La partie pour le tout

Posté par traverse le 10 septembre 2009

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« A quoi distingue-t-on toute décadence littéraire ? A ce que la vie n’anime plus l’ensemble. Le mot devient souverain et fait irruption hors de la phrase, la phrase déborde et obscurcit le sens de la page, la page prend vie au détriment de l’ensemble : le tout ne forme plus un tout. »  Friedrich Nietzsche, Le cas Wagner (1888)  

Lisez Stendhal, Hugo,…Sollers, Simenon, ou plus récent encore, le décrié Houellebecq…certaines pages sont menées à la charge, bousculent la règle, font irruption dans la vie en se moquant littéralement de cette beauté formelle qui fait florès dans les académiques séances d’écriture que les institutions adorent. Elles prennent le risque du mauvais goût (et arrivent souvent…), jettent leur robe de mariée grammaticale et syntaxique par-dessus les fossés et foncent dans ce qui est le jus même de la littérature: la vie restituée au sein d’un flux, mieux même, la vie réinventée dans le mouvement et la sueur des phrases qui enferment peu à peu ce secret que nous lisons, si nous sommes attentifs, dans la proximité des hommes et qui ne s’éclaire parfois que dans la grâce de l’écriture. 

Cette réflexion de Nietzsche est au cœur de ce que nous devons animer dans le cadre des Ateliers d’écriture, me semble-t-il: faire monter la pâte, éviter les spasmes douloureusement …silencieux que certain(e)s, parfois, s’évertuent à élaborer au fil de phrases plus lisses les unes que les autres. Et soudain, le mot, la trouvaille et le texte semble sauvé. C’est à ce moment, je pense, qu’il est définitivement plombé et qu’il coule à pic.

On se dit « Pourquoi tant de spasmes pour si peu de vie? Pourquoi tant d’effort développé pour ne rien dire de ce qui nous anime, vivants et lecteurs? Pourquoi tant de détours pour nommer une chose simple, pourquoi tant de maniérisme pour camoufler un tel manque de centre? » Ces épisodes, je pense, tous les auteurs, les écrivains, les participants aux Ateliers d’écriture de toutes formes et de tous genres, les ont connus. Ce maniérisme est une des formes culturelles du narcissisme probablement. Et dans les ateliers d’écriture, très vite, il s’agit de relever ce genre de déserrance ou cette fascination du vide.  

Faire face au vide ne signifie pas nous en encombrer, mais bien rendre compte de ce qui flotte dans cette angoissante part de nous-mêmes. Et très vite, tout se met en place, dès lors que la bienveillance de l’animateur (trice), son humour, sa rigueur, son « ouïe » pointent ces étapes presqu’inévitables que sont ces façons d’esquiver…l’écriture en alignant des mots, si possible, les plus surprenants en matière jouissive   J’ai eu l’opportunité, depuis des années, de me confronter à ces situations délicates: elles touchent à l’estime de soi, à la confiance en soi, à la découverte de nouvelles matières de la langue, elle sont nécessaires probablement dans ce glissement vers sa propre voix…Il s’agit donc d’accueillir ces textes, de les lire, de les interroger et de sonder doucement la paroi apparemment lisse par où l’auteur et l’animateur (trice) pourront pénétrer dans le vague pour réélectriser l’ensemble afin qu’un tout puisse poindre et lentement, par le retravail, le faire apparaître enfin. 

C’est là, une joie, un des enjeux des ateliers d’écriture, chasser les fantômes pour faire apparaître la chair et la matière d’un tout qui se nomme la vie. 

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