De quelle ancienne nuit n’êtes-vous pas revenus ?
Posté par traverse le 20 février 2010
De quelle ancienne nuit n’êtes-vous pas revenus, de quelle ancienne nuit êtes-vous enveloppés, de cette nuit ancienne qu’on disait éternelle et qui nous tenait loin dans l’abri des lumières, de quelle nuit ancienne êtes-vous les gardiens, de quelle nuit ancienne ?
De lourdes maisons sont tombées sur la tête des grands, de petites cabanes sur le crâne des pauvres, grande ou petite mort cela revient au même quand les corps démembrés se tiennent par la hanche, l’épaule ou l’encolure et vont en titubant dans des champs si obscurs qu’on aperçoit à peine en quoi ils nous ressemblent. Des jambes, beaucoup de jambes et des bras tout autant sont sciés et coupés et jetés aux poubelles, allez sciez, tranchez, et recousez-moi ça !
Une jeune fille, robe plissée et collerette blanche s’avance et dit en souriant, nous n’avons rien et nous faisons ce que toutes pouvons.
Une autre jeune fille reprend, toujours nous n’avons rien et ferons encore plus ce que nous pouvons faire.
Dans le cabinet de mon médecin, une peinture au mur, des femmes, des hommes, la tête noire et fixe dans des robes et des pantalons de couleurs, du rouge, beaucoup de rouge, du jaune et du vert disparu. Dans ses vingt ans, c’est là qu’il est allé, comme les jeunes filles le chantent, et faire ce qu’il pouvait sous le nez des Macoutes bien aimés un moment et si vite haïs.
Une jeune fille robe plissée et collerette blanche s’avance et porte l’ombre de ce qu’elle était, elle sourit en voyant cette part d’elle-même déjà si légère alors qu’elle est si jeune encore.
Nous n’avons, vous savez, presque rien à donner, mais nous trouvons toujours quelque chose qui traîne et qui sauvera celui qui ne voit plus trace de sa maison, de ses fils, de ses filles, de la femme qui était la seule qu’il aimât.
Il n’y a pas si longtemps, je m’en souviens très bien, la terre a tremblé et ma maison de papier et de livres a perdu ses couronnes, plus de toit, de vitres et de confort, tout était en poussières mais les murs étaient là et les enfants jouaient dans ce chaos nouveau. Pas de mort, oh pardon, une vielle, ma voisine à peu près, de saisissement s’est éteinte quelques jours plus tard…
Nous n’avons rien mais nous ferons le reste, dit la jeune fille en remontant sa mèche.
Hier matin en emportant des roses pour la femme que j’aime, une épine m’a blessé et je souffre, c’est étrange, d’une vielle inquiétude, une rose et me voilà tout abattu tandis que je regarde des jeunes filles parler à la télévision.
Nous n’avons rien, mais que nous faut-il donc ? disent les jeunes filles en collerettes blanches.
Des étudiants qui n’y comprenaient rien ont étudié hier l’histoire du fouet, des peines les plus basses et s’avançaient courbés dans votre grave histoire. Ils se lèvent aujourd’hui dans la stupéfaction. Ils comprennent bien mieux mais la vie continue, les compassions hebdomadaires se suivent ici comme un feuilleton.
Nous n’avons rien mais nous avons deux bras pour serrer et aimer, des jambes pour nous lever et soulever une vieille, disent en dansant les filles de Haïti.
(à paraître dans le livre « Des écrivains du monde pour Haïti », lectures le 21 février dès 16h au Botanique, Bruxelles.)
C’est encore plus beau à la deuxième lecture… A bientôt, Evelyne
Evelyne dit: « Encore plus beau à la deuxième lecture… »
La première, pour moi, fut de la bouche de Daniel. Une lecture donc avec le ton qu’il faut, avec les silences qu’il faut et la chaleur de la voix qui fit le reste…
J’en fus, je te l’ai dit Daniel,ému à en embuer mon regard.
Ma deuxième lecture ne donne, c’est étrange,la sensation d’une ronde, le sentiment d’un chant qui monte du plus profond des âmes.
Merci Daniel pour ce texte superbe.
Ivan