Pas de soucis

Posté par traverse le 5 novembre 2009

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Il y a une dizaine d’années j’animais une suite d’Ateliers d’écriture dramatique autour des « Scènes d’amour et de guerre » au Maroc, en Tunisie, au Congo RDC, en France, en Belgique, au Portugal, et en Roumanie. Je cherchais , dans ce projet, à relier les visions de la guerre et de l’amour qui se projetaient dans le théâtre contemporain de ces pays. A chaque fois, les scènes de guerre étaient plus puissantes que les scènes d’amour. Je croyais y déceler un signe de ce qui s’imposait peu à peu où que j’aille, l’ »homme en guerre » (1) était le nouveau personnage du vingt et unième siècle à venir.

Nous y sommes, comme si l’époque avait produit la forme inversée d’un romantisme résurgent: la version ancienne de l’amour et de ses tensions existentielles (la mort et le suicide(2) comme esthétique d’une vie) deviendrait celle de l’homme ou de la femme bardé(e)s de guerre et de discours guerriers. Ils sont dans des rêves d’amour et d’extase, alliant sacrifice et joie jusqu’à la dispersion organique finale dans des explosions plus médiatiques d’heure en heure.

Ces hommes en guerre, ce sont aussi les travailleurs désespérés séquestrant, enlevant, menaçant, disposant bombes et discours où une caméra est plantée et cherchant désespérément à occuper le vrai théâtre des opérations, celui du plateau de télévision ou le flux perpétuel du Net.

Andy Warhol annonçait avec une prescience qui n’était pas son moindre talent que chacun serait un jour célèbre un quart d’heure. Aujourd’hui, le quart d’heure a rétréci. Il occupe fugacement les lèvres du narrateur, du présentateur, du journaliste pendant quelques secondes, le temps de dire, d’annoncer, de révéler, de comptabiliser, d’énoncer sur le plateau ou dans la vidéo placée sur la Toile, la colère, la guerre personnelle, la frustration, le sentiment de déni et le besoin de justice de chacune et chacun. Ces quelques secondes sont chassées par d’autres secondes annonçant les mêmes extases, les mêmes événements, les mêmes catastrophes qu’il y a quelques secondes.

La célébrité, ma foi, est de plus en plus courte et la mort n’y trouve pas son compte. Peut-être faut-il dès lors, consciemment entraîner un maximum de vivants (appelés dans ce cas, victimes…) dans sa propre perte, pour faire poids, pour augmenter sa mise? Peut-être.

Dans tous les cas, l’homme en guerre rôde, dans les écoles, dans les entreprises, dans les banques, dans la Bourse, dans les médias, dans la politique, mais probablement plus encore dans les insatisfactions, les frustrations qui grondent et qui font que des jeunes enfants déjà, entièrement reliés à l’impuissance volontaire de leurs parents (le nombre ici est indéfini et toujours variable) et tremblants de provoquer la colère de leur progéniture, connaissent le pire, le dégoût de soi. Ces enfants sont nés dans la guerre la plus intime, la guerre contre soi, celle qui avance chaque jour et enfonce un peu plus la lame dans les chairs, comme pour y chercher une limite toujours repoussée dans le dehors et intimement reconnue dans le dedans: celle des côtes, du coeur ou enfin, de l’expire final.

Peut-être est-ce aussi la raison pour laquelle, le « pas de soucis » journalier nous est asséné à chaque occasion. Est-ce un « no trouble » mal intégré ou une sorte d’incantation permanente, comme ces religieux qui égrènent leur chapelet infiniment dans un acte réflexe? Ou une façon de garder la distance, celle du « rien à dire, tout à communiquer »? Je ne sais. Mais chaque jour, je les compte. Hier douze, avant-hier, dix-huit, la semaine passé, quarante-cinq en quelques jours, etc…Je suis donc entouré d’une sollicitude infinie. Je suis heureux.

Bien sûr, j’ai tenté d’expliquer que le souci de soi était la première position à tenir, que nous étions reliés au souci de soi dans la question philosophique de base ou dans la morale quotidienne, que je ne supportais pas que l’on interfère ainsi dans mes préoccupations et que les soucis que j’avais ou que je me créais m’appartenaient en propre, que c’était plutôt, à mon sens, un acte de liberté et d’attention, en tout cas, un sentiment de lien de soi et aux autres. Rien à faire, pas de soucis revenait, revient…Et mon souci grandissait.

« Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Dans « Les animaux malades de la peste », La Fontaine, à lire et relire chaque jour, nous met en garde et peut-être qu’écrivant ce billet, je lui donne raison…N’empêche, ces hommes en guerre et la Catastrophe (Paul Virilio, Université de la Catastrophe) annoncée à chaque instant ne semblent finalement que de virtuels ennuis, la réalité, elle, aime à se la jouer « protégée » par une antienne jouant de l’innocence générale: « pas de soucis ».

1.Franck Venaille, L’homme en guerre.
2.Goethe, Les souffrances du jeune Werther

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