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Carmen Groza / Arthis …11/03/2014

Posté par traverse le 28 février 2014

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Une exposition à voir à la Maison belgo-roumaine

33 Rue de Flandre, 1000 Bruxelles

Exposition ouverte: 12.02-11.03.2014
Info : 02/511 34 20 – info@arthis.org

De la matière des sols

Le monde est une forme en mouvement. Et l’artiste, un capteur, une sonde, un télescope, un radar…Les formes et les mouvements configurent ce mystère dans lequel nous allons, formes et matières nous aussi, dynamiques et tragiques. L’artiste tente de reconstituer dans chaque œuvre un univers de vide, de plein, centrifuge et centripète. Une oeuvre tient quand elle vacille sans jamais tomber.

 

Carme, Groza connaît le pouvoir irrémédiable d’une main mal accordée à la vision, d’un trait mal posé sur le carton, d’une tonalité instable. Son travail de tapisserie de haute lisse lui a forgé la main : elle doit être souple et tenir ferme la mesure des équilibres, des résonances de couleurs.

 

Le travail de collage qu’elle expose en ce moment à la Maison belgo-roumaine Arthis est remarquable : des glissements de matières organiques, des pointes d’or, des rognures végétales, des brisures de bois fin comme des traces d’un monde dont les œuvres seraient les dernières empreintes.

 

Les collages de Carmen Groza sont des variations de fragments de papiers, de toiles, de matières mélangées, agencées dans des camaïeux de rouille et d’automne. Ce sont, pour qui a pris l’avion, des campagnes où les champs et les bois se découpent dans l’horizon vernissé de la brume.

 

Des émotions lentes se nouent dans le temps de la vision des œuvres : des tonalités de putréfaction d’herbes, de feuilles mortes et des luminescences ocre, orange, jaunes entraînent le regard dans la temporalité des origines.

 

Carmen Groza construit une œuvre sereine dans une maîtrise de subtilité, de précision et de simplicité. Un bonheur de la découverte.

 

Daniel Simon

Février 2014

 

http://www.arthis.org/index.php/evenements/expositions/130-exposition-de-collages-carmen-groza

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Les Francs et les Lettres

Posté par traverse le 28 février 2014

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Histoire des Francs

Préface de Grégoire de Tours

La culture des lettres et des sciences libérales dépérissant, périssant même dans les cités de la Gaule; au Milieu des bonnes et des mauvaises actions qui y étaient commises, pendant que les barbares se livraient à leur férocité et les rois à leur fureur; que l’Église était attaquée par les hérétiques et défendue par les catholiques; que la foi chrétienne, fervente dans la plupart des. coeurs, était, dans quelques autres, tiède et languissante; que les Églises étaient tour à tour enrichies par les hommes pieux et dépouillées par les infidèles; il ne s’est rencontré aucun grammairien, habile dans l’art de la dialectique, qui ait entrepris de décrire ces choses soit en prose, soit en vers. Aussi beaucoup d’hommes gémissaient disant : Malheur à nos jours ! l’étude des lettres périt parmi nous, et on ne trouve personne qui puisse raconter dans ses écrits les faits d’à présent. Voyant cela, j’ai jugé à propos de conserver, bien qu’en un langage inculte, la mémoire des choses passées, afin qu’elles arrivent à la connaissance des hommes à venir. Je n’ai pu taire ni les querelles des méchants ni la vie des gens de bien. J’ai été surtout excité par ce que j’ai souvent entendu dire à mes contemporains, que peu d’hommes comprennent un rhéteur philosophe, tandis que la parole d’un homme simple et sans art se fait entendre d’un grand nombre. Il m’a plu aussi de commencer ce livre par le calcul des années qui se sont écoulées depuis l’origine du monde ; c’est pourquoi j’ai ajouté les chapitres suivants.

 http://remacle.org/bloodwolf/historiens/gregoire/francs1.htm

 

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Anatolia Rhaspody à Cent papiers

Posté par traverse le 26 février 2014

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Bienvenue le dimanche 2 mars de 15 à 17h à la Librairie Cent Papiers Schaerbeek (23, avenue Louis Bertrand)  où je présenterai le dernier livre en date de Kenan GÖRGÜN « Anatolia Rhapsody »

(avant « J’habite un pays fantôme » du même auteur dans quelques semaines).

