Le rire et les larmes de l’Atelier

Posté par traverse le 4 novembre 2009

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« Les Funérailles de Mona Lisa » de Yan Pei-Ming
Le fameux regard à travers les coulures de peinture
Salon Denon au Louvre

Je ne peins pas l’être, je peins le passage,
Montaigne.

Des larmes parfois viennent dans le cours d’un Atelier : larmes versées, larmes retenues, larmes avalées, larmes en brume, larmes effacées, larmes reniflées, larmes de chacune et de chacun passées par les yeux d’un(e) seul(e), soudain, alors que son texte est lu dans l’Atelier. Ces larmes viennent parfois, effleurant le visage de tous, dans le silence de cet instant où la vie de l’auteur et de son texte font collision dans ce qui est entendu et qui n’était pas, croyait-elle, croyait-il, énoncé aussi clairement. Notre oreille a entendu, l’auteur, dans la distance de l’écoute de son texte lu par l’autre y reconnaît soudain un affleurement d’autre chose de plus enfoui.

Les larmes circulent à la surface de la plupart des grands textes de la littérature et nous renvoient alors à notre source intime que le texte dénonce dans un éclair. Le texte a déplacé notre curseur de perception, notre conscience d’être au monde, à l’insu de notre attentive retenue.

Des larmes, on pourrait faire une histoire collective qui irait des larmes sur soi aux larmes pour ou sur les autres (ce qui n’est évidemment pas la même chose), des larmes confuses qui noient joie et conscience de cette joie fugace qui aura disparu quand les larmes seront sèches et aussi les larmes officielles qui resserrent le clan, larmes qui nous trahissent, qui disent ce que le langage ne dit pas tout en faisant éclater un récit secret à l’entendement de tous…

Les larmes dans l’Atelier viennent donc rarement et durent très peu de temps dès lors que l’auteur est accueilli dans ce moment rare et que l’animatrice ou l’animateur referme cet instant de la meilleure façon, celle qu’il a prévue (à ces larmes soudaines, il faut se préparer bien avant l’Atelier et ne pas les craindre, ni les amplifier en entourant l’auteur d’une sollicitude qu’il refuse si souvent à l’instant qu’on lui manifeste hors propos, celui de la rigueur, du texte, de la loi de l’Atelier) et qui convient à chacun et à tous. En général, j’ai à l’esprit qu’au théâtre, les larmes, chaque soir, lavent le théâtre pour qu’on puisse encore y jouer à neuf, chaque lendemain. Je dis donc simplement « Ne vous inquiétez pas, cela nettoie l’Atelier … » et des rires alors viennent, qui chassent ces larmes intruses et toujours prêtes à se faire entendre.

Le propre des larmes, c’est qu’elles font remonter une voix de l’intérieur, une voix accompagnée d’un texte inouï qui échappe à la maîtrise ou à la régulation du genre. Hommes et femmes y participent mais dans des circonstances et des théâtralités diverses. Cette théâtralité n’est pas jouée mais elle s’organise cependant dans une sidérante vitesse. A peine entrevues, à peine distraites par le silence, le visage qui se baisse et se relève vite comme débarrassé d’une ombre ancienne qui vient de s’échapper un peu.

Tout le reste est dans le texte et ce face à face avec l’auteur qui vient de passer sous la herse invisible des larmes nous est confié. A nous alors d’y revenir à l’instant, de remettre en jeu le texte, rien que le texte et de laisser un moment l’auteur se refaire un présent d’écoute pendant le temps du commentaire du texte, rien que de son texte, dans la ferme douceur de la pudeur.

Et le rire, déjà nommé ici ? Pas d’Atelier sans rires, et sans rire pas d’écriture me semble-t-il. De ce rire qui explore bruyamment ou pointe distinctement le bref instant du texte où l’écriture va enfin au bout de sa logique, qui n’est la plupart du temps en rien l’enjeu conscient de l’auteur et de son texte, il est souvent question dans l’Atelier. Bien sûr, nous rions, nous, lecteurs et auditeurs du texte, nous savons à l’instant ce qui fait vérité ou sincérité dans le flux des phrases. Vulgarité ou science savante n’y peuvent rien, le rire vient quand le texte bascule tout-à-coup dans une évidence qui déplace entièrement l’écoute ou la lecture dans une relation à sa propre histoire.

Le texte fait irruption en nous à l’endroit le plus vif, souvent le moins glorieux, très souvent trivial mais cette banalité apparente gronde sourdement des choses vues et tues qui nous relient. Et des rires souvent viennent redonner énergie à l’ensemble : à la lecture, à l’Atelier tout entier, à ce qui nous tient là, le soir souvent, assemblés pendant que dehors il vente, il pleut ou lorsque le soleil nous reproche ce labeur volontaire, cet Atelier librement rejoint.

Les rires sont probablement ce qui me retient depuis si longtemps dans l’aventure des Ateliers. Toute la gamme des rires. Sauf un, celui du mépris, jamais entendu dans aucun Atelier et pourtant ce ne sont pas des endroits de vertu particuliers. Alors qu’à l’école, oui, souvent, et pas uniquement des élèves…Ce rire nourri dans l’Atelier est probablement l’antidote aux usures, à l’ennui soudain, à la fatigue, au trop plein d’émotions, à la joie d’apprendre, à l’éblouissement du faire, du refaire et soudain, ça tient à l’oreille de tous

Des larmes comme des glossolalies de reconnaissance, des rires comme bannières déployées dans l’assemblée du travail et de l’invention : de tout, avec le texte pour faire entendre dans le premier temps de l’Atelier, celui de l’écoute et de la lecture, cet endroit où nous déclarons malhabilement où nous rêvons d’aller confusément.

Cf. L’Histoire des larmes, spectacle de Jan Fabre

http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/LHistoire-des-larmes/

2 Réponses à “Le rire et les larmes de l’Atelier”

  1. Liliane Windels dit :

    Merci pour ce texte, Daniel.
    Il touche à l’intelligence et au coeur, suscite la réflexion, encourage l’empathie, reconnaît les émotions vraies. Je me permets de lui assurer une diffusion maximale parmi tous mes amis en écriture.

  2. Distribution de prospectus dit :

    Merci pour le temps que vous passer sur ce blog et les informations que vous faites figurer. En tout cas c’est un blog utile de plus il est facile à consulter. Bonne continuation pour ce merveilleux travail.

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