Dans la caverne
Posté par traverse le 1 mai 2009
Des parois, des odeurs de graisse et de viande, des senteurs brûlées et sauvages. Le dedans et le dehors ne sont séparés que par la nuit. La journée, de l’air passe de ce monde à l’autre, celui sans limites qui entoure et surplombe. L’air est partout et les hommes, femmes et enfants assemblés dans la caverne hument l’univers qui les rejoint.
Ils sont encore dans l’écho de l’origine qui fut un coït, une jouissance flottant dans les arbres et la roche, dans les rivières et le ciel si souvent tourmenté, traversé d’éclairs et de feux. Ils sont dans la proximité de cette nuit première et se serrent autour du feu. Des épaules touchent des épaules et des hanches s’emboîtent, des enfants glissent le long des cuisses et les flammes soudent le clan dans la même indistinction.
Ils rêvent, pensent, se lamentent et chantent.
Les parois sont poisseuses, noires de suie et ne suffisent pas à apaiser. Elles sont vides et sales.
Elles enferment plus qu’elles ne protègent. Un peu plus loin, dans l’autre chambre, dans l’arrière-salle où la nuit prend sa source, ils vont dans les lumières des torches et des regards.
Ils transportent depuis longtemps déjà et ils ne le savent pas encore, le souvenir d’une ancienne jouissance qui a nom aujourd’hui et qu’ils se représentent mieux maintenant que les grands froids sont passés et que les plus solides d’entre eux ont du temps aujourd’hui pour prendre le temps du souvenir qui est la deuxième vie que la mort fabrique en nous. Ils vont vers la salle ancienne, la plus éloignée, la plus froide, la plus inquiétante et c’est là qu’ils vont chanter et plus tard encore placer leurs mains colorées de pigments et de liquides végétaux sur les vastes parois.
Des chasses, des rivières, des élans arrêtés par les javelots, des montagnes dispersées dans les cieux inversés, des signes et des dessins répétés comme un chant, des couleurs de viande et de viscères, des noirs profonds et gras, des glissements de mémoires sur cette roche amère.
Du temps a passé, passe et nous retrouve au même endroit moins outillé de ces savoirs lointains et habités cependant encore et jusqu’ici de l’écho de cette nuit formidable qui ne cesse de nous tomber sur les épaules et que nous ravivons parfois dans des fêtes sexuelles où les chants nous reviennent.
La caverne est maintenant tout habitée du passé et de la jouissance primordiale qui clôture enfin le dedans où le dehors ne peut plus entrer impunément. Des histoires passent de la paroi aux gorges, aux glottes, aux bouches qui soufflent des récits jusqu’aux pieds des dieux qui ont forme de présent et pouvoir de nous arracher à notre illusion d’avenir.
Les glossolalies commencent, le clan se resserre encore et se met à sauter, à battre des bras et des jambes avec la même jalouse attention qui fait que les corps se rejoignent, se mêlent et ne se confondent jamais.
Ils racontent chacun un morceau du récit qui les mène de la faim à l’apaisement et de la vie au basculement dans un autre appareil qu’ils ne savent que reconnaître et craindre et qui est peut-être ce que sont les dieux qu’ils honorent : un souvenir et une présence de ce qui n’est pas ici. Un passé qui devient le seul but qu’il se donnent et qui emploie le peu de temps qu’ils ont à leur disposition pour nourrir la matière qui les tient debout et celle qui flotte en eux et dont ils craignent le pire parfois, quand leur attention faiblit.
(suite du projet Je vous écoute, juin 2009)
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