Anatolia Rhapsody est un  livre majeur pour comprendre la relation d’un écrivain fils de l’immigration turque. Il a attendu près de 10 ans avant d’écrire ce livre, il nous parle en profondeur sans clichés mais surtout aucune concession aux lieux communs attendus des deux côtés de la « Commémoration ». Livre sensible, fort, qui aura une place historique dans le remugle des communautarismes affichés ou larvés et des fantasmes d’inculture où nous renvoyons l’Autre en parlant à sa place.

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Rage de vivre avec Kenan Görgün…

Posté par traverse le 21 février 2014

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Kenan Görgün

Cela fait des années que nous travaillons Kenan Görgün  et moi à des projets, des rencontres (Tables de Je avec la Revue Je des éditions www.couleurlivres.be, Checkpoint  Festivals,…), que nous sommes embarqués dans une véritable rencontre, celle des rives qui se rapprochent pour étrangler la matière du temps (de l’âge, de la culture, du style, …). Nous avons beaucoup partagé et j’espère que les dieux nous accorderont encore d’autres occasions.

 

Je pense que c’est un écrivain hors pair, mais pas en raison de son talent qui est patent, de son style et de son érudition, non, en raison de quelque chose de plus profond qu’Istanbul et Bruxelles (ou paris, Berlin, Madrid,…) (pour faire court) ont semé en lui: une sorte de dérive historique, de glissement dans plusieurs temporalités simultanées (comme le provoque toujours cette mégalopole où il vit en ce moment avec son épouse). Ces présences fractales d’un écrivain dans l’Histoire se mesurent à sa capacité à déplacer les angles de vue, à faire exister d’autres évidences, de nouvelles irrigations mémorielles, à planter de véritables mines dans notre représentation d’évidence du monde.

 

Chaque fois que je l’ai lu j’ai été frappé  par cette façon qu’il a, comme ça, comme si c’était simple, de relier autrement les événements du monde, de lier autrement (que nous, européens de l’Ouest, Européens ayant vécu une histoire européenne helléno-judéo-chrétienne  à mille lieues de celle que les Ottomans, puis les Turcs semblent avoir vécu. Et c’est faux. Kenan nous le rappelle. L’Islam apparaît quand une partie commune de l’Histoire a été forgée entre l’épaule atlantique et l’épaule asiatique de la Turquie actuelle. La Grèce ancienne, va de l’Albanie à une partie de la Turquie, rappelons-le.  Cette histoire est fondée dans de terribles batailles historiques et aussi dans le développement d’un système culturel et d’une civilisation exceptionnelle, essentiellement cosmopolite.

 

Alors, portant toute cette histoire en lui, ces deux histoires, cette myriade d’histoires enchevêtrées, comment imaginer Kenan Görgün nous raconter ses histoires sous la forme de westerns ou de road movies labellisés « écrivain turco-belge ou belgo-turc » ? Et à l’évidence, combien de manuscrits, de scénarios n’a-t-il pas encore sous le coude, que la frilosité des éditeurs hésite à diffuser. En fait, l’affaire, les affaires d’édition, de littérature, de « dialogues », de frictions entre l’histoire et la fiction, sont plus complexe ; nous savons que l’édition est passée sous juridiction de guerre et que les bombes et les procès ne sont plus des rodomontades institutionnelles. Ici, je pense à un texte en particulier qui fut PRESQUE publié par tout le monde puis arrêté dans son élan. Je l’ai lu ce texte, RITUEL, et il pose des questions que peu osent placer dans le débat multi-culturel-religieux-politique-stratégique…contemporain. Je peux aisément citer ce titre car il reste inédit à ce jour.

