Le texte, la lecture, l’atelier…
Posté par traverse le 24 février 2009
Dans l’atelier d’écriture, quelque chose se passe qui n’a lieu ni avant ni après la rencontre et le travail, une écoute attentive lors des lectures des textes écrits pour ou dans l’atelier, une écoute tendue bien au-delà du texte, du sens, de l’histoire, de la narration, quelque chose qui se loge dans les voix, dans les voix qui lisent et qui hésitent, profèrent ou murmurent.
Dans ces voix, beaucoup de corps, de hors-de-soi, de présent rameuté par le passé que recèle chaque texte, un passé qui s’échappe par ces voix justement, saturées ou claires, tombant à l’intérieur ou projetées dans l’espace de l’atelier ; ces voix sont ce qui reste de présent dans cette momentanée disparition de chacune et chacun dans le temps de la lecture.
Disparaître un temps pour laisser le texte faire sonner les harmoniques lointaines, faire entendre les résonances musicales qui font teinter les matières sonores de la langue, se retirer et laisser le texte prendre place au cœur de cette écoute collective. Ce n’est plus alors un récit que l’on entend mais la peur du récit, la joie du récit, la crainte et la jubilation de l’audace, le questionnement au cœur d’apparentes affirmations qui sont incrustées dans la matière du récit…
La lecture du texte pose le récit dans une oralité qui dévoile d’emblée les fausses inventions, dégage les secrets subtils que l’on prononce dans le dédale et le sinueux. Les voix sont la médiation d’un corps surexposé dans le texte et qui se délivre dans le simulacre du récit. Ces voix sont alors des flux de phonèmes que le récit articule dans l’intimité de l’atelier.
Mais cette intimité est aussi un leurre, chacun y dénonce, par cette ouverture du récit dans la lecture, des tensions qui ne peuvent être prononcées dans la parole commune de l’intime mais plutôt dans la distance de la profération, de la projection ou d’une lecture qui trouve son énergie dans les mots et non dans les émotions effleurantes. La manducation des sons et des silences organise une écoute qui déplace l’oreille sans cesse du texte vers la lecture oralisée et du lecteur vers l’expérience intime de l’auditeur.
Lire un texte en atelier, c’est aussi donner à entendre du matériau inouï et le livrer instantanément à l’insuffisance de l’écoute. Il est, dans le même temps, ouvert par la lecture et fermé par le lecteur si celui-ci s’interpose par des effets de voix, des intonations liquides et dispersées, des raideurs ou des lâchés dans les liaisons et les ruptures syntaxiques. Cette ouverture-fermeture s’apprend en atelier, chacun est un lecteur mais chacun doit décider de lire et non de sur-apparaître en lieu et place du texte qui se satisfait d’une langue nette et retenue, constituée de mots, de ponctuations, de silences, de reprises,…pour se déplier dans l’oreille de chacun.
Cette oralisation continuelle, qui est le moteur des ateliers d’écriture, déplace souvent chaque texte vers des affects qui n’ont rien à voir avec l’écriture-même mais qui mettent en exergue les éléments de la représentation du récit et finissent par faire spectacle de l’écriture à un moment d’écoute qui ne devrait pas accueillir alors cette surexploitation des affects, émotions et contentements immédiats.
Ce processus engage les auteurs participants à l’atelier à des exercices périlleux de mémoire et d’oubli conjoints… Le texte qui se fait et se défait dans l’écoute s’appuie sur la mémoire intime de chacun (à quoi me relie mon écoute, en quoi suis-je relié à ce texte lu ?) et simultanément sur la capacité d’oubli de l’auditeur qui cherchera à ne pas recouvrir l’écoute du texte de l’autre de ses propres réponses, de ses clichés, de ses rationnelles catégories, … Lecteurs et récits sont alors dans des jeux de points et contre-points qu’il s’agit peut à peu de refroidir jusqu’à la deuxième phase (habituellement) qui est la confrontation à la lecture individuelle du texte sans les voix et qui s’appelle joliment lecture silencieuse…
Les lectures sont libres mais la plupart des auteurs ne se délient pas de leur texte à la lecture, ils se logent dedans, écrasent la phrase de la voix, font de l’affect le bénéfice premier du spectacle de la mise en voix, se diluent dans l’émotion et rétrécissent la distance entre le texte et le lecteur.
Cette distance, justement, fait mystère, tension, étrangeté et rencontre de l’autre soi-même qui se fait entendre dans le dispositif du texte. Il y a souvent, trop souvent et ceci est presque toujours tu dans les ateliers, une subtile pygmalisation de l’auteur par son propre texte.
Celui-ci tombe alors souvent en amour ou désamour de sa production, se joue ainsi un narcissisme émotionnel qui renvoie l’écriture au spectacle de l’écriture et la tension produite par une lecture franche, et qui pourrait éveiller l’auditeur-auteur à un sentiment d’étrangeté devant son propre écrit, à la simple mise en jeu des inflexions et des facilités vocales que le lecteur impose au texte.
L’auteur s’écoute en auteur, aime tellement son texte, ne prend plus en compte ce qui devrait résister justement dans l’écriture à cette échappée par la séduction vocale. Lire soi-même son propre texte en atelier produit régulièrement plus de lissage hypnotique que de révélation.
Lire le texte d’un autre, par contre, c’est se confronter à un défi de mise en bouche qui vérifie à l’instant les stratégies internes du texte pour tenir et se tendre ou, par ailleurs, s’effondrer dans des facilités que cette distance dégage et met à jour. Il s’agit alors d’une première édition sonore du texte. Il s’agit enfin de détacher le texte de l’auteur dans la proximité de l’atelier et ne pas faire encore et encore de l’écriture cette petite musique qui réjouit les cœurs et fait tomber le sublime dans le kitsch des fausses inventions.
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