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Rencontres avec Abdellatif Laâbi/Espace Magh

Posté par traverse le 27 février 2010

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Abdellatif Laâbi, prix Goncourt de la Poésie 2009, et son épouse Jocelyne sont les invités de l’Espace Magh du 2 au 6 mars 2010.

Figure majeure de la littérature contemporaine, Abdellatif Laâbi est poète, certes, mais aussi romancier, homme de théâtre, essayiste et traducteur.

Son engagement politique contre un régime oppressif lui vaut huit ans d’emprisonnement dans les geôles d’Hassan II. Accompagné par l’amour et la présence de sa femme Jocelyne, Abdellatif sort de prison aussi révolté qu’il y est entré– révolte contre les inégalités qui marquent la vie de son pays. Après cette épreuve, la famille s’en ira en « exil » vers la France et Paris…

Son oeuvre se construit autour d’une parole lyrique, sauvage et riche, resserrée et accessible. Une poésie orale, vive, mêlant dérision, autodérision, humour et « ironie tendre », qui touche le lecteur au plus profond. Sa poésie est intimement liée à la vie, sur laquelle il pose un regard passionné. L’amour en est un des moteurs.
littérature

Soirée-rencontre avec Abdellatif Laâbi Animée par Jean-Luc Wauthier

MA 2/3 Entrée libre
19.00 Projection d’une émission de la télévision marocaine consacrée au poète.
20.00 Rencontre littéraire autour de son oeuvre.
21.00 Mini-récital de poésie de et par le poète lui-même. Respiration musicale avec Marie-Ève Ronveaux, violoncelliste.

De l’exil et de la mémoire…


Rencontre avec des jeunes autour de l’oeuvre du poète

ME 3/3 | 17.00

Dans le cadre d’un atelier d’écriture sur la mémoire de l’exil, mené depuis septembre 2009 au Foyer des Jeunes des Marolles, un groupe d’adolescents rencontrera Abdellatif Laâbi. Lorsqu’un poète parle à des jeunes du quartier de son expérience
de l’exil, de la mémoire, de l’engagement…
Lectures croisées par Hassiba Halabi et Mohamed Fawaz

JE 4/3 Entrée libre

18.30 Des lettres d’amour, des lettres de prison. Des lettres qui s’entrecroisent. Celles du quotidien, celles du rêve, celles du poète et de sa bien-aimée… Ces lectures, portées par deux jeunes comédiens pleins de talents, ont été choisies par Hamadi avec la bénédiction d’Abdellatif et de Jocelyne Laâbi.

20.30 Projection du film Le Soleil se meurt, d’après un texte d’Abdellatif Laâbi.
Nocturne de la Poésie
Foire du Livre de Bruxelles

VE 5/3 | 19.00

Abdellatif Laâbi, prix Goncourt de la Poésie 2009, est invité à ouvrir la Nocturne de la Poésie à la Foire du Livre de Bruxelles.

JEUNE PUBLIC

Lounja-la-gazelle JEUNE PUBLIC (à partir de 8 ans)

Au départ des contes de Jocelyne Laâbi
ME
3/3 | 15.00 8 € (adultes) 5 € (enfants)
SA
6/3 | 18.00 8 € (adultes) 5 € (enfants)

Moufadhel Adhoum – oud | Alexandre Furnelle – basse Christine Andrien – récit

Elle est belle, elle est aimée. Par son cousin. Ils sont beaux, ils sont frères, ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau et ils sont aimés. Par leur mère. Génie, ogre à 7 têtes et autre ogresse se coupent en quatre pour les contrarier. Il faudra s’armer de moult courage et surmonter de nombreuses aventures étranges pour enfin retrouver la douceur et l’amour.
L’homme qui troquait et Les ruses du hérisson

Dessin animé et théâtre d’ombres

SA
6/3 | 16.00 Entrée libre

En clôture des ateliers menés au départ des histoires de Jocelyne Laâbi auprès d’enfants de 3e maternelle de l’École Catteau-Horta et de l’École de la Marolle, de la Ville de Bruxelles, nous vous proposons le dessin animé et le spectacle en théâtre d’ombres que les enfants ont réalisés à partir des contes L’homme qui troquait et Les ruses du hérisson, sous la direction attentive de Milena Bochet (réalisatrice) et de Roxane Ca’Zorzi (conteuse). Avec le soutien de Mesdames Hankenne, Schoemaker, Bovagnet et Doyen, institutrices.

« Totalement étrangère à toute poésie “poétique”, cette oeuvre est avant tout poésie car elle est vie écrite autant que vie vécue, au point qu’il reste malaisé de discerner l’une de l’autre. »

Jean-Luc Wauthier

Rue du Poinçon, 17 1000 Bruxelles 02 274 05 10 info@espacemagh.be www.espacemagh.be editeur responsable Mohamed El Boubsi – Hamadi / Rue du Poinçon, 17 / 1000 Bruxelles

Publié dans carnets | Pas de Commentaire »

Ordure de père

Posté par traverse le 26 février 2010

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La porte fermée, il ouvre son ordinateur et se met à écrire.
Le monde, tout à l’entour ne l’ennuie pas particulièrement, il en souffre même plus qu’il ne voudrait, il pressent de terribles catastrophes qui s’annoncent entre deux pages de pub, non, ce monde, il y est logé à la même enseigne que son voisin et ceux d’en face et de plus loin encore qu’il ne peut voir ou entrevoir les limites de son monde mais ce qu’il sait c’est que dans cet appartement, celui qu’il occupe depuis bientôt dix ans, des choses l’encombrent, des êtres manquent, des corps s’emmêlent dans ses souvenirs.

Mais ce monde est en lui et il ne peut se désencombrer de chaque chose qu’il a entassée lentement au début, mais la vitesse s’accélère, et il lui reste de moins en moins de place pour trouver sa place à lui.
Des mots, d’abord, tous ces mots qu’il a amassés depuis près de cinquante ans, ces mots vont enfin servir à autre chose qu’à nommer le monde et à y prendre place.
Aujourd’hui, il écrit pour désenchanter ce qui fut parfois un enchantement, une malédiction souvent, un rendez-vous de deuxième ordre avec la vie, une gabegie qu’il a prise pour de la liberté.

Et sa liberté est entière ce matin.
Il s’est levé après une nuit désastreuse, il a marché une demi heure au parc et il est rentré, après avoir rempli le congélateur à raz bord.
Il a ouvert l’ordinateur et il s’est mis à écrire.
La porte fermée, il se sent parfaitement séparé de ce qu’il prétend tenter de découvrir depuis si longtemps, ce monde qui l’occupe et qui le tient d’un bras de glace à distance.
Il a tout son temps, et si la vie rétrécit, il raccourcira certains chapitres, alignera les ellipses, embrigadera le lecteur dans des copinages douteux mais efficaces.

Son appartement est constitué d’un hall de jour, d’un salon, d’une salle-à-manger, d’une cuisine dix-neuf cent trente donnant sur une terrasse où il a dressé un mur de plantes entre lui et les terrasses voisines, un hall de nuit conduisant à un chambre encombrée de livres et d’objets récoltés lors de voyages anciens, puis un bureau où il accumule les dossiers, les livres encore, les outils informatiques, un débarras qu’il n’ouvre que dans de rares occasions, une salle de bains qu’il a repeinte récemment en bleu et blanc, ça lui rappelle le Sud, et des toilettes au haut plafond d’un autre temps.