 

Puis, nous avons travaillé sur des histoires de fantômes…Nous avons évoqué le pays d’origine des parents des enfants de l’immigration, la fascination/répulsion qu’il peut exercer sur ces héritiers des migrants de la première heure (J’habite un pays fantôme), enfin nous avons abordé des rives plus intimes où il a pêché son superbe Anatolia Rhapsody (remarquable, limpide, à l’encontre des simagrées « -du « vivre-ensemblisme » des pleutres), une vraie rhapsodie, une couture de récits qui porte en soi ce que la Cité déploie dans chaque citoyen et qu’ils ne peuvent épeler isolément. Il nous faut  alors des aèdes, des bardes (comme il les évoque si bellement dans son récit) pour prendre en charge ces récits douloureux, tragiques, collectifs et intimes et les rendre audibles par tous.

Kenan Görgün y déploie là tout son talent, sa rage de vivre (il aime Mingus, je le sais, ça ce lit…) et nous allons parler ensemble de tout ça mardi à Schaerbeek

(C’est une proposition des Bibliothèques de Schaerbeek, de l’Echevinat de la Culture et de l’asbl Traverse).

C’est gratuit et ça peut rapporter gros. A vous de jouer.

Daniel Simon

Voilà l’annonce Bibliothèques:  http://www.mabiblio.be/?p=399

Quand ? Le mardi 25 février 2014, à 20h.
Où ? À la bibliothèque Sésame (Boulevard Lambermont, 200 – 1030 Schaerbeek).
Combien ? Entrée libre.

 

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Patience et longueur de temps…

Posté par traverse le 21 février 2014

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Traduction dans un film à deux balles « ce type avec le pull sans manches » (il portait un gilet). Hop disparition du mot chez les traducteurs de télé.

 

Je vous passe les « pas de soucis » aussi nombreux dans les polars que les « reste avec nous, respire, respire, reste avec nous » de plus en plus usités.

 

Le MRAX, Inquisiteur subventionné, poseur de morale institutionnelle, ignorant de la pire espèce que le « vivre ensemble » se joue dans le conflit et pas dans la terreur. Lisez Charles Rojszman et évitez ces baliseurs méprisants (http://charlesrojzman.blogspot.be/2012/10/un-monde-de-gentils-et-de-mechants.html ). Ils doivent avoir raté la première leçon de psycho collective pour ne pas savoir que ces interdits feront les prochains samizdats et qu’ils seront bruns/noirs avec l’aide ce misérable Institut du Refouloir. De plus, ça se discute, ça se plaide, ça s’interroge la relation humaine et dès qu’elle se veut PURE, fuyez, vite, l’Histoire se construit sur des bûchers de pureté, alors fuyez ce « purisme humaniste », fuyez, n’importe où, mais loin du MRAX. http://www.lesoir.be/475432/article/debats/editos/2014-02-21/soir-repond-au-mrax

 

Et un texte intéressant pour se faire une idée plus précise…des enjeux de la Commémoration de l’Immigration turque et marocaine et de son importance:

http://www.ulb.ac.be/socio/germe/documentsenligne/3Rea98.pdf

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Un seul être nous manque…

Posté par traverse le 13 février 2014

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« Ecrire, c’est poursuivre un souvenir qui n’existe que dans le sens où il annonce, masque parfois, une expérience plus secrète, plus flottante, plus indéterminée et qui remontera enfin à la surface grâce aux leurres qui le désignaient et qu’il s’agit alors d’éteindre pour mettre à jour ce qui dormait à l’ombre… » (1)

Atelier d’écriture à Leuze / Province du Hainaut

  Monde ballant/ Monde lisant 

Un seul être nous manque…

Un atelier d’écriture, c’est comme la poésie, ça sonne bien à l’oreille mais ça peut recouvrir le pire et le meilleur. Le pire, ce sont les simagrées de belle littérature, les procédures appliquées, les réponses de surface, les accommodements avec la médiocrité qui est en nous. Le meilleur, c’est la reconnaissance de ce qui surgit et que l’auteur (e) retaille, retravaille, affine, explore et offre, enfin débarrassé de sa mauvaise graisse et offert à la visibilité de tous. La lecture est une aventure de qualité quand le travail invisible de l’auteur a débarrassé le texte de ces lieux communs qui réjouissent l’âme des faux poètes…

