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Bruxelles, Babel, babil et sabir

Posté par traverse le 29 octobre 2012

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Promenade

 

Version PDF fichier pdf Bruxelles, Babel, babil et sabir-D.Simon

 

                                               1

 

 

Le temps, en cet endroit, est rare et frais.

 

Un vrai temps de fin de journée, mal tourné mais parfois le soleil tombe entre les façades et flotte alors sous la vague des ramures en léchant les terrasses.

 

De vertes allées fendent la ville en deux. Ce sont des figues aux bords drus, des saignées dans la pierre et la brique, des lézardes de verdure où nous allons courbés sous des arbres chassieux.

 

Coule au milieu une durée ancienne, une dislocation des courreries obligées et un monde à l’abri des canailleries flagrantes se disperse le soir dans des immeubles cousus de fenêtres et de lumières douces.

 

Des trams emmitouflés de grotesques images descendent et montent en emportant leur lot d’écoliers, de mères amidonnées d’étoffes tristounettes et de travailleurs engourdis vers des côtes lointaines et ses vastes chantiers.

 

Nous allons, nous venons, des vieux, des vielles, des gens de baragouins lointains, des élégantes en équilibre sur des talons tordus dans les racines des arbres qui soulèvent les trottoirs en grimaçant le soir, des enfants que rappellent leur mère dans la crainte des bus qui plongent d’un seul coup dans le bruissement des promenades, des coureurs aux oreillettes capitonnées, des chiens qui tirent leurs maîtresses et vont poser leurs chiures dans l’herbe des allées, des amoureux qui fredonnent sous les ailerons des baraques complices, un facteur encombré, une femme qui court derrière son mari qui court derrière on ne sait quoi, des marelles sur les trottoirs parfois mais plus souvent des téléphones mobiles auxquels s’accrochent des adolescents redoutables d’ennuis, des fantômes aussi de nos amours ratées et des âmes errantes que nous reconnaissons à leur babil en sourdine de l’aube au crépuscule, ils parlent pour eux-seuls mais nous les entendons.

 

Une ville se mange par quartiers et la panse du promeneur ne rechigne pas aux mélanges improbables. On mange un peu partout de très tôt à la nuit dans des snacks, des ngandas, des troquets, des bistrots, restos et petite restauration, on déguste du poulet, des ailes, des croupions, des poissons fumés et salés , têtes et queues, avec les yeux parfois, on raffole du porc braisé, léché par des flammes de miel, le riz, le coco, le mouton et l’agneau, le singe fumé tout d’une pièce et recroquevillé, à Matongué souvent j’en ai vu sur des tables et j’y ai gouté, on mange avec ses doigts , dans l’assiette de l’autre, on mange sur le pouce, entre deux chaises ou en coup de vent, on mange sans chichis et son mari souvent, on mange comme on se couche, en faisant le plat dans lequel on se trempe des yeux au grand colon, on en bave, chie et bouffe sur tous les tons et dans tous les cornets, sachets et barquettes de merde, on en raffole, on s’en gave, on se les cale, et on a déjà la ceinture qui serre, à Bruxelles, on mâchonne, on rogne, on ronge, on pourlèche car la langue est muette, ou estropiée souvent, on parle comme on boite, on se remet trop tard d’une phrase mal tournée, on avance masqué dans des intempéries de vocabulaire et de grammaire chagrine, on marche sur une jambe, on bouffe et déblatère pour ne pas s’entendre dire qu’on n’y comprend grand chose mais qu’on s’y fait chaque jour au bazar de Babel…

 

 

2

Et un jour on s’en va, chacun où il rêve et c’est de là qu’on cherche encore à s’évader et on marche et l’ici se dissipe, j’étais là, à Lisbonne et Bruxelles soudain s’est faite plus présente…

 

Lisbonne où je marche

fait résonner Bruxelles

doucement,

dans l’ombre de la statue de Pessoa

face à la coque muette

de la radio d’hier,

superbe I.N.R.,

centre du monde

et de la place Flagey!

L’amiante et le silence

règnent en maître aujourd’hui

dans cette ancienne

Maison dela Parole…

Les tramways qui cahotent

et ferraillent dans les deux capitales

se renvoient l’écho

d’un siècle à un autre

ces deux villes ont la même échéance

qui est de réconcilier un univers

qui se chamaille à plusieurs voix.

