Interculturalité et littérature

Posté par traverse le 30 mars 2010

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L’imaginaire flottant comme langue globale de la littérature

L’universel, c’est le local sans les murs.
Miguel Torga.

Exit Neandertal

L’évolution est telle que Cro-Magnon et Neandertal cohabitèrent il y a quelque centaines de milliers d’années. J’imagine que les clans cohabitaient, se rencontraient et développaient des stratégies de combat ou d’évitement. J’imagine qu’ils s’observaient, qu’ils pouvaient même échanger des objets, des signes, des émotions. Mais Neandertal disparut et ce fut Cro-Magnon qui poursuivit sa longue histoire jusqu’à nous.

Ces deux branches de l’espèce hominidé avaient l’une et l’autre des chances égales de se perpétuer, nous rappellent les paléontologues. Mais ce fut Cro-Magnon qui l’emporta dans la course de « cohabitation » car, toujours selon les experts de la question, c’est lui qui aurait développé des éléments de langage suffisant et aurait été capable de mettre en récits la vie de la Tribu.

Je ne doute pas du fait que Cro-Magnon et Neandertal ne faisaient pas que coexister même s’ils ne pouvaient se reproduire. Ils devaient rêver des uns et des autres, se craindre ou se désirer, se caricaturer, se mettre à imiter les faits et gestes de l’Autre.

Des mondes étaient associés dans des imaginaires primitifs mais ils étaient probablement contaminés par l’existence de tous.

Puis Cro-Magnon s’élança vers l’aventure du langage et des formes. Les langues, liées aux territoires et à l’alimentation de base naquirent. Les langues du blé, du riz, du mil se développèrent jusqu’à instiller dans chacun des membres de ce monde en marche des figures de représentation, des images, des rites qui se croisèrent régulièrement avec ceux des peuples voisins ou même singulièrement éloignés.

Les langues s’imprégnèrent les unes les autres, elles portaient des traces du langage voisin, elles développaient des représentations mixtes et dans l’Empire romain, les peuples soumis par Rome et désireux de s’inscrire dans la pax romana étaient nommés, les Flavius. Le nom romain remplaçait le nom gaulois ou perse ou germain. Les Flavius avaient été intégrés à la grande Rome en perdant une part de leur identité pour en gagner une plus large. Ils parlaient cependant leurs langues, matinées des emprunts de la langue dominante, le latin. Le gallo-romain se développait, des scénarios de cosmogonie se différenciaient, des récits évoquaient les traces des autres civilisations. Cela ne se fit pas sans casse, ni sans souffrance, ni sans lutte, mais cela se fit.

Cosmopolitisme du réel, interculturalité des imaginaires

Dans quel monde perclus de naïveté saint-sulpicienne sommes-nous aujourd’hui, pour croire qu’une interculturalité se développe dans l’assentiment et la paix, lisses comme des vœux pieux. C’est d’une relation « chaude » qu’il s’agit, d’un frottement râpeux, d’un échange violent parfois et jamais sans risque. Les discours sur l’interculturalité commencent à laisser entendre un, déni de la différence au nom de cette même différence érigée en qualité première. Pour quelles raisons ? Probablement parce que rien n’a été mis en, place pour penser cette dimension interculturelle à temps. Et qu’il ne reste aujourd’hui, sur le réel antagoniste, que des emplâtres langagiers qui ne trompent que les aveugles et les sourds.

Cosmopolitisme, pluriculturalité, oui, mais de quoi s’agit-il quand on parle d’interculturalité et précisément d’interculturalité dans la littérature ?

Cette interculturalité suppose que nous échangions, à notre insu même, des valeurs qui sont supposées, faire lever dans chacun de nous une pâte insoupçonnée, bonne comme un pain béni. L’ironie est utile aussi, me semble-t-il, quand on évoque cette dimension autant érigée en évidence qu’en obligation.

Cela suppose que nous nous empruntions des valeurs, des signes, des codes qui nous augmentent. Vaste programme que des générations contestent dans les faits. Nos tribus cohabitent, se frôlent, se mêlent aussi mais au prix de quels dénis ? Cette interculturalité, territoriale et culturelle, est politique et on sait que cela passera par la Loi. Et cette Loi sera le référent commun, né dans le débat de l’Agora.

Dans la littérature, il en va tout autrement. Des langues et des récits représentent ce que nous jouons sur l’arrière scène de notre monde. Ils sont en perpétuelle mutation et traduisent, déforment, idéalisent des rapports de force qui produisent en nous de nouvelles découvertes, si ce n’est des éclaircies de vérité. La littérature, les littératures, plutôt, obéissent à des codes et des référents civilisationnels et politiques parfois étrangement éloignés et cependant au même travail. Ces littératures racontent des lieux communs de notre humanité traversés de singulières et improbables péripéties. Quelque chose de tendu est à l’œuvre dans ces croisements et des chocs sourds se laissent deviner. La figure de l’un dans une littérature est dominante un temps pour disparaître plus tard ou se retourner en figure dominée.