C’est là qu’il vit et que d’autres ont vécu avant lui, depuis 1930.
Mais ce n’est pas de cet enchevêtrement de vies et de choses passées qu’il a décidé de faire son récit. Non pas qu’elles soient particulièrement exceptionnelles, ces vies et ces choses, mais elles s’enfoncent en lui, comme une Venise funeste et il sait que le temps est venu de se délester pour ouvrir sa viande à de nouveaux organes.

1. Hall de jour

Dans ce hall, pour la première fois, il a embrassé celle qui allait devenir sa femme. Un long baiser profond, elle a laissé échapper un petit cri et je me suis dit à ce moment que peut-être c’était ça qu’elle me disait vraiment, ce petit cri, apparu, disparu dans le même souffle, ses dents ont cherché ma langue et elle s’est pressée contre moi plus fort que je ne n’aurais osé l’espérer cette première fois. Nous avons passé la soirée à parler, elle mettait sa main sur ma cuisse comme si nous nous connaissions depuis toujours, naturellement, sans appui marqué, simplement elle déposait sa main sur une partie de moi comme si ça allait de soi. Nous avons beaucoup ri, ça je m’en souviens parfaitement. Et nos rires nous disaient à chaque éclat que nous allions rester ensemble mais que nous ne pouvions pas encore le passer par le langage. Il a fallu trois semaines pour que nous nous le disions. Nous avions fait l’amour avant, longuement, puis rudement, partout où notre désir nous tirait. La cuisine a échappé et nous avons ri en disant que nous n’étions pas encore assez intimes et que j’aimais trop faire la cuisine que pour y déployer aussi vite nos jeux sexuels. Elle a aimé, j’ai aimé. Et chaque fois qu’elle venait chez moi, le même combat recommençait : paroles, rires, caresses, pénétrations de tous ordres, somnolence et reprises. Ca a duré quatre mois.

2. Salon

Un canapé deux places, des tables basses, des tapis, bibliothèques, musique, lumière chaude et des rires à foison. Elle se levait parfois pour regarder un des volumes de la bibliothèque, mais jamais elle n’en a saisi un seul, elle regardait, commentait, posait des questions intéressées. J’en ai trouvé certaines naïves, je dois reconnaître qu’avec le temps, je les trouvais parfois idiotes. Je dis bien parfois, j’hésitais et j’hésite encore. « Tu as lu tout ça ? » me rompait le cou à chaque fois. Mais son rire compensait tout et ses fesses me ramenaient toujours aux mêmes jeux. Je pense même qu’elle se levait pour aller scruter mes livres pour, en fait me faire admirer sa croupe, ses jambes, son dos si souple, et ses cheveux qu’elle relevait quand je lui parlais, d’une main légère, tout en me mouillant le regard des yeux. Nous avons fait l’amour à chaque fois. Et de mieux en mieux. A la fin du trimestre, nous nous sommes dit que ça y était, qu’on était mûrs pour rester ensemble. On s’est donné un mois de plus, pour voir…On a vu.

3. Chambre

L’amour, bien sûr, mais aussi des paroles, des caresses paresseuses, des musiques écoutées enlacés, et puis l’amour encore. Les vitres de la pièce étaient pleines de buée quand elle quittait l’appartement pour rejoindre sa fille. Elle avait une fille, huit ans, Aurélie, qu’elle adorait plus que tout au monde. Je crois que j’étais jaloux quand elle disait ça. Mais je me suis dit que j’étais un crétin, cela faisait quatre mois, Aurélie, huit ans. J’étais perdant, dès la ligne de départ. Mais ça, je ne le pensais pas vraiment, ça flottait en moi et ça me revenait, sa voix, cette phrase, son corps, notre désir. Tout se mêlait. Mais Aurélie était là. Elle me disait que je devais en tenir compte. Que c’était essentiel que nous puissions partager cet amour pour sa fille si ça devait continuer entre nous. Je n’ai pas pensé un seul instant que ce ne serait le cas. Et on a refait l’amour.

4. Salle de bains.

Nous avons pris des bains ensemble. Elle me disait que c’était la première fois. Que son ex-mari n’y pensait même pas, que le père d’Aurélie, elle s’est vite reprise en disant le père, n’était pas fort intéressé par tout ce qui touchait à l’amour. Il était père, oui, mais sans imagination avec sa femme. Elle adorait glisser dans l’eau pendant que je la caressais en la huilant partout où elle hésitait que j’aille. Mais j’y allais et elle me reprenait en souriant, les yeux fermés. C’est dans la salle de bains que j’ai ressenti la première fois ce que serait peut-être notre intimité. Je la voyais se maquiller, faire ses cheveux, puis retirer la sortie de bains et ses fesses me rappelaient à l’escrime. Elle arrivait souvent en retard à ses rendez-vous à l’époque. Nous avons séparé les brosse à dents dans des verres de couleurs différentes, elle a déposé son démaquillant dans les boîtes de laque sur la commode repeinte en bleue qui contenait maintenant ses slips de rechange, ses bandes hygiéniques, son maquillage de base et des compresses de démaquillage. A côté, mes draps de lit frais, mes serviettes éponges.

5. Toilettes

Elle y allait souvent quand elle avait un peu bu. Elle disait que cette peinture de brique pilée des toilettes lui rappelait le Maroc. Que la pièce était haute comme là-bas. Chaque fois, qu’elle allait aux toilettes, elle disait « Je vais au Maroc ». Des revues de voyages, des magasine de tourisme, peut-être la retenaient là, le temps de feuilleter. En tout cas, c’est mon cas. J’imagine qu’elle aussi. Puis elle a laissé la porte des toilettes ouverte quand elle s’y arrêtait, que je passe devant ou pas, elle s’en fichait. Elle disait qu’on était assez intimes. J’ai ri mais j’étais un peu mal à l’aise. Elle a continué. Je n’ai plus rien dit. Le Maroc est resté ouvert jusqu’au bout.

6. Cuisine.

Je n’aime pas les cuisines équipées, j’aime une table ronde, des armoires hautes comme en 1930, un évier en faïence,…des brassées d’herbe aromatique déposées sur le buffet que je viens de repeindre en blanc. Un blanc mode, avec des usures des éraflures, un faux vieux quoi. Mais l’ensemble me plaît. Mon épicerie surtout ; des épices et des condiments de toutes les régions du monde. Mon harem à moi, comme j’aime lui dire parfois. Je sais que chaque épice me rappelle une femme mais ça je ne le lui disais pas. A chaque fois que je préparais un plat, un prénom me venait et souvent j’aimais les mêler dans des plats de ma composition. La cuisine donne sur une terrasse que j’ai peuplée d’oliviers, d’arbustes de jardin, de plantes de toutes sortes, une petite table au centre et deux chaises. On peut y manger à l’aise. On y a fait l’amour aussi le dernier été. J’avais peur du bruit, à cause des voisins, de ma voisine, mais surtout, je pense que j’étais intimidé par son audace grandissante. Elle menait le jeu. Ca me plaisait. J’aimais jouer les fainéants parfois et ça me relançait.