 

Un atelier, c’est un Cabinet de curiosités, une Abbaye de Thélème, un endroit préservé qui autorise l’audace, l’exigence, exige l’écoute, la bienveillance, les remarques et la nette conscience qu’il existe un univers entre l’auteur et son texte. Nous parlons de textes dans l’atelier, toujours mais des personnes les lisent, les commentent, des grains de voix se font entendre, des souffles nous touchent, des corps se penchent et se redressent. La vie du texte est dans le corps qui le prononce dabs l’atelier.

Les personnes comptent, bien sûr, et pas pour du beurre…Elles sont même essentielles. On y trouve touts les facettes de l’être : sombre, muet, sourd, puis lumineux, éveillé, perçant, on y rencontre des sympathies, des antipathies et on fait ce qu’il faut pour que l’empathie gagne.

 

Et soudain, une absente, un absent…Et le tour n’est plus joué comme la fois précédente. Il manque un référant, ici, c’est Micheline, notre Aînée, Micheline, souriante, vive, pénétrante qui a eu un « coup de santé » (comme on dit un coup fourré) le jour de son anniversaire. Elle va mieux, elle se remet, elle est forte et l’atelier l’est en grande partie grâce à elle.

 

Voilà, c’est ça aussi notre histoire de Balle, une histoire de personnes assemblées qui écrivent et lisent alors qu’il pleut ou que le soleil rayonne et qui sont heureux d’être actifs dans cette assemblée discrète, l’atelier d’écriture.

DS

A bientôt, voici les prochaines dates définitives :

le samedi 22 février
le samedi 15 mars
le samedi 22 mars
le mercredi 2 avril
le samedi 26 avril
le mercredi 14 mai
le samedi 24 mai
Toutes les séances débuteront à 14 h 30 et se termineront vers 17 h 30.
Blog Monde ballant/ Monde lisant : http://mbml2014.wordpress.com/

(1) La troisième séance, DS, couleur livres éditions, 2010.

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Arche/Clonage/Copie 3D/Littérature

Posté par traverse le 12 février 2014

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« Les Sels essentiels des Animaux se peuvent préparer et conserver de telle façon qu’un Homme ingénieux puisse posséder toute une Arche de Noé dans son Cabinet, et faire surgir, à son gré, la belle Forme d’un Animal à partir de ses cendres ; et par telle méthode, appliquée aux Sels essentiels de l’humaine Poussière, un Philosophe peut, sans nulle Nécromancie criminelle, susciter la Forme d’un de ses Ancêtres défunts à partir de la Poussière en quoi son Corps a été incinéré. »

Petrus Borellus  

(Pierre Borelle 1620-1671)

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La Cité des Ravissements

Posté par traverse le 11 février 2014

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                David Lynch

L’écrivain ne savait plus qui, de lui ou de ce qu’il prétendait être, parlait, écrivait ses histoires. Il ne s’y retrouvait plus. Il confondait de plus en plus souvent la mort de ses personnages avec le temps qui prenait tant et tant de place en lui. Il avait peur, il remettait sans cesse sa vie au lendemain au nom de simagrées qu’on aimait le voir faire.

 

Un matin, il ne se leva plus. Le réveil sonnait, il le laissa faire sans étendre le bras pour l’arrêter. Il s’enfonça un peu plus sous la couette et frissonna. Des cauchemars l’avaient traversé toute la nuit, il était en nage. Il avait soif, terriblement soif, il ferma avec force ses paupières et attendit que le monde se passe, sans lui.

 

Un peu plus tard, il alla aux toilettes, prit un magnum d’eau dans le frigo et retourna au lit. Cela dura une semaine. Il se nourrissait de ce qu’il trouvait dans les armoires surélevées de sa cuisine. Il cuisait des pâtes qu’il arrosait de piment et se mit à vider les dernières bouteilles d’alcool de son bar. Il écouta son répondeur quelques secondes, effaça les messages et débrancha le téléphone. Il fit le compte de ses provisions, il avait de quoi tenir un moment. Cette angoisse de manquer lui servait pour la première fois de sa vie.

