Pour cette première année de « service librairie » et de « relations lecteurs »,
La Librairie Cent Papiers
(23 avenue Louis Bertrand 1030 Bruxelles)
et ses lecteurs fêtent l’An 01!
Des textes en saluts amicaux…mais ça peut continuer et vous pouvez déposer sur ce Blog (en m’envoyant avant), je regrouperai à chaque fois vos contributions sous le même lien « Feuillets de corde spécial 15 et 16 septembre 2012. Librairie Cent Papiers – L’An 01″
MERCI!
http://100papiers.be/blog/

Librairie
Cent Papiers
Les Feuillets de corde
(Hors série -15-16 septembre 2012)
Et un raton laveur…
La librairie, le livre, la rencontre, des lieux, des désirs, des promenades, quelques impertinences, des rêveries, de la mélancolie, de la colère, des « impasses de l’imagination » (ruelle de Lisbonne), des auteurs, des auteures, des passants, des passantes, un peu de temps, aucune valeur sonnante et trébuchante, de la fraternité, des idées nouvelles, un espace à soutenir, des femmes et des hommes qui s’y retrouvent, des enfants aussi, un café, une bière, une liseuse et des conversations, une commune qui environne et qui a suscité, des fleurs au balcon, de la pluie souvent et des rayons de soleil comme des rayons de librairie, c’est Cent Papiers
DS
Merci à …..Marc Bolly, Marc Guiot, Léo Beeckman, Bérénice Castiau, Jack Keguenne, Daniel Simon, Michel Berlin, Samir Benhamou, Günther Goethe, Jean-Claude Legros, « Carla » Suzy Cohen, Milady Renoir et à Jean-Claude Salémi
Et bien sûr à David, à Ram , Véronic, à celles et ceux qui soutiennent le projet…
Cent Papiers-Un an _Schaerbeek-Textes de soutien et de complicité

Gravure Jean-Claude Salemi
Un an sans papier
Comment redorer la noblesse d’un authentique négoce de savoir et de culture dont pouvait se prévaloir un honnête libraire au temps où les livres étaient encore des produits de l’esprit et non cette fanfaronnade exaspérante de fumisterie littéraire qui s’étend sur les rayonnages reculés de monoprix et autres parcours de caddies et qui par contagion est venu souiller les soubassements d’un métier généreux et édifiant ?
La clé de cette réhabilitation n’est certes pas à chercher dans un traité de marketing, mais au concret, dans une constante sollicitude du libraire envers ses clients, ces âmes tourmentées par des angoisses existentielles qui cherchent des balises intellectuelles à leur conscience, ou au mieux désirent simplement s’appuyer le coude un moment sur un comptoir et abattre le brouillard avec le maître des lieux.
Évidemment question balises, « peut mieux faire ! ». Le libraire nous loge carrément à l’enseigne du doute : 100 papiers, sans papiers, sans papier. « 100 papiers », c’est peu face à la pression consumériste, « sans papiers » rime souvent avec « sans argent », « sans papier » mérite-t-on encore le qualificatif de « librairie » ? J’ai demandé l’avis de confrères marocains, chinois, américains, tchèques et polonais et j’ai posté leurs réflexions à l’adresse de l’établissement à Bruxelles. Au Maroc on s’est tourné vers la Mecque pour me calligraphier une définition empreinte de spiritualité, mais je ne me souviens plus du contenu. À Taïpei, on m’a appris qu’il existe un « 100 pages tofu ». En Amérique « It’s OK, if it is a buzz ». Au pays de Kafka, on estime qu’une librairie sans papier est comme une réserve naturelle où les mots vivent en liberté (cqfd).
Chez les Polonais, une librairie sans papier est comme un livre sans pages, une vie sans histoires… ce serait comme attendre le bus sur une île déserte où les mots poussent comme des champignons à l’ombre d’arbres hallucinogènes. Ces petits mots encourageants récoltés aux quatre coins de la planète ornent désormais le seul refuge de la librairie où le papier est VRAIMENT indispensable.