7. Salle-à-manger

Elle donne sur le salon, entravée par une baie qui s’ouvre sur les fenêtres qui s’arrondissent vers la rue. Comme un bateau, affolé de pluie quand il fait temps de chez nous l’automne, pluie, à chaque saison en fait. J’ai acheté cet appartement à cause de ces fenêtres, je crois. Elles ouvraient la pièce vers l’extérieur. De la salle-à-manger, toute cette lumière tombe sur la table ronde comme des vitraux de sable. Des plantes vertes, très hautes que je chéris, des bibliothèques, quelques sculptures que j’ai achetées au fil du temps, des gravures, des toiles amies, un lustre en verre bleu. Nous avons mangé face-à-face à cette table, je me levais pour l’embrasser. Elle me rendait de longs baisers en glissant sa main sur mes fesses. J’ai adoré ces dîners qui se terminaient à la chambre ou au salon. Je lui servais des Mojitos pendant que préparais nos agapes dans la cuisine et elle était toujours un peu « chamaillée », comme elle disait, quand j’entrais dans la pièce, les bras chargés de plats. J’étais heureux, j’en suis sûr, de ces moments plus que des autres probablement. Avec le vin, elle se « chamaillait » un peu plus à chaque verre et elle me parlait si longuement de sa vie, de ses désirs, de son métier qu’elle adorait, traductrice, de ses parents parfois, mais peu. De sa fille, aussi, qui était reliée à tout ce qu’elle me racontait. D’une façon ou d’une autre, Aurélie faisait cœur avec son travail, ses amis, sa famille, ses désirs, ses projets et nous. Plusieurs fois, elle a dit « nous ». En parlant d’elle, d’Aurélie et de moi. Je me suis habitué à ce trio que ne connaissais pas encore. Elle attendait avant de présenter. Elle ne savait pas si Aurélie pourrait accepter que sa mère…Mais Aurélie serait la seule juge de notre avenir, ça elle me le disait nettement, même quand elle était fort « chamaillée »…J’enregistrais, je me tenais un peu à l’écart, j’enregistrais.

8. Ascenseur.

Trop petit, un miroir, un téléphone de secours, j’habite au premier, donc, pas très utile pour moi. Sauf que le temps de la descente devient celui du meilleur baiser, le dernier. Elle sortait de la cage, un coup d’œil dans le miroir, le rouge à la commissure des lèvres, elle respirait plus profondément et elle ouvrait la porte en me disant au revoir comme des amis se saluent. J’étais glacé à chaque fois. J’attendais son retour pour qu’elle me réchauffe. Chaud et froid. Mais plus de chaud que de froid. Je remontais à pied, de rangeais tout, je me mettais à l’ordinateur et j’écrivais ce que je venais de vivre. Je ne sais pas pourquoi mais je ne peux vivre sans imaginer que ça va servir à quelque chose qui a à voir avec l’écriture. J’aime certains de mes échecs pour la matière qu’ils m’ont offerte. Je me soupçonne même de me compliquer la vie pour aiguiser mes outils, ceux qui me permettent de pénétrer au plus profond celles et ceux que je croise. Pour les voler subrepticement de qu’ils ignorent parfois. Ca fait du matériau. Pour écrire, pour mourir aussi.

9. Bureau.

C’est là que mon ordinateur, mes encyclopédies, mes livres de référence, mes classeurs, tout mon barda professionnel se trouve. Une longe table aussi avec des couleurs, des pigments, des pinceaux, des râpes…J’aime la nuit me mettre à ces exercices plastiques, je calligraphie des textes que je murmure mais que m’efforce à rendre illisible, je passe ces toiles sous la douche, je les recouvre, je m’amuse et je me sens heureux. Certaines sont même accrochées dans mon, hall de nuit. J’écris ici chaque jour, un peu de tout, mais c’est le soir, depuis je ne sors plus, que j’écris, loin des rencontres, des embrassades, des énergies non renouvelables que son les mondanités et les soirées solidaires et si ennuyeuses. J’écris en sachant que je coule ; Mais n’est-ce pas les vraies raisons de l’écriture, on sait qu’on coule, et on reste à bord, jusqu’au bout, avec la seule pauvre planche que nous avons, arraché de toutes parts, des mots qui sonnent ici autrement que là, des histoires encombrés de fantômes et des regards sur le lointain du ciel. C’est là aussi que je chipote ma communication, que je réponds ou pas au téléphone, que j’écoute mon répondeur, que je consulte debout mes catalogues, dictionnaires et autres gros volumes. Elle vient rarement ici. Elle reconnaît mon antre, dit-elle, c’est le bureau du Maître ! Elle me dit souvent cela avec un sourire que je sens maternel. Elle me laisse seul chez moi par respect, dit-elle. Je déteste ce mot, respect, je le hais de toutes mes forces depuis qu’il est devenu le dernier mot qu’on donne à la censure, je le conchie ce respect pisseux mais je ne peux rien lui dire de ça. Alors je marmonne un peu timide, qu’elle est la bienvenue, qu’elle peut rentrer, quelle est chez elle. Alors, elle me prend dans ses bras et elle m’embrasse plus profond encore que d’habitude, mais rapide, très rapide, comme si le lieu ne s’y prêtait pas.

10. Chez elle.

Tout est différent de chez moi, lisse, bien ordonné, luxueux et mode. Je suis un peu soufflé depuis que je sais qu’au plus profond elle n’est pas mon amie d’instinct. Je ne sais pas encore cela mais je le ressens, elle n’aime pas ce que je suis, mais je l’intéresse, je l’amuse, je l’excite, je l’apaise et je la comble. Aurélie arrive, mignonne, grande, cheveux châtains clairs, tee-shirt et jeans délavés, une coquette. Elle est adorable, elle parle lentement pour que je comprenne qu’elle pense profondément ce qu’elle me dit. Elle articule aussi respect, confiance, première fois, maman, apprendre et d’accord. Elle est d’accord pour que nous poursuivions notre relation, sa mère et moi. Et elle vient me donner un baiser tout mouillé sur la joue. La soirée se passe bien, je la trouve attachante Aurélie, très. Elle a peur de tout ce qui est vivant, l’herbe, l’eau, la terre, marcher pieds nus, alors je lui apprends peu à peu les touts petits secrets de la vie pour ne pas grandir comme une enfant vide de toute expérience et sa maman est heureuse. C’est comme ça que ça se passe, presque toujours. Pour le moment, tout le monde est heureux. Je n’ai pas oublié la Fête des Mères, le mois suivant et on s’est serré tous les trois. Je n’avais jamais connu ça, et je trouvais le tout merveilleux. Cette petits fille qui m’arrivait presque toute éduquée et en demande de père, elle ne disait pas beau-père ou quoi que ce soit d’idiot, l’ami de ma mère, son compagnon, son amoureux, non elle disait papa. J’aimais ça mais je n’en voulais pas au nom de son père ou d’un truc plus compliqué encore, mais elle disait papa. Je lui demandais de m’appeler par mon prénom mais papa revenait, à chaque fois.

11. Administration communale

On s’est mariés vite, car la petite avait son cours de danse ou autre chose dont je ne rappelle plus et sa maman était pries tous les week-ends par son travail. On a donc fait ça en semaine. Discrets. On n’est pas pour les cérémonies officielles, ni elle ni moi, je pense qu’on est d’accord là-dessus, ce sont des conventions d’un autre âge. Alors, on l’a fait cool. Mais c’était bien. Elle s’est serrée contre moi et je me suis senti si lourd tout à coup, lourd à en mourir. C’était l’émotion, probablement, les responsabilités nouvelles, une vie plus vraie qui arrivait à moi. Je me devais d’être heureux.