« Les autres »

Dans un petit village italien aujourd’hui, les habitants, ayant pourtant tous connus les difficultés de l’immigration dans leurs trajectoires familiales, nomment les étrangers débarquant dans leur village, « Les autres ». Ca semble choquant pour les bonnes âmes tentées par la grande fusion, mais au-delà de cette nomination rude et même apparemment excluante, « les autres » semblent aussi être marqués par un désir, une érotisation même. Des récits se conjuguent dans ce désir-là et « Les autres » vont devoir montrer pattes blanches pour devenir peu à peu, Michele, Mohamed, Kenan, Diallo, etc.…Le prénom, sacre de la différence et de l’identité, est aujourd’hui revendiqué comme trace positive de multiculturalité. Flavius est mort.

La littérature française, nombre de littératures européennes, ont érotisé le rapport à l’homme noir, par exemple. Et réciproquement. Des façons d’intégrer l’autre dans le récit convenu du temps, ce qui n’excluait pas la puanteur raciste et l’aveuglement historique.

Puis le sanglot de l’homme blanc (Pascal Bruckner) contribua à agiter dans les récits des blancs des figures abjectes de l’ancien colon et, dans les récits des noirs, ceux-ci se barricadèrent dans les figures de victimes expiatoires. Puis les récits se transformèrent pour décliner des représentations plus complexes, plus subtiles, plus paradoxales. Aujourd’hui, il est mal venu de traiter l’homme blanc en figure positive, le « black » par contre monte à la Bourse des valeurs. La langue française, par exemple, se déploie dans plusieurs continents qui impriment au langage les vertus et les fantômes du temps et de l’endroit.

Gageons que nous devrons compter avec la langue française des caraïbes encore plus en ce vingt et unième siècle naissant dans le chaos. Haïti, forcément, va faire remonter dans notre langue française, après le séisme qui fait table rase apparente d’un morceau d’île, des flux qui nous traversent tous : peur, compassion, solidarité, incompréhension, désolation, …

Et les littératures vont nous confronter aux interdits que cette tragédie éveille aussi en nous. L’humanitaire du « Sauvons Haïti » sera inévitablement contrebalancé par les questions et les récits que les écrivains vont en faire. Des terreurs plus parfondes vont remonter, des espoirs plus anciens se faire entendre à nouveau. Les écrivains par ailleurs, tout de suite, nous ont dit qu’ils se posaient les questions des Haïtiens, du point de vue des Haïtiens et pas de celui de notre grand besoin de Consolation. Ils rappelaient que ce travail se faisait en français, dans une langue partagée, non dans des intersections territoriales ou nationales, mais dans une intertextualité inévitable. Nos récits sont marqués au plus profond de la langue par des empreintes locales qui viennent à nous tout naturellement dans les dispositifs littéraires qui nous renvoient à notre étrange étrangeté reflétée dans celle de l’Autre.

L’intertextualité, comme première étape

L’intertextualité, cette façon de faire échos dans chaque nouveau texte à un texte dispersé, enfoui, incertain mais résonnant en nous, ne serait-ce pas là, la véritable première étape de l’interculturalité dans la littérature ?

Nous avons des images, des couleurs, des accents syntaxiques qui nous viennent de la littérature du voisin, proche ou lointain, ami ou ennemi, réel ou fantasmé. Et de cette intertextualité, le monde d’aujourd’hui commence à percevoir les effets en temps réel. Les migrations accélèrent la cadence du temps, des dispositifs d’imaginaires se croisent avec une célérité jamais atteinte.

Des littératures se confondent à certains endroits dans des récits si proches qu’on ne sait plus à qui il appartiennent vraiment. A moins que cette incertitude ne forge encore plus d’arguments à l’imaginaire. Petit Poucet voit ses morceaux de pain mangés par les oiseaux et élabore alors un système plus résistant. Les cailloux le mènent droit à la Maison de l’Ogre. Voilà le résultat de ne pas s’être perdu dans la Grande Forêt. Les filles de l’Ogre y laisseront la vie et Poucet et ses frères reviennent en enfants prodigues. Un autre récit commence alors…

Cette interculturalité dans la littérature est tantôt chantée comme une ode à la rencontre poétique, tantôt analysée dans ses rapports de pouvoirs de représentations de l’Autre. Des crédos s’expriment, des pensées se développent, des désirs se dévoilent. Mais chacun parle, en ce domaine, d’une expérience intime de la langue et de la littérature. Et cette expérience est traversée par le langage, des langues, des imaginaires flottants qui ne cessent de rebondir contre d’autres imaginaires plus durs à tel ou tel endroit et qui repoussent ou intègrent en les modifiant ( comme tout système traite une nouvelle information à transmettre après l’avoir augmentée de la mémoire des mouvements précédents) ces expériences de vie et de langage.