Léo Beeckman
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Cent Papiers. Cent, au moins
S’assoir et choisir. Attendre ou ne pas attendre. Lire ou écrire, quand même. Se signer entre les pages ou décliner son identité, locale ou universelle. Dire tiens, oui, évidemment, sûrement, bien entendu, ah c’est vous, ah c’est ça ou garder silence même si les volets sont ouverts. Glisser sur les tapis élimés, trébucher sur une envie d’être là et tomber, quand même de tout son long sur la table d’hôtes, en bois, en nœuds et en annonces. Il y a un coin (de rue), des cases, des carrés, des rectangles, des cubes, au sol, sur les murs, c’est une question de lignes. Une fois quelques lignes empilées, on loge dans une histoire, pire, une vie. Chaque morceau de cette histoire-vie est un livre. Là, c’est une maison qui contient quelques livres et des gens, mélangés. Et des choses en moins. Et des choses en plus.
© Milady Renoir
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Un libraire blond et un libraire brun, du bois blond et du café noir, des habitués qu’on dirait tous cousins d’esprit, de la lumière, du calme et de l’ambiance, un petit coin d’un bonheur rescapé de l’ennui au milieu d’une des plus belles avenues de Bruxelles, des amis et des bouquins, choisis avec amour et une grande ouverture, puis des concerts, des conférences, une délicieuse conteuse : 100 papiers, c’est un peu la maison, une maison idéalisée où l’on laisse ses soucis à la porte pour un moment, un projet qui doit vivre parce que l’on ne sait plus trop bien comment on ferait sans lui…
Bérénice Castiau
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J’ai pris un livre, il y a longtemps, pour la première fois, après Le Livre. Il était lourd dans ma main, difficile à lire, c’était ma première lecture silencieuse comme on disait. Un livre dur et rempli de larmes et de joie, « Les Misérables ».J’ai frémi et pleuré quand Gavroche est mort. Puis j’en ai lu d’autres, beaucoup, mais jamais je n’ai retrouvé le sentiment d’être dans le monde et en même temps si protégé de lui par la lecture…
Dans une librairie, c’est un peu ça, tous ces livres qui nous protègent du dehors et nous accompagnent pour y retourner. C’est très maternel un livre, je pense plus à la main de ma mère qu’à celle de mon père quand je serre un livre.
Cent Papiers, c’est une maternité de vieux enfants…
Samir Benhamou
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Librerrance
je n aime pas le mot libraire, je lui préfère celui de librerrance
qui donne au principe de jouissance de la lecture un goût d infini…
j ai grandi en grande partie, chez ma tante, entre les livres qui furent mes amis invisibles pendant les siestes infinies de ma tantine, les pages piquées de ses bouquins et les trésors qu’ils recelaient m’offraient des univers où je pénétrais comme une voleuse et que je squattais avec bonheur
je les feuilletais, commençais pas lire la fin
et quand j’aimais alors j y pénétrais de plain pied
je me souviens de l’importance qu’avaient les titres, je regardais les tranches dans l’espoir de sentir un appel
« le livre c’est l âme de celui qui l’a écrit et de ceux qui l’ont lu, ont vécu et rêvé avec lui. Chaque fois qu’un livre change de mains, promène son regard sur ses pages, son esprit grandit et se renforce »
le merveilleux des librerrances ou librairies comme « cent papiers », c’est la possibilité de s y attarder, de boire un verre, de discuter, et d’aller explorer derrière chaque couverture de livre tandis qu’au delà de ces richesses, s’ouvre le monde, la vie d’un quartier, le reste du monde satisfait de n’avoir pas à regarder plus loin que son nombril
tandis que vous, vous êtes là dans toute cette richesse à découvrir…
Carla Garfield Karlagarfield
http://suzy-alanis.skynetblogs.be
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J’ai été libraire spécialisé en livres d’Art à la FNAC pendant 7 ans avant de devenir professeur de dessin dans une des nombreuses « École des Arts du soir » à Bruxelles.
J’ai donc un lien extrêmement sensuel avec l’objet-livre.
Dans ce coin, avenue Louis Bertrand, c’était le désert culturel.
Lorsque j’ai appris l’ouverture possible de la librairie, je me suis mis à genoux devant David et j’ai dit « pitié ; ouvrez-la cette librairie ! »
A peine ouverte, j’y ai découvert toutes sortes de personnalités, diverses et aussi riches les unes que les autres ; un monde contemporain sensible et cultivé.