12. Partout

Nous sommes restés quatre ans ensemble. De beaux moments, des vacances, les devoirs d’Aurélie, la vitesse, tout ce qui se remplissait de soi, les journées passaient comme des heures et le soir nous laissait un peu hagards. On a fait l’amour alors comme des rois. Pour rechercher les moments du début, pour les réinventer, pour s’en promettre d’autres ? Mais ça ralentit. Tout ralentit. On a regardé la télé ensemble.

13. Chez moi – Salon

Je lis la requête du Juge qui me dit que je me suis mal comporté, que des attouchements, des gestes qui impliquent,…ont été commis à l’encontre d’Aurélie. Je lis et relis. Je suis glacé, j’ai peur, je tremble, je ne sais que relire ou lire encore. Je pleure, je crie même. Aurélie aurait dit…Mais je ne comprends plus rien, Je téléphone à sa maman, je parle come un dératé, je m’excuse, elle m’écoute, elle est outrée, elle me dit que rien n’aurait pu laisser croire mais qu’Aurélie a dit. Et qu’Aurélie, c’est sa vie. Et que je suis une ordure. Une ordure de père. Même pas un vrai père. Un père de deuxième main. Une ordure quoi. J’écoute le mot ordure et je suis calme. Comme si elle m’avait jugé enfin pour une faute que je n’ai pas commise mais dont je reçois le châtiment pour être exonéré de tout enfer possible. Je suis coupable, coupable de rien mais le verdict sonne juste et c’est bien. Ordure.

14. Tribunal

Tout très bruyant puis silencieux, des gens qui passent, des têtes que je ne connais ni de rêves, ni de cauchemars. Des têtes, sans plus. La Juge parle. C’est long. J’entends ignominieux, etc. Tout ce que je sais qu’on doit dire à ce moment-là pour détruire un homme. Je dis, je me reprends, je me tais. Vous n’avez plus d’emploi fixe, Monsieur, vous êtes un homme interlope, c’est ça, interlope. Je venais d’être viré. Par précaution. Elles rient toutes les deux dans un frémissement à peine perceptible des paupières. Je suis dehors. Sonné.

15. Partout.

J’ai raconté, expliqué. Tout ce que je pouvais faire, je l’ai fait. Vite la presse est arrivée. J’étais formateur, comment pourrais-je encore ? Ca a duré deux ans. Aurélie a toujours soutenu que je l’avais. La presse y revenait quand elle était en manque. Le débat des valeurs, le glissement des désirs, les limites, tout a été dit. La messe était faite. Des psys, des assistantes sociales caquetant leur bienveillance et leur horreur, des éducateurs plus intransigeants que n’importe quel kapo, ils savaient ; elles savaient, ils connaissaient, elles connaissaient ces situations et il fallait, pour le bien de l’enfant.

16. Chez moi – Bureau.

Voilà, j’écris, il est 21h59, je viens de lire la lettre de la Juge, les dernières conclusions de nos avocats, je suis perdu.
Je décide de sauver ce fichier, je le transfère sur un disque dur externe que je place dans une petite boîte. J’écris, voici la clé sur le couvercle.

17. Hall d’entrée

J’ai écrit très joliment « Je suis dans l’escalier », parce que ça sonnait vielle maison, cap et d’épée, ou comme dans un film de Sacha Guitry, je ne sais, j’entendais sa voix à cet instant, et il me disait de sa voix nasale et profonde que je pouvais encore jouer un instant. J’ai déposé alors le carton sur la commode dans le hall. Je suis retourné dans mon bureau.

18. Bureau

J’ai revisité le tout du regard pour finir par éteindre l’ordinateur et écraser mes disques durs. Ca a pris une quinzaines de minutes. Pendant tout ce temps, je pensais à ces merdes que je récoltais parfois pour en écrire d’autres mais qui me tenaient debout.

19. Hall d’entrée.

La chaise la plus solide, c’est celle de la cuisine. J’ai toujours eu le vertige et je souris en pensant que cette fois, c’est inutile. Elle est bien stable. Je monte.


(Publié dans le numéro d’hiver 2010 de Marginales, Lynchage à tous les étages)

http://www.demandezleprogramme.be/-MARGINALES-

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De quelle ancienne nuit n’êtes-vous pas revenus ?

Posté par traverse le 20 février 2010

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De quelle ancienne nuit n’êtes-vous pas revenus, de quelle ancienne nuit êtes-vous enveloppés, de cette nuit ancienne qu’on disait éternelle et qui nous tenait loin dans l’abri des lumières, de quelle nuit ancienne êtes-vous les gardiens, de quelle nuit ancienne ?

De lourdes maisons sont tombées sur la tête des grands, de petites cabanes sur le crâne des pauvres, grande ou petite mort cela revient au même quand les corps démembrés se tiennent par la hanche, l’épaule ou l’encolure et vont en titubant dans des champs si obscurs qu’on aperçoit à peine en quoi ils nous ressemblent. Des jambes, beaucoup de jambes et des bras tout autant sont sciés et coupés et jetés aux poubelles, allez sciez, tranchez, et recousez-moi ça !

Une jeune fille, robe plissée et collerette blanche s’avance et dit en souriant, nous n’avons rien et nous faisons ce que toutes pouvons.

Une autre jeune fille reprend, toujours nous n’avons rien et ferons encore plus ce que nous pouvons faire.

Dans le cabinet de mon médecin, une peinture au mur, des femmes, des hommes, la tête noire et fixe dans des robes et des pantalons de couleurs, du rouge, beaucoup de rouge, du jaune et du vert disparu. Dans ses vingt ans, c’est là qu’il est allé, comme les jeunes filles le chantent, et faire ce qu’il pouvait sous le nez des Macoutes bien aimés un moment et si vite haïs.

Une jeune fille robe plissée et collerette blanche s’avance et porte l’ombre de ce qu’elle était, elle sourit en voyant cette part d’elle-même déjà si légère alors qu’elle est si jeune encore.

Nous n’avons, vous savez, presque rien à donner, mais nous trouvons toujours quelque chose qui traîne et qui sauvera celui qui ne voit plus trace de sa maison, de ses fils, de ses filles, de la femme qui était la seule qu’il aimât.

Il n’y a pas si longtemps, je m’en souviens très bien, la terre a tremblé et ma maison de papier et de livres a perdu ses couronnes, plus de toit, de vitres et de confort, tout était en poussières mais les murs étaient là et les enfants jouaient dans ce chaos nouveau. Pas de mort, oh pardon, une vielle, ma voisine à peu près, de saisissement s’est éteinte quelques jours plus tard…

Nous n’avons rien mais nous ferons le reste, dit la jeune fille en remontant sa mèche.

Hier matin en emportant des roses pour la femme que j’aime, une épine m’a blessé et je souffre, c’est étrange, d’une vielle inquiétude, une rose et me voilà tout abattu tandis que je regarde des jeunes filles parler à la télévision.

Nous n’avons rien, mais que nous faut-il donc ? disent les jeunes filles en collerettes blanches.

Des étudiants qui n’y comprenaient rien ont étudié hier l’histoire du fouet, des peines les plus basses et s’avançaient courbés dans votre grave histoire. Ils se lèvent aujourd’hui dans la stupéfaction. Ils comprennent bien mieux mais la vie continue, les compassions hebdomadaires se suivent ici comme un feuilleton.

Nous n’avons rien mais nous avons deux bras pour serrer et aimer, des jambes pour nous lever et soulever une vieille, disent en dansant les filles de Haïti.

(à paraître dans le livre « Des écrivains du monde pour Haïti », lectures le 21 février dès 16h au Botanique, Bruxelles.)

