Se souvenir pour écrire un récit biographique
Posté par traverse le 19 octobre 2010
Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux…
René Char
Se souvenir pour écrire un récit biographique
Chaque écrivain, on le sait, puise son œuvre dans son expérience personnelle confrontée au réel. Boris Vian ajoutait, « Tout ce que j’ai inventé est vrai puisque c’est moi qui l’ai inventé… » Mais en réalité, l’écriture est une façon de réparer le texte déchiré de chaque vie, une façon de recoudre avec le fil du récit la matière, le tissu dans lequel nous enroulons nos vies. Raconter, donc, est une façon de reconstruire, une façon de donner à nouveau existence à ce qui fût. Cela, chacun le sait au fond de soi. Mais dès lors que quelqu’un se mêle d’écrire du biographique, un récit de vie par exemple, et les reproches s’accumulent. « Cela ne s’est pas passé comme ça, c’est une pure invention, ce n’est pas possible,… ». A libitum.
En fait, la matière de la mémoire a besoin de se dissiper dans des souvenirs qui peu à peu, eux aussi, se transforment jusqu’à nous laisser croire en la nouvelle mouture du récit de notre vie que nous reproduisons. Chocs de la vie, maladies, amours, deuils, éblouissements artistiques,…toutes ces effractions dans le corps de notre récit-vie fléchissent le cours et c’est de celui-là dont nous nous souvenons.
Quand nous affirmons que ce récit est vrai nous voulons dire précisément que nous avons tenté le plus sincèrement possible de le restituer tel que nous l’ avons gardé en mémoire. Sachant que notre mémoire a engrangé la plupart du temps des événements que nous n’avons pas entièrement vécus mais qui nous ont marqués au plus haut point. Je veux dire que la violence d’un parent à l’égard d’un enfant fait naître en lui des paroles, des situations qu’il a peu à peu construites autour du noyau dur que constitue l’événement initial. Il convient d’abord de préciser ce que recouvrent les termes « se souvenir » et « récit autobiographique ». Ensuite il sera possible d’examiner comment le travail de la mémoire est nécessaire à ce même récit autobiographique. Mais est-il pour autant sans pour autant la seule source à laquelle nous puisons ?
Le souvenir » et le « récit biographique »
Un souvenir est un résidu qui flotte en nous, un résidu émotionnel, une matière volatile faite d’affects plus ou moins vécus directement. Le récit biographique est cette mise en forme des souvenirs dans le fil d’un récit qui donne sens, momentanément ou pour l’éternité (relative du sujet). L’auteur d’un récit vde vie par exemple prendra soin de consigner ce qu’il a vécu et sera attentif à relier, à coudre (raptein coudre en grec,), à se faire rhapsode de lui-même. Cette couture des événements intimes ou publics vécus par l’auteur ne prendra tout son sens à ses propres yeux et oreilles que s’il en transforme la forme. Du flottant et éloigné souvenir, on fabrique un récit net, déclaré, ouvert à l’exploration de la lecture
Le récit de vie est profondément personnel et unifié par la vie de l’auteur. Cette unicité du récit de vie ne le met cependant pas à l’abri de ce que nous appellerons communément des « lieux communs ». Ces lieux communs sont des façons de régler la température du récit sur la température ambiante et collective. Une façon de dire et de ne pas avouer, une façon de ne pas préciser ce qui fait soudain l’expérience unique car, je le pense, nous vivons en permanence dans cette double mesure du monde qui est de nous sentir si profondément inatteignables dans cette forme unique d’existence qui est la nôtre et en même temps nous rejoignons le groupe, la foultitude des vivants par la répétition des mêmes comportements, par la répétition des mêmes rites, par la répétition du même langage.
Vérité et sincérité
Vérité et sincérité n’appartiennent pas ici à la même loi. L’étymologie de sincérité est assez belle que pour être convoquée ici …Michel Angelo, sculpte avec ses élèves dans l’Atelier de grandes et fortes sculptures de marbre. Parfois le burin des élèves dérape et pour masquer la griffure, la trace de maladresse, l’élève y remédie en bouchant la fissure de cire mêlée à de la poussière de marbre. Lors des grandes Ventes publiques des statues du Maître, le Courtier prenait bien la peine de préciser, que cette pièce, si elle était de la main du Maître était sine cere (sans cire), c’est-à-dire « sincère »…La sincérité donc est cette façon de ne pas retirer ni d’ajouter ce qui fût vécu. Pas de cire dans ce récit qui a souvent des allures de galop. La vie se laisse attraper au lasso et pour la consigner, il s’agit d’en consigner les moments forts et visibles. Les pensées intérieures déjà semblent échapper à ce récit de vie qui est alors en train d’échafauder des mines et des façons. Mais l’important est, au nom de cette sincérité de fixer l’événement, notre relation au monde et d’en rendre compte au plus près…Et cette sincérité permettra à l’auteur de défigurer le réel à l’envi, c’est-à-dire à transformer l’entendement commun en matière personnelle, intiment restituée telle qu’elle fut vécue ou telle que la mémoire de l’auteur la retenue dans le filet aux mailles qui se distendent de jour en jour…
La vérité, c’est autre chose…
La vérité requiert d’autres qualités ou d’autres dispositifs. On peut même risquer que la vérité souvent ne s’embarrasse pas de la sincérité ou plutôt elle s’appuye sur un autre type des sincérités, celle qui consiste à aller contre le sens commun qui rassemble, qui unit, qui réunit dans le souvenir commun. Et soudain, la vérité offusque, décrie, dénonce un réel que nous avions pris soin de transformer. Pourtant cette vérité n’est pas utile si elle ne passe pas le plus souvent par des accents de sincérité. Autrement dit, la représentation du vrai doit atteindre le sujet par le biais du vécu, du sincère pour pouvoir mettre en mouvement le lecteur ou l’auteur/ Cette vérité suppose aussi de s’informer alors que la sincérité déforme pour la vraisemblance du récit.
Ecrire du biographique, c’est toujours naviguer entre ces deux eaux. Ce qui nous importe dans l’atelier d’écriture, c’est de mettre l’auteur au travail de cette reconnaissance et de l’inviter à choisir, à poser des balises, à distinguer, donc à …discriminer les souvenirs du réel.
C’est dans cette apparente impasse que se loge le récit singulier que nous cherchons à tisser…ou à coudre.
On comprendra bien donc que le récit biographique ou le récit de vie peuvent se couler parfois dans des formes apparentées à la fiction. Quand l’auteur cherche à mettre à jour ces distinctions, il lui faut souvent entonner le chant de la fable pour y déceler des ingrédients qui ne se laisseraient pas manipuler sans l’usage de ces « pinces fictionnelles »…
La mémoire constitue donc le matériau le plus évanescent, le plus subtilement instable. Il s’agit, dans le récit, de le capter, comme on chasse le papillon, d’un trait bref et sec et sans aucune violence. Le texte doit viser un endroit précis et dans le même temps, l’auteur sait que pour l’atteindre, il devra contrôler son mouvement, anticiper sur le moment de la capture en mettant en place un dispositif qui permettra de rendre compréhensible par chacune et chacun ce moment de chasse incongrue.
La vraisemblance et l’inscription de la vie de l’auteur dans le Récit, sous quelque forme que ce soit, permet évidemment de ramener le papillon et de le décrire alors tel qu’il n’est pas mais tel que nous souhaiterions qu’il fût…
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