Je me suis mis à écrire ; d’abord dans le roman collectif « La jeune fille au pendentif », et je ne me suis pas senti plus mauvais que les autres collaborateurs…
Mais c’était surtout la musique des mots qui me venait en tête, même si les phrases semblaient insensées.
J’ai osé un premier « Feuillet de corde » en public, à ma grande surprise j’ai été applaudi ; on m’a dit que j’étais dans le veine de l’Oulipo…
Voici ma troisième participation et j’espère qu’elle vous fera au moins sourire bien qu’il y ait un côté scatologique impossible à lire pour certaines personnes.
Marc Bolly
Le 4 septembre 2012
PILE
Parti des Intestins Libres Européens
Indécrottables Déféqueurs, Déféqueuses ;
Nous faisons Appel à votre déférant sens du fondement.
De notre acte quotidien, faisons un acte politique !
Chieurs et chieuses, Unissons-nous !
Assis sur notre trône, nous sommes les rois et reines de la Journée à Venir ; Et les tracts, en rouleaux, à notre portée.
Ne les jetez plus dans votre Cabinet – Ministériel !
Distribuez-les !
Leurs rédhibitoires taches, dessins à Messages Uniques sont les porteurs de vos espérances et de vos individualités profondes.
Nos ennemis principaux :
- les Cuisiniers, démons de notre goinfrerie.
- les Mangeurs, c’est-à-dire nous-mêmes.
Méfions-nous, nous faisons de l’entrisme !
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MES CENT PAPIERS
Papier glacé, papier buvard ou papier de verre?
Puisqu’il y en a cent, allons-y gaiment.
Il y avait autrefois à l’angle Bertrand-Ruche une antique épicerie italienne, ensuite un prosaïque magasin de peintures, désormais une librairie.
Une librairie, à Schaerbeek, enfin et précisément dans ce fabuleux quartier et avec un concept en plus. Le pied!
Mais quel concept, au juste? Un lieu où l’on cause, où on se pose, où on dépose son PC en buvant son kawa, en lisant sa gazette. Lieu d’échange et de partage animé par deux libraires inattendus pas vraiment du métier.
On y trouve quoi? On ne se le demande pas. Assurément ce qu’on n’y cherche pas et c’est déjà ça! Mais encore? Des échanges, des rencontres, des livres improbables bref tout ce qu’on n’attend pas. Des écrivains en herbe, un poète philosophe, un vrai libraire à la retraite, des musiciens, des paumés du soir et du petit matin, d’impénitents bavards et quelques dévoreurs de bouquins. Chacun a son propre regard sur les Cent Papiers mais tant d’idées contradictoires ne sont pas solubles dans quarante mètre carrés.
C’est sans importance, il existe un comité de lecture qui lit, qui cause, qui commente et réforme à tort et à travers.
Pourquoi se poser toutes ces questions?
Puisqu’on y retourne et qu’on y est peinard, comme chez Xavier un peu plus haut ou dans la cantine d’en face ou au parc Josaphat ou à la boucherie Chaffaoui réputée pour la qualité de sa viande et de l’accueil.
Un an déjà! Que de choses à raconter. Un bourgmestre toujours pressé venant faire sa provision de quotidiens, une factrice ruandaise au sourire d’ébène, quelques riverains sans âge, une poignée de flâneurs en quête de nouveaux lieux. Surtout une pléiade d’enfants de tous les âges, plus lucides, plus matures, plus inspirés, plus motivés que la somme des clients adultes qui les observent pantois.
Mon seul désir est que Cent Papiers ne ferme pas, qu’il se cherche et surtout qu’il ne se trouve pas.
Marc Guiot
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Un café ?
Ce qui est limpide dans une librairie, c’est la suspension du temps. Ca marmonne, ça chuchote des « Combien vous dois-je ? Merci… » . Le plus charmant encore est de voir rassemblées toutes ces œuvres qu’on ne lira pas. Ces chefs-d’œuvre qui le resteront sans nous. Ces vedettes qui gargouilleront leur égo loin de notre compassion, ces poètes malheureux et ces romanciers échevelés.