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« Des écrivains du monde pour Haïti »

Posté par traverse le 20 février 2010

Recueil de textes, photographies et dessins inédits
Un livre vendu au bénéfice intégral des actions éducatives, culturelles et artistiques de
l’ONG FOKAL à Port-au-Prince
Un instrument de suivi par des témoins et des artistes et des écrivains pour que Haïti ne sombre
pas à nouveau dans l’oubli, une fois l’urgence passée.
Une présentation du livre aura lieu au Centre Culturel Le Botanique http://www.botanique.be
Rue Royale 236 1210 Bruxelles le dimanche 21 février à 16h00,
dans le cadre de Ewa-Ayiti, «Une oeuvre pour les artistes»

http://www.ewa-ayiti.be


Journée de solidarité avec les artistes Haïtiens.

«Des écrivains du monde» ont été sollicités pour évoquer, le séisme qui a frappé Haïti, dans des textes littéraires inédits.
Une première édition de ce recueil sera disponible à la Foire du livre de Bruxelles dés le 3 mars 2010 et au prochain Salon du Livre de Paris à partir du 26 mars 2010.

Le livre sera également accessible en librairie, et par souscription ou directement par email aux Editions du Banc d’Arguin : jfm.levallois@wanadoo.fr ou contact@éditions-banc-darguin.fr
Cette nouvelle maison d’édition créée et animée par Jean-François Mouriot assure gratuitement
l’édition et l’impression numérique de ce recueil permettant ainsi que l’intégralité des produits de la vente soient versés à des actions concrètes menées sur place dans le domaine éducatif, culturel et artistique.

Les fonds recueillis en 2010, seront versés à l’ONG FOKAL 1 choisie en concertation avec
la Direction générale des Relations bilatérales de la Communauté Française de Belgique, Wallonie-
Bruxelles International2 .

Pour permettre à cette mobilisation d’écrivains et de lecteurs solidaires de se développer
dans les années à venir, un «Espace de Solidarité» sera ouvert. Il sera accessible dans la webradio littéraire «Espace Livres3» . Ce nouvel « Espace de solidarité » accueillera au fil des mois de nouveaux textes, lus par leurs auteurs ou par des comédiens, accompagnés de musiques originales.

1« l’ONG FOKAL de Port-au-Prince gère d’importants projets sociaux qui lui sont confiés notamment par l’Union européenne. FOKAL est aussi le foyer haïtien
le plus important de la ville sur le plan culturel, bien équipé (salle de spectacles, bibliothèque,… le tout a heureusement résisté au tremblement de terre) ; il
est respecté et fréquenté par tous les artistes. »
Le site de FOKAL (Fondation Connaissance et Liberté) est : http://www.fokal.org

2 Wallonie-Bruxelles International (WBI) tél : 32.2.421.83.75 courriel : c.favart@wbi.be site : www.wbi.be
Compte bancaire spécifique : BE70 1325 9001 0625 BIC : BNAGBEBB Centre culturel du Brabant wallon – EWA Ayiti»

3http/:// www.demandezlz programme.be / – Epace-Livres

Un nouveau recueil de ces textes, accompagnés d’un bilan des actions entreprises grâce aux
fonds récoltés par la première édition, sera publié le 12 janvier 2011, date anniversaire du
tremblement de terre.

Au moment de publier ce communiqué, les écrivains et artistes ayant contribué à la réalisation
de cet ouvrage sont :

Yasmina Khadra
Philippe Robert-Jones
Eduardo Manet
Jan Baetens
Colette Nys-Mazure
Patrick Roegiers
Julos Beaucarne
Anatole Atlas
Françoise Lison Leroy
Alain Coëffard
Yoka Lié
Jehanne Sosson
Hermine Bokhorst
Evelyne Guzy
Jacqueline De Clercq
Dominique Grand (photographe)
Benjamin Spark (artiste peintre)
Chantal Boedts
Huguette de Broqueville
Jean Jauniaux
Jean-Luc Outers
François Nugues
Voltaire
Alain Delcroix
Dominique Berthelot
Chantal Boedt
Daniel Simon
Pascal Vrebos
Janine Boissard
jean Gennaro,….

Contact France :Jean-François Mouriot Editions du Banc d’Arguin – Paris
00 33 (0)1 47 30 98 23 contact@editions-banc-darguin.fr
OU jfm.levallois@wanadoo.fr

Contact Belgique:
Jean Jauniaux
ESPACE LIVRES Solidarité HAÏTI
00 32 478 43 49 37
jeanjauniaux@gmail.com

http://www.demandezleprogramme.be

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Des hommes, les bras ballants de la fatigue

Posté par traverse le 16 février 2010

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Des hommes, les bras ballants de la fatigue de ne serrer ni de ne battre, prennent l’air sur des lames bleues et froides en attendant la nuit qui tient encore tout cela debout avant le jour si sombre où des enfants se perdent en se cognant aux ombres des parents cachés dans l’encoignure des aubes réticentes. Des femmes aussi s’en vont le corps tout hésitant à se jeter dans la gueule du loup qui est parfois si doux à l’orée des famines.

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Flaubert ne sera pas à la Foire du Livre…

Posté par traverse le 11 février 2010

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Manuscrit de Flaubert

Publication du cinquième tome de sa Correspondance dans la Pléiade. L’auteur de «Bouvard et Pécuchet» traque la médiocrité de son temps… et du nôtre.

Prenons Flaubert le samedi 27 septembre 1878 dans le «Journal» d’Edmond de Concourt
:

«Flaubert, à la condition de lui abandonner les premiers rôles et de se laisser enrhumer par les fenêtres qu’il ouvre à tout moment, est un très agréable camarade. Il a une bonne gaieté et un rire d’enfant, qui sont contagieux; et dans le contact de la vie de tous les jours se développe en lui une grosse affectuosité qui n’est pas sans charme.» Ce Concourt ne comprend rien, cela va de soi, mais il nous donne une précieuse information sur l’ouverture des fenêtres. Flaubert étouffe, il suffoque, son «Bouvard et Pécuchet» lui donne un mal fou, c’est un bouquin infernal, atroce, qui le mène droit à la mort. «Mon but secret est d’abrutir tellement le lecteur qu’il en devienne fou. Mais mon but ne sera pas atteint, par la raison que le lecteur ne me lira pas. Il se sera endormi dès le commencement.» On n’a pas assez insisté, à mon avis, sur la découverte fondamentale de Flaubert, son trait de génie, sa passion, sa rage. Sartre a eu tort d’inventer pour lui le rôle d’«idiot de la famille», alors qu’il aura été le premier à sonder ce continent infini, la Bêtise. De ce point de vue, Flaubert, c’est Copernic, Galilée, Newton : avant lui, on ne savait pas que la Bêtise gouvernait le monde. «Je connais la Bêtise. Je l’étudié. C’est là l’ennemi. Et même il n’y a pas d’autre ennemi. Je m’acharne dessus dans la mesure de mes moyens. L’ouvrage que je fais pourrait avoir comme sous-titre : «Encyclopédie de la Bêtise humaine».»

Bêtise de la politique, bêtise de la littérature, bêtise de la critique, médiocrité gonflée à tout va, il faut dire que la fin du XIXe siècle se présente comme un condensé de tous les siècles, ce qui a le don de mettre Flaubert en fureur. Le pouvoir est bête, la religion est bête, l’ordre moral est insupportable, bourgeois ou socialistes sont aussi imbéciles les uns que les autres, et ce qui les unit tous, preuve suprême de la Bêtise, est une même haine de l’Art. «Qui aime l’Art aujourd’hui ? Personne, voilà ma conviction intime. Les plus habiles ne songent qu’à eux, qu’à leur succès, qu’à leurs éditions, qu’à leurs réclames ! Si vous saviez combien je suis écoeuré souvent par mes confrères ! Je parle des meilleurs.»