 

Il ne voulait plus sortir, il ne s’en sentait pas la force. Le téléphone sonnait régulièrement, des mails arrivaient mais il ne les ouvrait plus. Il tenait sa tranchée, il en faisait partie, les bruits du dehors ne l’atteignaient plus de la même façon, ils ne marquaient plus l’étendue infinie au-delà des fenêtres à double vitrage, ils s’entremêlaient et s’étouffaient lentement. Un matin, il entendit le silence et eut besoin de pleurer. Mais il n’était pas encore prêt et alla se recoucher.

 

Il entama ainsi la deuxième semaine. Il se releva plusieurs fois et essaya d’écrire mais rien ne venait. Ses doigts rataient les touches du clavier et il effaça le tout en regrettant le geste de la feuille de papier qu’il arrachait, il y a longtemps, de la machine-à-écrire avant de la chiffonner et de la lancer dans la corbeille à côte de sa table de travail. Il n’y avait plus de geste dans la vie qu’il menait. Des répétitions de tics, des réflexes surs des surfaces sensibles, des chipotages tactiles, mais plus de geste d’ampleur. Son corps s’était rendu à l’ennemi. Il pensait résister mais tout était presque perdu, il le sentait, il le savait. Un homme sans ampleur n’était pas grand-chose à ses yeux. Cette qualité qu’il pensait perdue tenait encore le corps des vieux qui maniaient la lenteur avec la sûreté des pandas protégés.

 

Une deuxième semaine s’acheva. Il dut sortir faire quelques courses dans le quartier et éprouva un sentiment étrange : il était invisible et souriant, prêt à disparaître, paisible. Il était heureux de ne plus être là. Quelqu’un le bouscula, il se laissa emporter par la secousse jusqu’au bord du trottoir. Il se raidit devant une voiture qui passait et le regretta aussitôt.

 

Rentré chez lui, il s’assit face à la fenêtre et pleura, en secousses, puis de longs sanglots et renâcla enfin comme un cheval qui meurt. Il resta là la journée entière à regarder le ciel et la cime des arbres. Il ne comprenait pas encore ce qui lui arrivait bien qu’il en connût toutes les étapes. Le soir s’effilochait en lambeaux sur la crête des toits et il eut froid. Le besoin d’écrire était là, fragile mais comme à neuf. Il ouvrit l’ordinateur et relut la consigne que la Revue lui avait envoyée quelques semaines auparavant, « Comme en 14 ».

 

Il pianota des choses sans importance une heure durant. Tout était trop littéral. Cette guerre, il la connaissait depuis son enfance et les récits de ses grands parents. La boucherie, la boue, la bêtise, il avait tout entendu. Il avait respiré les gaz et la putréfaction. Il avait entendu les sanglots et les bombes.

Ses doigts s’arrêtèrent sur le mot « élagage ». Il aimait ce mot. Il l’employait souvent mais soudain il résonna sèchement comme une évidence. C’est à ce propos qu’il voulait écrire depuis longtemps. C’est sur cet élagage inévitable qu’il allait probablement connaître qu’il se mit à écrire. Sur cette façon qu’il faudrait réinventer de tuer les hommes quand ils sont énervés, en colère ou ivres de frustration.

 

Il regardait le grouillement, les masses, les coulées d’humanité se déverser un peu plus chaque jour autour des métropoles exsangues. Il voyait chacune, chacun, un à un, une à une, il les voyait dispersés sur la terre, il les regardait comme s’il s’observait dans un miroir : la grossièreté des traits, l’empâtement du visage, les rides, les balafres du temps, c’était lui, c’était eux. Dans le prisme de la compassion pour tant de douleur partagée, il saisit une idée qu’il voletait en lui et se mit à creuser.