« Bruxelles, c’est le monde! »,

dis-tu souvent en rentrant de voyage,

c’est un monde où les grandes gueules

flirtent avec les petits aboyeurs,

un monde qui hésite encore à choisir

la pacification des langues somptueuses

qui se mêlent sans ne nier

en riant à pleine gorge

des esperantos de l’avenir!

Bruxelles cherche son plaisir

dans la décomposition des grammaires

et des syntaxes arrogantes,

elle cherche dans ses cafés sans ramage,

ses restos à deux sous,

dans les cours et les impasses,

une langue à baragouiner

à côte des exigences du commerce,

Bruxelles apprend au jour le jour

et encore plus la nuit

à parler un babil qui rêve de Babel,

une langue que Racine bat du pied

et que Lope de Vega entonne

en dressant ses tréteaux,

une langue que Ghelderode

éclaire de son encanaillement,

une langue farouche et douce

comme le miel du Maroc,

verte comme les campagnes

et les gorges roumaines,

une langue où les vignes du Porto

sont ouvertes à tous vents,

une langue piquée d’olives de Sicile

et de citrons des Asturies,

la musique de Bruxelles

cherche son tempo

dans cette magnifique cacophonie,

elle vibre des raclures de gorge

et des you-yous perdus,

c’est en marchant la nuit

au coeur de l’Alfama

que les Marolles laissent entendre de loin

des refrains d’insultes

et des chansons d’amour.

Babel est en chantier,

Babel est généreuse

pour qui veut la défendre,

Babel postillonne, éructe,

cherche querelle

aux escrocs en tous genres

qui mêlent le strass au stress

et jouent les amnésiques,

oui, Bruxelles a la mémoire des gens

qui vivent sans dorures.

Mais lorsque Babel

est sous les bombes,

Babel a froid, Babel a faim

et Bruxelles reconnaît

la cadence des bottes,

Babel se cache

et Bruxelles parle au pas

en réveillant en elle

ses injures les plus graves,

elle connaît la souillure,

l’usure et la fatigue

mais Bruxelles,

capitale et faubourgs,

donne à entendre aussi

un étrange credo,

elle croit en la lenteur des choses,

elle marche au milieu des cris et des appels

en balançant des hanches

qu’elle croit toujours belles,

elle fait la sourde oreille

à la colère de ceux

pour qui la dignité

est la seule beauté,

elle s’enfonce dans un rêve

où Babel rutile de ses plus beaux atours,

où le babil s’articule

le petit doigt en l’air

un Babel sans sabir

et parlant d’une seule voix.

Peu importe!

Bruxelles au parler guttural

sait aussi résister

à l’appel des sirènes,

elle est fouettée des mille langues

qui la poussent hors du couvre-feu du jour,

elle rit et parle fort

dans l’étuve des nuits électriques,

elle jazze de bières en bières,

de terrasses en caves enfumées,

au milieu de la nuit,

c’est une certitude,

soudain tout se met en place,

les enfants s’envolent

dans un ciel embrumé,

les vieux marchent en marmonnant

leurs premiers mots d’amour,

les passants ronchonnent en accusant le temps

des pires avanies,

mais ils vont sans crainte

entre les apostrophes des saoulards infinis

et les cris colorés des commerces.

Bruxelles n’a rien à perdre

à laisser ses frontières flotter

dans les eaux dela Senne,

elle coule sous les arches

d’un Boulevard carotide,

Bruxelles emporte ainsi

dans ses eaux catacombes,

un siècle finissant,

Babel commence enfin,

au centre de Bruxelles.