Il faut lire ici (ou relire) la grande lettre à Maupassant, de février 1880, elle est prophétique. Un programme de purification du passé est en cours sous le nom de moralité, mais en réalité (et nous en sommes là aujourd’hui) par la mise en place d’une conformité fanatique plate. Il faudra, dit Flaubert, supprimer tous les classiques grecs et romains, Aristophane, Horace, Virgile. Mais aussi Shakespeare, Goethe, Cervantes, Rabelais, Molière, La Fontaine, Voltaire, Rousseau. Après quoi, ajoute-t-il, «il faudra supprimer les livres d’histoire qui souillent l’imagination».

Flaubert voit loin : les idées reçues doivent remplacer la pensée, il y a, au fond de la bêtise, une «haine inconsciente du style», une «haine de la littérature» très mystérieuse, animale, qu’il s’agisse des gouvernements, des éditeurs, des rédacteurs en chef des journaux, des critiques «autorisés». La société devient une énorme «farce», où, dit-il, «les honneurs déshonorent, les titres dégradent, la fonction abrutit».

Renan se présente à l’Académie française ? Quelle «modestie» ! «Pourquoi, quand on est quelqu’un, vouloir être quelque chose ?» Savoir écrire et lire est un don, sans doute, mais aussi une malédiction : «Du moment que vous savez écrire, vous n’êtes «pas sérieux, et vos amis vous traitent comme un gamin.» Bref, l’être humain est en train de devenir irrespirable. En janvier 1880, vers la fin de son existence physique de saint halluciné, Flaubert écrit à Edma Roger des Genettes (sa correspondante préférée, avec Léonie Brainne et sa nièce Caroline, plutôt des femmes, donc) : «J’ai passé deux mois et demi absolument seul, pareil à l’ours des cavernes, et en somme parfaitement bien, puisque, ne voyant personne, je n’entendais pas dire de bêtises. L’insupportabïlité de la sottise humaine est devenue chez moi une maladie, et le mot est faible. Presque tous les humains ont le don de m’exaspérer, et je ne respire librement que dans le désert.» Simple question : que dirait Flaubert aujourd’hui ? Autre prophétie pleinement réalisée : «L’importance que l’on donne aux organes uro-génitaux m’étonne de plus en plus.»

Allons, bon : le sexe lui-même est en train de devenir Bête.

Philippe Sollers
Le Nouvel Observateur

La rage de Flaubert

«Correspondance, tome V», par Gustave Flaubert, Gallimard, la Pléiade, 1584 p., 55 euros (jusqu’au 31 mars 2008, 62 euros ensuite).

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C’est vraiment la Foire du livre! bientôt…

Posté par traverse le 11 février 2010

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Cette année, la Foire du Livre (du 4 au 8 mars à Tour et Taxis, 1200 Bxls) est centrée une fois encore sur l’enjeu du numérique, des développements d’interface entre édition papier et numérique (cela fait dix ans que ce sujet est au coeur des questions de l’édition)…L’échappée numérique, telle est la question.

Chacun y va de son idée, de sa stratégie, de ses commentaires. Il me semble que l’évidence est vive aujourd’hui: des pratiques de lectures sont en train de se modifier et des structurations de pensée également. Que ça me plaise ou nous, que ça vous inquiète ou non ne pèse en rien dans la balance de la conquête des marchés. La pratique du numérique a déjà sauvé de l’oubli des millions de textes rares, difficiles, incongrus, alternatifs, cette même pratique a fabriqué par ailleurs des illettrés (le recul nécessaire à la pensée et à la réflexion est barré par la vitesse du surf et de l’encombrement des informations. L’Ogre a perdu son nez et a la panse pleine. On verra si ses tripes sont en or…)

Le livre reste la machine de guerre de la pensée et du poétique irremplaçable et résiste à toutes les pannes d’électricité, de froid, de chaleur ou de virus. Mais sa matière est vite dégradée. Le numérique est l’enjeu prioritaire des marchands et nous cherchons tant de justifications pour tenter de montrer que cette machinerie-là a autant d’avantages démocratiques que l’autre. On peut sourire, mais cela devient inconvenant, de cette assertion que chaque jour la guerre des médias contredit…

Cela dit, le numérique a tant de filières géniales qu’il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas les reconnaître. Mais pourquoi vouloir à tous prix égaliser ces façon d’être au monde ou dans le monde? Le livre reste un objet, une idée, une icône impressionnants pour beaucoup (la mythologie du livre est élitiste, combattante, militante, provocante, populaire …mais certainement pas banale). Le Net mise sur sa transparence, sa banalité, presque sa trivialité. Il est évident. Le numérique ne disparaîtra pas, il est Le support et la pensée, Dieu est partout et il a un prénom, Google, Apple, Microsoft (il suffit de choisir sa théologie qui est toujours, dans ce domaine, monothéiste et intégriste…Tiens donc.)

Bref, la bataille sera rude et elle est déjà perdue pour les partisans du gagnant-gagnant….La vérité, probablement, est déjà sous nos yeux. L’inégalité culturelle est une réalité qui s’en va croissant et le Net a permis un formidable bond dans le néant comme dans la culture…That’s all folks!

Signatures des auteurs de la Collection Je:

irenacover1.jpg Michelle Dantine avec son récit Irena, matériau chair (Un des effets collatéraux de la Chute du Mur: la traite des êtres humains, les marchands de chair, la prostitution comme économie de base,…Un récit dur, incisif, âpre et d’une écriture finement maîtrisée).Michelle Dantine est née à Bruxelles en 1950. Après des études de communication, elle a exercé notamment en tant que correctrice et écrivain public. Elle participe à l’écriture au sein d’une troupe de théâtre action qui a pour but la sensibilisation du public à la problématique de la santé mentale. Elle prend régulièrement part à des ateliers d’écriture et de gospel. Elle pratique également la photographie argentique et travaille actuellement à un projet combinant écriture et photographie et qui a pour cadre les cimetières de Bruxelles.Irena, matériau chair est son premier livre.Michelle Dantine sera présente sur le stand Couleur Livres à plusieurs reprises mais vous pourrez la rencontrer pour une séance de dédicace le vendredi 5 mars de 15h à 16h)C'est vraiment la Foire du livre! bientôt... dans carnets pdf coverirena.pdf

arton537e55eb.jpg Je vous écoute de Daniel Simon (un opuscule sur la lecture, les bibliothèques, les ateliers d’écriture… (édition en juin 2009. Sortie officielle à la Foire.) Je serai présent sur le stand tous les jours sauf le vendredi, dédicaces le dimanche 7 mars de 17 à 19h.

et dans une nouvelle Collection, Je / Contrepoints(Une collection où réflexions et méditations sur des pratiques vont en contrepoints)

Guy Delhasse avec Quand Je éduque les autres. (Soir de tempête. Un bâtiment planqué dans un coin de colline. Je veille sur le sommeil de mineurs placés. Je se raconte, cherche au plus profond de lui les circonstances qui font qu’éduquer est bien devenu son métier. Il veut transmettre, ca c’est l’évidence mais transmettre quoi ? Qui est ce Je pour prétendre conjuguer le verbe éduquer avec un objet direct bizarrement nommé …Lautre ? Un charpentier charpente, un cuisinier cuisine. Et un éducateur éduque…. Surtout quand la tempête fait rage !)
Guy Delhasse est passionné par l’écriture dans différents domaines. Il est auteur de guides littéraires et d’ouvrages pointus dans le domaine de la chanson française. Educateur professionnel depuis plus de 30 ans, il a publié « Quatre saisons d’un éducateur spécialisé » en 1994 et en 2004. Il prépare le troisième et dernier tome pour 2014… Dédicaces le dimanche 7 mars de 17 h à 19 h.

