu’ils déposent en chacun de nous, lecteurs ou  non. Et j’aime dans cette correspondance, le soin méticuleux apporté à décrire les livres attendus et envoyés. Ce soin, ce n’est pas cette banale maniaquerie que certains portent au papier, à l’odeur, au toucher des livres –j’ai remarqué que la plupart de ceux qui s’extasient ainsi de façon générale ne lisaient pas- mais plutôt une attention à la biographie, au récit de chaque livre. 

Cet attachement ne me semble jamais être une complaisance vieillotte mais plutôt une façon de nommer son partenaire, de lui donner formes et instance, de l’inscrire dans le cours de notre vie. Ces partenaires, je les ai si souvent appelés à mon secours alors que j’allais dans des désespérances de mon temps et à chaque fois, j’ai fait une chose que je peux dire ici, je les ai pris entre les mains, manipulés, feuilletés, entrelus et régulièrement, redéposés dans la bibliothèque. 

Je ne voulais pas défaire ce sentiment qui me remplissait, ce besoin de lecture, je n’étais pas prêt à la satisfaction  de ce désir. Je préférais ne pas lire entièrement tel ou tel auteur plutôt que de consciencieusement l’épuiser. Je préférais rester sur ma faim…et me sentir encore en attente. J’aime ces longues patiences au pied d’une œuvre, je sais approcher ce qu’elle recèle sans l’éventer d’un seul coup. Et je retrouve cette façon d’ogresse qui sait ménager ses appétits chez Helene Hanff. 

Paradoxal, diras-tu ? Oui, et non contradictoire…J’aime ces approches circulaires, ces séductions subtiles et ces bombances soudaines. Bien sûr des millier de choses se font autour du livre, mais trop souvent autour, et de plus en plus de périphéries, d’animations ,de promenades autour des livres nous éloignent d’eux, me semble-t-il. 

Dans ma bibliothèque, plusieurs livres sont arrivés chez moi de la même façon que le rapporte Helene Hanff: des correspondances, des envois d’amis qui me savaient intéressés par un sujet précis à certaines périodes de ma vie, des livres chinés chez des bouquinistes, la plupart, des hommages d’auteur qui me gratifient de leurs livres que je lis chaque fois, même si beaucoup me tombent des mains. 

L’amour est difficile, on le sait, il ne se vend pas, il s’arrache à l’indifférences des bonheurs obligés et des passions vite consommées…Les relations  avec mes livres ont été aussi intenses et imparfaites que les péripéties d’une vie amoureuse ; des histoires courtes et longues se sont assemblées au fil des ans pour constituer une bibliothèque intérieure, comme une autre scène. 

Hölderlin disait que le projet de toute vie était de trouver une forme. Certains dessinent leur vie d’un trait ferme et rectiligne, d’autres enchevêtrent les épisodes et le trait s’égare, d’autres encore soulignent en se répétant le même trait jusqu’au bout, d’autres enfin, en pointillés, marquent les hésitations les pertes, les deuils, les rendez-vous manqués, les impasses qu’il ont retenues en eux. 

Ces fuites, ces fusées, ces bonheurs, c’est notre dernière bibliothèque, celle qui est en nous, que nous emportons, résignés de ne pouvoir les lire tous…et d’en témoigner, encore et encore dans les enfers provisoires où nous allons. 

Je serai heureux d’y retrouver Helene Hanff et ses chers libraires. 

Laisser un commentaire

 

maloë blog |
Lucienne Deschamps - Comedi... |
HEMATOME |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Ballades en images
| back
| petits bricolages et autres...