 

septembre 97 – février 98

 

3

 

Aujourd’hui Bruxelles qui radote, répète et psalmodie, rabiboche et conclut ce qui n’est que morceaux à coudre plus lentement et à mettre en mouvement dans des valses de rapiéçage qui valent toujours mieux que de vastes discours du vide sur le vide…

 

 

Je suis celle qui refuse d’entendre,

de comprendre,

je suis sourde,

mais je regarde,

j’écoute et

je refuse encore de comprendre,

je réclame chaque jour

ma part,

je me dis qu’il faudra bien

entendre et comprendre

mais chaque jour,

c’est plus difficile,

il y a des moments

où, décidément,

je n’y arrive plus,

à être sourde,

ça fait trop de bruit,

ça parle dans tous les sens,

ça échappe

au bon entendement,

c’est assez monstrueux,

ça cogne doucement là,

au centre,

c’est parfois répugnant même

mais assez simple,

chacun s’en aperçoit,

résiste à ce qui pousse

en soi,

tente de s’en distraire,

d’aller jouer ailleurs,

de se rapprocher,

et ça repart,

ça fiche le camp

dans tous les sens,

faut bien vivre,

ouf!

on l’a échappé belle,

c’est passé ric et rac

ça continue pourtant,

c’est difficile

mais ça continue,

alors, un soir, un jour,

qu’est-ce qui s’est passé,

qu’est-ce qui se passe,

qu’est-ce qui est en train d’arriver?

un jour, un soir,

je vois enfin

que c’est en train d’arriver,

que la membrane se déchire,

que je vois mieux

que j’entends distinctement

ce qui est ma part,

et quelque chose tente d’arriver

jusqu’à moi,

et cette impression

me laisse un peu hagarde,

je me dis qu’il va falloir y aller,

que cette chose toute simple,

il va falloir s’en préoccuper

un peu plus,

qu’il ne sera plus aussi simple de vivre

chaque soir et chaque matin,

que tout ce silence qui est en moi,

va falloir l’ouvrir

pour accueillir

les bruits du monde

et tous ces bruits

entrent en moi,

et ça commence un soir, un jour

à prendre forme

tout ce remue-ménage,

le bruit s’organise,

les silences se posent,

des mots, des phrases, des personnages

commencent à troubler

l’ancien silence

et je me retrouve soudain trop petite,

trop à l’étroit

avec toute cette nouvelle tribu

en moi,

alors le moment est venu,

de me mettre à raconter,

il faut bien que tout cela trouve sa place,

il s’agit simplement

d’accueillir le bruit des autres

en moi

jusqu’à la fin et de ces bruits racoleurs

et sans gloire,

de ces borborygmes orduriers,

de ces crachats et de ces injures,

de ces roucoulements et de ces embrassades,

de ces singeries et de ces paroles claires,

de ces coups de gueule en coups de couteaux

et de ces voix ouvertes,

de ces cœurs amers et sans avenirs

et de ces fenêtres qui prennent l’horizon d’assaut,

de ces paroles vides et peureuses à ces combats

d’où sortiront les vertus et pestes de demain,

tout cela, en moi, trouve sa place

et des récits sans fin font la matière d’itinérances

sans escales dans le parler de cette basse capitale

enfoncée dans des airs délétères et trouée

de pertes de mémoires qui font de ce corps

en quartiers, nord, sud, ouest, est,

communes périphériques et bastions éloigné,

pentagone comme étoile au revers du manteau

d’Europe la bancale, la malmenée,

la trop et mal aimée,

Europe, fille d’Agénor, Roi de Tyr,

emportée par Zeus,

le taureau affamé, avec lui

l’Orient vient  par les flots

dans le contours érodés des côtes

balkaniques, il vient, part et revient,

prend place au milieu des tribus,

il est ici

et nous allons dans l’inquiétude,

l’amour et la nostalgie

d’un temps invisible et sans corps,

d’une machine de désirs

qui broie un grain ancien

et ne trouve pas de formes originales

pour se répandre,

toutes ont été empruntées, sont usées

et toujours héritées, de qui, pour qui ?

Nous en sommes aujourd’hui

les usagers nouveaux,

la table est large et marquée de canifs,

en se poussant un peu, les plats rouleront mieux

et la langue, enfin se dégraissera des boursouflures,

bondieuseries et amours décharnées de chérubins si tristes,

roulons la pâte jusqu’au ventre et laissons les langues

se mêler aux haleines nouvelles.

 

septembre 2012

Le texte « Lisbonne où je marche… » a déjà été enregistré lors d’une création produite

par l’ACSR (Atelier de Création Sonore et Radiophonique), Bruxelles et dans une mise en onde

de l’auteur, 1998.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une Réponse à “Bruxelles, Babel, babil et sabir”

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