« Depuis plus de 30 ans, les éditions Le Cri ont eu à coeur de publier des ouvrages ciblés et de qualité dans les domaines de l’histoire et de la littérature. Le Cri a toujours voulu rester fidèle à cette vocation première, que le contexte général actuel de l’édition et de la librairie ne lui permet plus de réaliser », souligne Le Cri. « C’est probablement ainsi la plus ancienne maison d’édition à caractère littéraire de Bruxelles qui disparaît, emportée par les réalités d’une société en profonde mutation », conclut la maison d’édition. »

Voilà ce que j’ai reçu dans ma boîte mails. Comme tous les auteurs de la Maison Le Cri, les journalistes, les libraires, les médiateurs du Livre,…
Ca doit en faire du monde!
L’édition est un marché, évidemment, mais aussi un champ d’expérimentation, une boîte de résonnances des idées et des goûts, des comportements et des déviances. Une sorte de miroir à facettes des humains et des lecteurs en particulier. Et cette boîte rétrécit, le miroir se brise, les échos ralentissent, la valeur s’estompe, la confusion règne.
Il n’y a pas longtemps, des gens de théâtre se réjouissaient de la fermeture d’un théâtre ennemi, pas concurrent, non, ennemi (on sait que la haute valeur symbolique des biens culturels et des manifestations sociales qui en découlent se basent aussi sur le mépris de ce qui se fait chez celles et ceux qui n’ont pas la même voilure idéologique, sémantique ou tout simplement clientéliste).
Quelqu’un rappela que la fermeture d’un théâtre appauvrissait tout le secteur théâtral et les quolibets cessèrent, officiellement.
Hier, je passais un moment avec une personne charmante, cultivée, dynamique, ouverte à la littérature, le monde, les autres…Bref, nous bavardions, elle évoqua Balzac, ce chiant Balzac, cet encombrant Balzac. « Tu mets ça dans la littérature, Balzac? » Elle parlait de produits, de productions,…J’ai exigé, oui, c’est horrible, j’ai exigé, qu’elle appelle ça une œuvre. J’ai essayé de faire entrer à nouveau Balzac dans l’univers de la littérature et, je vous rassure, Balzac a réintégré sa place.
C’était une querelle amicale, les balles étaient à blanc. En réalité, la question-même de cette personne intelligente, venait de m’abattre. Je devrais être habitué, dans des cas plus lourds, à ces rafales quotidiennes de la haine masquée (qui équivaut à l’ignorance légitime) de la littérature, mais non, on ne s’y fait pas, phénix, on remonte au front et hop, une grenade, une mine, un silence, l’ignorance, et surtout le mépris.
Balzac, c’est chiant, nous sommes bien d’accord.
Alors nous avons parlé d’autre chose, mais Balzac me restait en travers de la gorge. Récemment, un de mes amis, jeune écrivain, affirmait lors d’ une rencontre publique qu’il ne voyait pas l’intérêt de connaître l’héritage littéraire, l’histoire, quoi, l’avant, l’avant-soi. La salle était ok et pas ko. Il est intelligent, doué et ne pensait certainement pas ce qu’il disait, mais il l’a dit, comme ça, dans le flux et c’est passé, comme ça, dans le reste.
Avant-hier, c’était tout aussi bien… « Mon Contrat, mon Contrat, mon Contrat…. » Un auteur chantant l’air des Bijoux. L’auteur, une Castafiore contemporaine ? Oui, informé du passé, rêvant de l’avenir et ne connaissant à peu près rien du présent de l’édition, des contraintes, du marché, des réalités des ventes, de l’évaporation des lecteurs. Ils les voient ces réalités pourtant, la plupart font leurs achats chez les Amazones du livre… Ils sont autistes les auteurs, les lecteurs ?
Mais là, j’exagère, comme d’habitude, pour rire…
Et les libraires ? Aaah, les libraires ! Evidemment, j’aime, je vénère les libraires. Toute vénération se fonde sur des anamorphoses. Que de fois, des lecteurs, avec qui je travaille, me disent, m’écrivent « Ils ont dit que c’était épuisé… ». Et évidemment, ce n’était pas épuisé, mais il fallait chercher, suivre, servir le café, vendre une plante verte, une pizza, un tapas, garder les mômes, surveiller les infirmes, accrocher les stars, bêler « citoyen » et pendant cela « ma bonne dame, vous pensez que faire cette recherche sur la Toile, ça prend du temps, et en plus, je suis pas sûr qu’ils (l’éditeur, le diffuseur-distributeur,…) vont suivre (fréquent) et je vais devoir recommander ! » etc…Bref, c’est épuisant-épuisé.
Les Amazones ricanent, bandent leur arc et tirent.
Le lecteur serait donc passé au numérique ?
« Onlit » éditions (éditeur numérique en Belgique francophone) ne semble pas de cet avis, sinon, il aurait vendu à tours de bras et de clicks… J’imagine qu’en ce momnet « Onlit » réfléchit, négocie, accuse le coup. Allons, je blague…Le numérique, c’est la tablette, le Smartphone, pas le texte, innocent! Ah oui, on confondrait donc le support, le flux, le véhicule avec la matière ? Oui, c’est ça…Comme si on parlait de livres devant une usine de pâte à papier.
Enfin, je cherche des articles, des réactions, des « likes » Fbook…rien. Passez, muscade, circulez, y a rien à voir. Et je n’entrevois pas de manifestations de « culturels » avant mai 14, aucune réaction à ce jour en ce domaine. Je ne parle pas de ces gueulantes poussées devant le Cabinet d’un ou d’une Ministre (en l’occurrence ici, de la Culture) et qui se clôturent en général « entre amis ».
C’est que, dans le monde de la Culture, ça se fait « entre amis ». Ca ne déborde pas, « On ne sait jamais ». On est un coup dans la Commission (des Lettres, des Arts, du Sport, des Centres culturels, des Frelons tueurs, de la Bande des Quatre, …), un coup on la sollicite.
Pays trop petit, trop de confusion. On est écrivain, journaliste, critique, éditeur, conseiller, …on doit tout faire soi-même, donc on se retrouve à un moment ou un autre avec ces merveilleux amis de la Culture à siéger pour une Bourse, un Gala, une Aide, un Colloque.
Tout ça n’a pas d’importance au regard de l’Histoire, n’est-ce pas ? On va réinventer, aller de l’avant, mimer la poésie, marmonner, chuchoter, lisoter, administrer des potions lectorales marathonées dans des « starslectories ». Oui et titiller son écran jusqu’au roupillon général.
On parviendra à se défaire de Balzac, on y est presque.
Reste les auteurs vivants, mais ça, ça c’est une autre histoire.
C’est chacun pour soi.
Daniel Simon,
octobre 2013.