Des lettres tombent dans ma boîte de plus en plus rarement
Posté par traverse le 2 novembre 2009
Des lettres tombent dans ma boîte de plus en plus rarement, ce temps est venu où le papier est lié à la chair, à la viande qui le touche et le lèche, le timbre, le plie, le transporte et le jette dans la borne postale ; lettres que l’on serre sur son cœur et que le temps et l’éloignement restituent à une sorte de testament fugace, de bref salut avant le brouillard du jour, d’incantation dans l’achèvement de la signature et de la relecture rapide avant le repentir. Lettres rares et toujours encombrantes, elles marquent le jour d’une annonce précise, je viens ou pars, je t’aime ou je te quitte, je serai là où tu seras, je n’irai pas au rendez-vous, je t’envoie mes amitiés alors que je ne voudrais te parler que de tendresse ou d’une admiration qu’on feint de ne plus éprouver alors que la lecture est en cours et que se lève en nous, parfois, un tel chagrin de n’avoir pas plus tôt répondu à son appel ou à ses vagues remontrances, …
J’attends ce temps où je les écrirai moi-même pour ne pas perdre le goût des enveloppes ouvertes comme un cœur qui soudain se livre au détour. Les manies disparaissent de plus en plus vite, ne reste que du vague, de l’incertain et une certaine mollesse où des couteaux vengeurs s’enfonceront bientôt, fermez les yeux et pensez à cette femme, à cet homme, égarés sous nos toits, et qui souffrent de ne plus sentir sur leur joue la caresse de cette brise-là, celle qui descend de la colline et glisse dans la vallée avec tant d’attention depuis si longtemps pour les enfants du pays, à celle et à celui qui grattent ses dernières pièces pour téléphoner au pays, ca va ? ou ça ne va pas, et maman, et papa, et la santé, ah, ça va, et le compteur tourne et les ça va s’accumulent à prix d’or mais peu importe ce qui va ou ne va pas, c’est tout entier le corps et le chagrin d’être si loin qui ne savent se dire, alors on dit ça va ou ça ne va pas, et on regarde sa montre pour compter combien de ça va ou de ça ne va pas encore on pourra prononcer.
Plus de lettres envoyées, plus rien de griffonné sur des cartons de bière, que des mots si légers dans la lourdeur de la cabine et qui se dispersent à peine raccrochés. Ecrire, ça va ou ça ne va pas et le monde change à l’instant, écrire maman est morte et le père ne va pas aussi bien qu’il le dit, écrire un enfant nous est né et il porte ton nom, écrire la couleur des nuages dans le souvenir des ciels, écrire la vague et le ressac, l’odeur qui traîne encore dans ta chambre, écrire une lettre, quelque chose qui se refuse à l’évanouissement et qui ravit le temps en l’enfermant dans une enveloppe rare, écrire et résister un court instant à l’inachèvement.
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