Ce qui est plus séduisant encore, c’est de découvrir que rien n’est pur, que tout est commerce, que le livre n’est pas une exception mais une « exception culturelle ». Les livres sont autant de façons de ne pas s’inquiéter de la vitesse du monde. Je connais aussi un autre remède contre la férocité du changement, « relire ses classiques »…
Toutes ces attitudes biscornues, alambiquées, tournicotées et subreptices font le lecteur, le vrai, le fort, le sacré lecteur ! Il vogue de « couves » en « quatrièmes », il palpe, il repose, feuillette et saisit soudain, ça y est, il a sa dose, il est accro, il ne peut le lâcher celui-là. C’est déjà presque un ami, même s’il n’est encore qu’entraperçu.
Dans la lecture, les amitiés vont vite et les inimitiés tout autant. La fidélité, par contre, met des années à se construire dans la revisitation des pages entrevues, dans la recherche de celles désirées mais toujours manquées.
Dans une librairie, c’est le monde mais amidonné de bonnes habitudes. Et puis, soudain, une phrase rompt la relation convenue… « Un café ? ».
Avec plaisir, à Cent papiers, tout n’est pas là, mais là c’est un tout !
Michel Berlin
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Pas trop s’il-vous-plaît
Non, je ne les lirai pas tous, je le sais depuis longtemps, mais au début, dans l’enfance, cela me semblait possible. L’adolescence, c’était l’âge de la dévoration. C’est dans les livres que nous découvrions les mondes qui nous étaient interdits, (lourdes et ennuyeuses années soixante).
J’achetais alors des livres pour survivre à l’apnée de l’époque des villes de provinces. Et toutes les villes étaient alors de provinces…Sauf Londres, Paris, New-York, Berlin et celles au nom si doux : Rio, Zanzibar et Marrakech. Mais elles n’existaient pas. C’étaient des noms, comme Maubeuge ou Syracuse, des chansons, des mélodies mélancoliques. Et dans les livres, nous suivions Henry de Monfreid sur la Mer rouge et lisions Maurice Leblanc et Conan Doyle. Le bonheur pur.
Puis, l’âge adulte et c’est là que les ennuis commencent. La lecture change de statut, elle devient le lieu de la Distinction et des Querelles nous divisent : Sartre contre Camus, Malraux contre Hemingway…Et toujours des librairies et des bouquineries qui nous donnent à lire l’interdit : Henry Miller, Anaïs Nin, les collections de Jean-Jacques Pauvert et les érotiques d’Eric Losfeld. Du gâteau aujourd’hui…
Quelques années encore, les libraires-éditeurs (qui tentent de revenir…) de combat, les Samizdats, les tirages pirates, les libraires-refuges pour les mal baisés que nous étions. Nous apprenions à écrire, fréquentions les premiers ateliers d’écriture et très vite les animions…Des libraires complices, des librairies écrasées par le Commerce du livre et les grandes surfaces. Un désert et quelques Temples luxueux dans chaque grande de ville. Peu à peu, les borgnes et les éclopés disparaissent, ne demeure que le Luxe et le Populaire. Le Mépris passe aussi par la littérature.
Le Net arrive et les autoroutes de l’information sont comme toutes les autres : encombrées, ennuyeuses et dangereuses. Des Discours, des Crédos, des Bêtises. La librairie crève. Et les Bobos s’agitent mais lisent assez peu sauf pour s’Indigner un beau matin devant seize pages…
La Toile se resserre et devient incontournable, les eBooks tentent des percées jusqu’ici hasardeuses (Combien de Foires et de Salons du livre avec Débats sur le sujet et aucune borne de téléchargement, risible…) mais l’idée est ancrée : on lit de diverses façons, c’est bien, c’est moderne, c’est démocratique, ça ratisse plus large et le Marketing travaille.
Des illettrés en pagaille qui donnent du boulot aux formateurs surfent dans la vitesse et s’ennuient vite de ne pas saisir ce qui apparaît « soudain aux yeux du lecteur » : du temps distendu et le bonheur de disparaître dans le récit.
Des libraires s’y mettent : limonades, garderies, cafés serrés et musique douce. On se vautre dans l’écrit et le Commerce ne fait pas de « quartiers ». Mais trop, c’est trop. Des livres partout, souvent les mêmes un peu partout, la librairie vole au secours du succès !