Stand : 134
Coordonnées :
Rue Lebeau, 4
6000 Charleroi
Belgique
Tél. : 0032 71 32 63 22
Fax : 0032 71 32 63 22
Adresse e-mail : secretariat@couleurlivres.be

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Vous serez encore alors que vous apprenez si peu

Posté par traverse le 6 février 2010

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Oeuvre de Martin Vaughnjames

Vous serez encore alors que vous apprenez si peu, que l’encrier se vide et que le monde s’écrase si souvent sur l’épaule du monde, vous serez encore ce voleur d’enfant qui ne quitte plus la cache où il s’est réfugié en comptant, fermant les yeux si forts qu’ils ne se décollent plus et vous allez ainsi dans l’aveugle tourment des hommes sans maison, marmonnant des injures et de sombres comptines où les oiseaux effrayent les dieux logés en vous ; vous serez encore mais moins et bien plus bas, allant dans les amours comme on s’en va au champ pour glaner de quoi vivre en attendant l’hiver, les bras trop lourds de vous porter ainsi depuis si longtemps tandis que les saisons s’ennuient dans la répétition des mêmes rémissions.

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L’enfant assassin

Posté par traverse le 6 février 2010

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L’enfant assassin constitue le premier morceau de La mort marraine

Pièce en quatre morceaux pour acteurs et marionnettes

L’écriture de cette pièce a été encouragée grâce à l’octroi d’une Bourse d’aide à l’écriture du Ministère de la Communauté française Wallonie-Bruxelles en 1999.

1.

(On entend des chants d’enfants, des rondes, des musiques populaires, des portes qui claquent, des ronflements de moteur,…
Quelqu’un entre…Il porte une marionnette de toile rude, une sorte de poupée marquée de coups et de déchirures,…)

L’homme : L’enfance…

(Il montre le corps démembré de l’enfant à la cantonade)

L’homme : Celui-ci…est-il mort, est-il vivant ?

L’enfant : J’avais 12 ans, exactement, un bon garçon, un peu vif, un peu nerveux , mais plein de santé et de rêves dans la tête et le ventre.

L’homme : …du ventre surtout, c’est là que le malheur sommeille:… on aurait dit en le voyant…comme si c’était du cinéma ! Rien de vrai: il jouait, il imitait. C’est ça…

L’enfant : (il l’imite) Je frimais qu’il disait…

(Un temps)

« Qu’est-ce que je t’ai fait ? Hein, qu’est-ce que je t’ai fait ? Tu veux ma photo ? Enfoiré, fils de ta mère et ennemi de ton père ! »

L’homme : Et il ajoutait : « J’ai la haine rien qu’à te voir, je te dis, la haine de ta gueule, la haine de ton image, la haine de toutes vos images, la haine de ton usine à images, la haine de toutes vos images ! La haine, je dis !»

(Un temps)

Il était trop tard. Il n’était déjà plus parmi nous…Il marchait dans des régions de brume où il croyait se reconnaître, il allait dans des villes en décombres dont il ne connaissait pas le nom…

(Un temps)

Il crachait sa haine et levait le poing aussi dur que sa tête, il frappait comme ça…

L’homme : ( frappe dans le vide, frappe, frappe jusqu’à épuisement, comme un boxeur sur le ring )

L’enfant : Vous vous souvenez de moi ?.Vous vous en souvenez ? Vraiment ? Je sens qu’un grand froid m’envahit, après le feu de la colère…Froid.

(Au marionnettiste…)

Et toi, tu t’en souviens ?

L’homme : Qu’est-ce que tu veux, petit ?

L’enfant : Rien, je demande, juste pour voir, juste pour passer la tête encore un peu dans cette histoire…avant qu’on me la coupe…

(Rires. Un temps)

J’aime ce monde où tout est possible…Par exemple…
Je prends ta main (il prend la main du marionnettiste), je la regarde, elle est grande ou petite ?

L’homme : Normale…Enfin, je crois. Oui, normale, c’est ça, ni trop grande, ni trop petite. Comme qui dirait une main bien en main…

L’enfant : Si je la regarde longtemps, c’est là que le plaisir commence : elle enfle, elle grandit, elle remplace toutes les autres mains, elle devient une main…générale… et elle devient alors… une simple image, comme une image de main qui aurait disparu du monde des mains. Une main sans corps, une main sans nécessité de main, une main livrée à son destin de main…générale, coupée du monde, une main enfin qui m’appartient!

L’homme : …laisse ma main…elle t’aide à parler en ce moment…(il manipule)

L’enfant : Ce n’est pas très important une main, puisqu’il y en a deux…Tu peux la couper, la faire fondre, la brûler, la remodeler, la placer dans le Musée des mains, dans la vitrine des mains, dans le magasin des mains, tu peux la vendre comme main de rechange ou de dépannage, tu peux faire de cette main tout ce que tu souhaites…Mais elle m’appartient aussi: juste une image. Il suffit de la regarder longtemps…Ta main, je la regarde et plus je la regarde plus elle m’appartient…

(L’homme retire sa main)

L’enfant : Personne n’a regardé mes mains, ni le reste, personne…Mais chacun s’est servi de moi, sans me regarder. J’ai été mangé à toutes les sauces, dévoré cru aussi, mais on m’a pas regardé…

(L’homme intervient avec vigueur)

L’homme : Du calme, petit, on te regarde en ce moment…A l’instant, tu es important, ta main, tes mains, le reste, toi, tout entier…

L’enfant : Ma tête est lourde, je rêve d’un monde que je ne connais pas, je rêve d’une vie qui n’existe pas pour moi, de quelque chose qui me donnerait de la force et userait ma fatigue…Je rêve et je suis encore plus enfoncé dans ma colère…une lame blanche dans ma colère noire…du fer dans le mou des ventres…un crochet dans la gorge du monde !

L’homme : Petits salopards ! On les laisse faire et il vous arracheraient le bras rien que pour passer un bon moment…Petits salopards…

L’enfant : …de l’acier dans les chairs…

L’homme : J’en ai dans mon quartier qui cassent tout ce qu’ils touchent, le diable en plein travail !
Petits salopards !

(Il frappe)

L’enfant : …des larmes dans le cœur…

(Il frappe)

L’homme : J’en connais aussi qui s’attaquent aux plus faibles, pas à moi, ça, non, ils n’oseraient pas, mais aux plus faibles, vieux et débiles, ils frappent et cognent rien que pour voir comment ça se défait, la vie…Petits salopards !