L’interculturalité est ici chimique et non physique comme le discours culturel et politique semble vouloir nous le faire admettre. Cette chimie transforme en permanence des éléments apparemment disparates en les agrégeant ou en les déstructurant. Il ne s’agit ni de bien, ni de mal. Il s’agit simplement de reconnaître que rien d’innocent ne se trame dans cette matière.

Des rapports de force se modulent, modèlent les figures de représentation et la sauce s’élabore. Il me semble que la salade serait plus le terme à employer dans le cas de cette interculturalité littéraire. La sauce, la salsa globale, condamne les éléments épars à se désagréger et à se mélanger dans un goût unique et souvent infantile. La salade, elle, permet de distinguer tous les morceaux. Et de créer des formes combinées en empruntant des éléments à la pluralité.

La littérature est experte en cette matière de salade…Elle est créatrice de chimères. Elle met au jour ces êtres improbables et constitués de fragments d’êtres réels dispersés. La licorne n’est-elle pas une figure particulièrement parlante pour chacun, d’où qu’ils viennent, puisqu’elle n’existe que dans notre imaginaire et ses représentations ?

Notons que le pire est déjà fait en matière interculturelle, la world machine a réactivé le principe du kitsch. En gommant ce qui résiste pour le couler dans ce qui se laisse entendre sans distinction… La littérature n’a que faire de cette interculturalité-là, au contraire, elle y perdrait son pouvoir d’antidote à la Bêtise commune, de quelque culture qu’elle soit.

Des archipels contre des continents ?

En quoi la littérature-monde, ce beau programme déclaré en 2007 dans le manifeste, « Pour une « littérature-monde » en français » (Michel Le Bris, Jean Rouaud et Eva Almassy) fait la différence ? Le concept de littérature-monde devrait désigner toute littérature écrite en langue française. Le concept de « littérature francophone » est lui, en réalité, appelé à désigner les œuvres produites en français par des écrivains, dont la langue natale n’est pas le français. Nous sommes dans une interculturalité d’ouverture culturelle, dont la langue est le seul vecteur, contre le concept politique de littérature francophone.

Quand le poète et essayiste martiniquais Edouard Glissant (écrivant en français, et non, écrivain français, comme certains l’indiquent) parle de Tout-monde et développe cette belle idée de pensée archipélienne, c’est-à-dire d’une pensée faite d’ilots qu’il s’agit§ de rejoindre en nageant, en allant à gué, en prenant des risques de non-savoir d’un ilot à l’autre. C’est dans le mouvement de lien entres ces positions insulaires que la pensée contemporaine s’exprime : dans des flux plus que dans des bastions. Cette pensée archipélienne nous invite à poser les pieds sur des fragments de cultures et de savoirs épars et à en faire un archipel, un chapelet d’îles où nous allons en traversant des gués ou en nageant d’un ilot à l’autre. C’est dans ce mouvement, probablement que l’interculturalité la plus radicale s’invente. Dans la nécessité de poser le pied sur un élément connu en traversant des zones floues et incertaines. Edouard Glissant ne fait rien d’autre que d’exprimer dans une intelligence et même une pensé poétiques limpides ce qui nous arriva à chacun sur cette terre après la tragédie de la deuxième guerre mondiale, de la Chute du Mur, des mondes rapiécés et des cultures locales appuyées sur (ou contre ?) Globalia.

Enfin, la langue, débarrassée des anecdotes du récit, porte en elle les traces de cette tension entre des traitements, des cultures, des épisodes différents. Les mots s’obscurcissent ou s’éclairent, se réchauffent ou se refroidissent de l’usage du temps et du lieu. La langue est occupée de l’intérieur par l’histoire et la géographie (qui souvent se traduit de façon majestueuse dans l’oralité) et ne constitue un véritable point d’appui à la majorité que dans le cas où elle se relie à une histoire et à une expérience partagées.

Les décrets, obligations administratives et consorts ne sont que des embrouilles morales qui font que la langue devient politiquement correcte ou ce que l’on voudra mais certainement pas une langue de référence, en lien direct avec l’imaginaire. Qu’il faille forcer les imaginaires à pratiquer et à produire une autre langue, plus propre, plus nette, plus lisse, plus en rapport avec le consentement général, est une autre affaire. Et qui n’a rien à prouver. La méthode est connue. Perdre de la langue chacun le sait, c’est perdre une liberté fondamentale, celle de penser dans le retrait silencieux qui précède la parole…

2 Réponses à “Interculturalité et littérature”

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  2. Claytoncaw dit :

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