Et les chiffres s’effondrent, le numérique affole, le papier se racornit et les lecteurs maigrissent. Alors, alors, la Crise est là pour nous mettre d’accord. Et à cet endroit précis, dans des Boutiques claires et ouvertes aux chalands, des livres apparaissent avec ou Cent papiers, ils ne tirent pas la greule, ils restent même discrets et attendent un pas de celles et ceux qui les désirent…Allons-y !
Daniel Simon
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Libres errances en librairie
J’avais dix-sept ans. Verviers, petite villette belge, 1967. Dans les galeries Voos existait la librairie « Le Monde en poche ». Y allais-je pour les livres ou pour la libraire, si belle, si charmante mais si mariée? J’économisais les quelques sous que ma maman me donnait pour l’avoir aidée à faire la vaisselle ou replier les draps de lit. Je m’efforçais de travailler comme un forçat pour recueillir, tous les deux jours, les 27 francs (0,675 euro) que coûtait alors un livre de poche. Je ne savais qu’acheter, n’ayant lu, à l’époque, que les livres retraçant les aventures de Bob Morane, offerts par un ami de mon père alors que j’étais sur un lit d’hôpital, opéré d’une appendicectomie. Le premier livre acheté fut « Dix petits nègres » d’Agatha Christie (Je le garde comme un fétiche). Vinrent ensuite ces conneries écrites par Cronin, puis Cesbron (J’étais élève chez les Jésuites de Verviers).
Plus que les livres, j’aimais le lieu. L’odeur, la pléthore de ce qui était proposé – eu égard à mes possibilités financières. Plus tard, j’appris que la maîtresse de l’un de mes oncles était responsable du rayon « librairie » du Grand Bazar. Je m’y rendais tous les jours, avant les cours, et feuilletais presque n’importe quoi. La maîtresse de mon oncle était belle mais n’y connaissait pas grand-chose, en littérature. En fait, elle était vraiment conne. J’étais jeune et voulais acheter tous les livres de poches, pour les collectionner – du n° 1 au n° 2874 (à l’époque). Pour paraître intelligent ? Pour me sentir intelligent ? Pour me croire tel ? Je n’en sais rien.
Maintenant que j’entre dans des librairies où qu’elles se trouvent (Je n’ai plus d’élan pour les femmes-libraires, ayant trouvé ailleurs ce qui me convenait). Il en existe de plus en plus, de ces boutiques à livres, qui ne sont autre chose que des épiceries. Je n’en connais que quelques-unes, qui échappent à cette règle, à Liège. Et une ou deux, à Bruxelles, où les gens vous aident, vous guident, vous conseillent, vous incitent, vous livrent des secrets. Des libraires qui aiment partager leurs amours littéraires, sans nécessairement mettre en avant leur bénéfice financier. « Cent papiers » en fait partie. Et j’en suis heureux. Pour eux, pour moi et pour tous ceux qui peuvent rencontrer cet amour commun. J’y retrouve là mes 17 ans. Le plaisir d’une adolescence ébahie. Le choix déjà préétabli pour donner à lire des œuvres parfois discrètes mais ô combien intelligentes. C’est assez rare pour le souligner.
Jc Legros
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Non loin d’ici
de l’endroit où j’écris
un, deux, trois, quatre, cinq, six,
et caetera
en avant pour cent pas
librairie 100 papiers
on y va
une terrasse et un bar
et surtout des sourires et des livres
100 papiers ?
en fait, des milliers
pour émerveiller le quartier
Jack Keguenne
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De la graisse, c’était partout de la graisse dans la maison. Des frites, des sauces qui collaient au plafond, des restes de saucisse, tout ce qu’il fallait pour nous faire rester chez nous, on mangeait, on se gavait, on grossissait et un jour, on n’a plus pu sortir.
Coincés qu’on était. Des masses, des tas, des encombrements graisseux. Alors, on s’est vite ennuyés. On a tourné en rond et puis on n’a plus pu. On était calés dans notre cabane de saindoux. On s’est mis à fondre d’ennui, à rétrécir mentalement. Fallait faire quelque chose. On a d’abord décollé le papier-peint pour s’occuper, on l’arrachait en lambeaux et en-dessous on est vite arrivés aux couches de journaux de fond. Des centaines d’articles collés sur les murs pour faire une bonne base pour la colle. On a tout lu. Puis on s’est encore plus ennuyés. Ca nous manquait. Mais on bouffait toujours.
