Beaux et ouverts

Posté par traverse le 21 octobre 2012

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(USA, www.liberation.fr)

« Comme ils sont beaux, ouverts au monde et attentifs aux autres. Comme ils sont beaux… », reprit Grand-mère en désignant les images de l’album qu’elle tenait sur les genoux. « Comme ils vont bien ensemble !…. ».

Le petit garçon l’écoutait avec attention, la petite fille enroulait une boucle de ses cheveux autour du doigt, le regard perdu. Ils étaient assis sagement sur le canapé de chaque côté de la Grand-mère, l’harmonie était parfaite. Le regard du garçon, tendu vers l’image, le regard de la fille flottant dans ce qui en émanait.

La Grand-mère reprit son histoire en adoucissant chaque mot, chaque phrase, chaque chute, c’était presque une mélopée, la lumière rosit tout autour d’eux, la musique se mit à gondoler dans l’espace du salon et on entendit au loin des applaudissements soutenus mais suffisamment bien contrôlés pour que le tout soit délicieux. L’histoire avançait dans le bonheur et la béatitude des vœux exaucés, le monde content et satisfait consentait enfin à la plénitude des sentiments sans accrocs.

Grand-Mère était aux anges, pas une mouche ne volait, ses petits-enfants étaient de vrais petits-enfants silencieux et souriants quand elle parlait. Ils avaient depuis longtemps déjà épuisé les diverses interruptions dont ils étaient friands, les « Pourquoi ? » « Comment ça se fait ? » et autres « Qui c’est ? » s’étaient évaporés dans la foulée liquide du récit. C’tait un silence où ne vibraient que les voluptés de la langue, les épisodes évidents des personnages du livre d’images qui pesait dans se mains comme un ouvrage sacré. Là était la vie des hommes, des animaux et des plantes, là était le ciel et la terre, là, les océans et les montagnes, là, enfin, tout ce qui était en train de disparaître dans les sales habitudes des conteurs de malheurs.

Grand-Mère détestait son époque où le sombre l’emportait sur le lumineux, la complexité sur la simplicité et le mal sur le bien. Alors, elle tentait de toutes les façons de mettre ses petits-enfants si fragiles à l’abri de la violence du temps. Qui le lui aurait reproché ? Qui souhaitait le désastre en lieu et place de l’abondance ? Elle en était certaine maintenant, il fallait que le récit du monde transforme la matière du monde. Il fallait que la beauté et le bien retrouvent leur place dans des récits où avaient trop régné l’aigre, le veule, le sale et la discorde.

La petite fille soupira. Le petit garçon renifla et la Grand-mère poursuivit son histoire. Les épisodes s’accrochaient les uns aux autres avec cette merveilleuse vertu des enchantements. La maladie s’effaçait lentement des corps, les orages s’adoucissaient dans les cieux et les avalanches n’emportaient que des nuages dans les vallées. Les guerres avaient disparu de l’histoire jusqu’au cœur des dictionnaires, peu à peu, les hommes ne rencontraient d’ennemis que dans la puissance d’un bref ennui ou dans des excès de douceurs qui les amollissaient parfois jusqu’à l’excès. Mais dans l’ensemble, tout avançait vers un âge de paix que les pénitents de tous horizons n’avaient même osé rêver.

Elle referma le livre doucement et se tourna vers ses deux anges endormis.

Ils étaient si calmes et si beaux, si délicieusement calmes. Elle respira longuement et dans ce léger mouvement la tête des deux enfants posées sur ses épaules roulèrent sur le côté.

Ils étaient maintenant couchés chacun sur leur avant-bras et semblaient dormir. Elle se rapprocha pour leur donner un baiser. Elle posa ses lèvres sur la joue de la petite fille et ensuite du petit garçon. Ils étaient glacés.

Elle se leva d’un bond, le livre tomba à ses pieds, elle porta la main à sa bouche pour étouffer un long cri qui ne viendrait jamais. Elle s’agenouilla, les prit dans ses bras en se balançant d’avant en arrière, longtemps.

 

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