(Il frappe)

L’enfant : …de la peur jusqu’au plus haut du dos, des sueurs,…

L’homme : Le plus grave, le plus infect, c’est quand ils donnent à toute cette dévastation un air de fête, ils chantent autour des feux qu’ils allument en pestant contre leur misère, ils lancent de l’essence contre les murs des écoles et des hôpitaux, ils violent leurs profs, frappent et crachent, pleurent en crachant et frappant, insultent jusqu’au nom de leur mère et pleurent encore et encore dans des flots de salive…Ils s’en foutent des barrières, des interdits, des barrages contre le mal, ils s’en foutent des écoles, des hôpitaux, des bibliothèques et des asiles, rien de leur échappe, ce sont des barbares, ils frappent là où c’est le plus sensible, ils frappent au cœur de leur propre désespérance, ils tranchent dans la chair de leur propre vie, ils se coupent les bras et les jambes et tombent sur le dos en couinant des injures aux passants…Enfants perdus, pauvres enfants, petits salopards !

L’enfant : Pires que des chiens, pires que des bêtes féroces, abandonnés de tous !

(Un temps)

Ouais, de tous…

(Un temps)

Et rien ne sert de vouloir encore voir en eux l’avenir !
Ils ne pourront rien pour nous, ils détruiront le monde qu’ils ont voulu construire, On ne peut plus rien pour eux…Tant pis !

(Il frappe et frappe, encore et encore)
L’homme : …miserere…

L’enfant : Il me semble qu’on parle de moi…

L’homme: Tout doux, tout doux,…On parle, c’est tout, on dialogue, on échange, on communique…

L’enfant :… c’est l’impuissance des pères qui leur fait souhaiter la mort de leurs fils…L’Ogre, encore et toujours, aux mille visages, aux yeux flambés, aux appétits sans repos…Il dévore, mâche, engloutit, avale, rote et digère notre seul espoir : que tout cela n’ait été qu’une image…

L’homme: C’est notre monde…Détruire ce qu’on ne peut aimer…

L’enfant : Au début, tout était simple, beau, accordé aux couleurs des images. Tout semblait pur et innocent, rien n’encombrait le bonheur des images et c’est ce monde que je j’aimais, le seul que je connaissais, au début.

( Il s’agite, tire sur ce qui le relie au marionnettiste )

L’homme : Les images se sont éteintes.

L’enfant : Et alors, c’est le vacarme et les injures qui envahissent l’horizon, c’est la poisse et les crevures, la merde et le vomi des hommes. Voilà, ce qui a pris place au centre de l’écran…

(Il s’agite de plus en plus fort)

Et moi, enfant…

(Il prend le marteau)

…presque père, bon fils, peut-être, homme jeté dans le brouillard du monde, j’ai pleuré un court instant…Dans les caves, dans les cachettes où je me livre aux sanglots et là, la haine a occupé mon ventre et je suis sorti de ce terrier les yeux fragiles et les épaules nouées. Je suis sorti tout entier habité de force et de crimes. Fallait que ça pète, que le bouchon saute, faut détruire les images!

L’homme : Petits salopards !
Ils sont pires que des chiens, les yeux doux et les dents dures comme des pics enfoncés dans le ventre de leurs parents…
Petits salopards !

La mère : Le temps rétrécit maintenant, il ne reste presque plus rien à jouer, tout est en place pour conclure l’écriture de cette histoire commune…

(L’homme, là, va répéter, à l’infini, sa phrase…)

L’homme : Petits salopards !

La mère : Et l’enfant va l’entendre une fois de trop…

L’homme : Ouais, petits salopards !

La mère : Et l’enfant va oublier qu’il est un enfant…

L’enfant : Ce n’est qu’une image, l’image de mon père foutu le camp, l’image de moi en tueur de sang froid, l’image du monde qui flambe et se relève à chaque nouvel épisode…

La mère : Et l’enfant déjà pénètre dans le troisième cercle de l’enfer…

L’enfant : Il va dire encore une fois cette phrase, honnie, vomie, crachée et puis reprendre son travail comme si les mots étaient sans effets…

L’homme : Petits salopards !

(L’enfant se saisit du marteau et frappe l’homme d’un seul coup. L’homme chancelle et tombe)

La mère : L’histoire est conclue…

(La lumière baisse lentement. L’homme se relève, reprend la pose)

L’enfant : (qui frappe à nouveau l’homme qui retombe et chancelle comme la première fois) Et l’image de cet homme qui tombe et se relève, se relève et chancelle, aller-retour, arrêt, pause. Tout est terminé, l’image peut vivre sans nous, elle se perpétue, se démultiplie, s’envole dans les voies numériques, se perd dans les réseaux du monde, décolle de moi et je suis ici…

(La lumière se rallume lentement)

…dans les bras de ma mère, engourdi, perdu, retrouvé, confus, peut-être enfin né, perdu à nouveau un marteau à la main, voilà, l’avenir me porte vers vous, le temps rétrécit, ma mère est déjà là, je connais son histoire et celle que vous inventerez pour me faire supporter la mienne, la seule que je connaisse à l’instant, hors mes épisodes qui m’ont fait tant rêver et que vous rebrancherez pour y chercher les signes, l’ombre, l’origine même de ce marteau…

(Un temps. Apparaît le Bouffon)

Bouffon : Erreur, gamin, erreur, je suis quoi, moi, dans cette histoire ?
Je suis quoi, moi, dans ce vaste foutoir ?
Le père ? Que dalle !
Le Bouffon, oui, le foutriquet de Père peut-être mais le Bouffon sûrement et l’homme qui est cassé, là, c’est qui, d’après toi ?

L’enfant : Une ombre, un méchant !

Bouffon (qui l’imite) : Une ombre, un méchant !
La preuve de ton ignominie, gamin, un cadavre, un corps brisé, ton père, qui sait ?

L’enfant : Sa main…Son odeur, sa présence tout simplement, je n’existais plus !

(Il pleure)

Bouffon : Et tu tues, et tu as peur et tu disparais dans ta peur et tu frappes ton ombre paternelle, ton frère, toi-même, peu importe, c’est toi qui vas mourir pendant tout ce temps qui reste, lui, c’est fini…

(Entre une multitude d’enfants, bouches ouvertes)

Bouffon : D’où ils viennent, d’où ils viennent, ces petits salopiots, d’où qu’ils viennent, crédieu ! Des ombres, toujours des ombres, tes frères, toi et tes frères !

(Le Bouffon sort en criant)

Toi et tes frères de sang, de sang, de sang !

L’enfant : Voilà, tout est calme enfin.
Le monde tout autour de moi n’a plus d’épaisseur, plus d’odeur, plus rien qui me rappelle que je vais finir mon éternité avec ce corps brisé enfoncé tout au fond du cœur. On dira de moi que les images étaient terribles…

La mère : Oui, les images étaient terribles…

L’enfant : Les images n’étaient plus que des images et moi, une image collé dans l’image générale, une image, toute petite image…

(L’enfant disparaît dans l’ombre)

La mère : Les images n’étaient plus que des images et lui, une image collée dans l’image générale, une image, toute petite image…

(Elle vient s’asseoir près du public et continue ce bref monologue jusqu’à extinction du plateau)

Ca a continué comme ça plus longtemps qu’on l’aurait cru, d’autres sont venus, révolvers, mitraillettes, fusils à pompe et ont tiré, dans le tas, dans ce doux tas d’enfants, sont repartis à l’instant dans le champ des morts où ils étaient lâchés, certains ont pas pu résister à cette disparition d’eux-mêmes dans le monde des images où ils n’étaient que l’ombre de leurs pères, l’ombre perdue de leurs pères, la petite ombre de ce qu’ils avaient rêvé d’être…

(La lumière tombe et l’enfant se penche lentement sur le corps désarticulé, en silence, et tente de le remettre debout, inlassablement).

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