Un jour, on a pu passer nos bras par la fenêtre et on les a tendus très fort jusqu’à la librairie voisine, on a un peu sali les fenêtres, des taches de doigts, mais ils nous ont vite compris. Ils nous ont refilé des livres qui nous ont permis de calmer notre faim. On s’est mis à se remplir d’autres nourritures, on s’est mis à dévorer des bouquins de tous les genres. Depuis, on a maigri et on va toutes les semaines à Cent papiers, pour garder la forme…
Günther Goethe
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Dans une forêt, brouillard. Près de l’étang, l’été refroidit, les libellules sont déjà mortes et l’eau va geler bientôt. Des brindilles, des mousses et le chemin qui part vers la maison là-bas.
Une porte. Des fenêtres sans nuages. J’entre et me réchauffe auprès du feu dans la cheminée qui pétille comme une bouilloire trouée. Des linges qui pendent, un tapis, des étagères, une cuisine et deux chats.
Un fauteuil, un coffre. J’ouvre. Des livres. Une dizaine. Je passe la nuit à lire, à m’assoupir et à lire encore.
Le matin, je quitte la maison et emporte les livres sur mon dos. Le feu est éteint. La route est longue vers le village. Les arbres se penchent sur mon passage. Mes chaussures sont solides, mon sac est léger, je vais vers des histoires entrevues.
Gil Croft
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Librairie cent papiers An 01
Je n’habite pas le quartier, pas même la région…
Je ne connais la librairie aux cent papiers que via le moteur de recherches, le robot qui sait tout, qui voit tout et qui peut, en un clic, me la dessiner. Devenue livre ouvert, elle dévoile ses murs parme, son mobilier de bois clair, de grandes baies vitrées, une table conviviale, quelques chaises pliées aux couleurs vives (au moins une verte et une mauve !!), un bar inattendu, des étagères colorées…
Des feuillets pendent aux cordes tendues, comme des taches de lumière, des tables rondes autour de lectures vives…
Et des livres, évidemment…
C’est là une description bien sommaire, on ne peut plus objective.
Mais que dire de l’atmosphère, celle qui fait qu’on se sente bien, une fois la porte franchie ? Non, ce n’est pas seulement parce qu’on est à l’abri des bourrasques de l’automne… Pas seulement. Que dire du regard du libraire ? Des échanges autour des livres ? Du vent frais qui entre au printemps ou du soleil trop vif qui éblouit le lecteur ? Quel écho auront ces mots d’auteurs chez les passants d’un jour ? Répondront-ils à l’invitation au voyage cachée dans leurs écrits ? Comment traduire à distance cette ambiance du concert apéritif ou celle, envolée, du concert de jazz manouche ? La pluie qui ruisselle n’a pas l’air si triste…
Quelle saveur aura ce chinotto que je n’ai encore jamais goûté ? Un jour je peux être proseco et le lendemain zinnebier, au fil de mes envies… et au fil de mon temps libre, entre l’aube et l’heure de l’apéro du soir…
A mes étudiants, j’apprends que, dans d’autres pays, naissent des bibliothèques que l’on appelle « de troisième lieu » en distinction des deux premiers : le foyer et le travail. Des lieux où les personnes, ayant déposé leur stress au vestiaire, peuvent rompre avec la solitude et échanger en prenant un petit café ou un verre de vin italien dans un espace confortable et douillet… Une large amplitude de la grille horaire leur permet une belle accessibilité. Garant de la liberté d’expression, cet établissement veut présenter à certains usagers, moins habitués, le visage d’une culture chaleureuse et vivante.
Et de citer comme exemple Chicago, Québec, Toronto, Amsterdam…
L’herbe est-elle toujours plus verte chez son voisin ?
Je leur dirai, dorénavant, d’aller faire un tour à un saut de puce du parc Josaphat, à la librairie cent papiers de Schaerbeek.
Marie-Hélène Van Haesdonck