 

Il travailla toute la journée, le lendemain et la semaine. Il engrangeait des sources, des modèles, critiquait ses données en permanence. Il consulta des traités d’eugénisme, découvrit les rêves mortifères d’hygiénisme de la guerre, des poètes  célèbres hantés par le nettoyage génétique, la confrontation au Chaos, la rude épreuve feu, tout ce qu’il fallait pour réduite le surnombre et renforcer l’humanité. La tribu mondiale cultivait des comportements locaux et d’apartheid. La rupture était imminente, cela basculerait bientôt dans la barbarie la plus effroyable au nom de Dieu, de l’eau, du développement continu et de ces saints apôtres pétroliers, les lignes de faille étaient visibles, les coutures lâchaient, la déchirure filait vers l’infini.

 

Le soir, il se sentait mieux. Il avait embrassé le pire et en sortait lessivé, libre, à nouveau audacieux. Son projet prenait forme. A la fin du trimestre, il estima avoir conclu sa modeste proposition. Il adressa son protocole et ses arguments aux instances nationales et internationales et attendit. Le texte était court et tenait à peu près en ces termes…

 

« Ils sont assis calmement face à leur pupitre. Ils écrivent en silence, tracent des rondes, des jambages, des pleins et déliés. Ils sont soigneux et silencieux. Cela coûte d’aller à l’école, alors on est attentifs, et studieux. L’avenir en dépend. Passer par là donne plus de chance de ne pas mal finir.

 

La cloche a sonné, ils se sont levés, ébroués, pris leur barda, leur fusil, leur casque et sont allés se faire tuer en chantant dans le soleil d’été.

 

Le soir, le maître a nettoyé la classe.

Le lendemain, elle était presque vide.

 

Le temps a passé, des cris, des murmures, des rires, des chaises qui renâclent et tombent, des sonneries, des rires, quelques uns sont affalés devant des documents qu’ils tiennent du bout des doigts, d’autres s’étendent en bâillant. Ca parle et ça s’exprime. Quand on passe par ici, l’avenir n’est pas certain disent les plus âgés.

 

Des réseaux s’organisent, des sociétés secrètes rassemblent des adhérents de plus en plus nombreux pour apprendre le soir ce qu’ils méprisent le jour. L’école est pleine et les cœurs sont vides. Ceux-là se sont vengés et ont tiré dans la foule un bel après-midi, les autres, là-bas vont boire et fumer avant de prendre la route et s’encastrer dans des poteaux d’acier. Ils tètent, ils grognent, ils pleurent, ils sont sans recours devant leurs besoins sans façons. (…) »

 

« (…) La plupart se débrouillent, sans idéal ni espoir, changent de pays, de noms, de langues plus souvent. Ils s’écrasent comme des insectes alourdis par une chaleur d’orage sur les pare-brise. Des maladies renaissent, des attentats crépitent sur la carte du monde, des raz-de-marée, des cyclones, des guerres, la famine, la soif, la peste et le choléra. Mais ça ne suffit pas. Il en naît chaque jour, trop et sans mesure. (…) »

 

Le rapport citait, reliait les arguments, bousculait les habitudes et bouclait finalement sa théorie de la façon la plus poétique…

 

« La destruction, l’élimination de l’humanité est un rêve inapproprié et sans fin. Nous le savons. Guerres, génocides, massacres, rien n’y fait. Une force de vivre plus haute que la survie ponctuelle et terrible habite les hommes, ils rêvent de se prolonger dans n’importe quel enfer et ils s’y emploient chaque jour. Nous voyons le résultat. Rien n’y fait.

 

Par ailleurs, une faille, un éclat dans le marbre, leur soif absolue de jouir et de jouir encore des plus jeunes aux plus vieux, la jouissance est le cap. Et cette frénésie érode tout. Le désir de soi gagne sur le désir de se perpétuer. Il suffit d’augmenter cette pression, louer cette disparition, la favoriser et le Chaos sera maîtrisé.

 

Des Cités de Ravissement, des couronnes d’addictions autour de chaque zone urbaine, des districts du plaisir réglementé, voilà la solution.

 

Ma modeste proposition consiste à établir ces Cités où toutes les drogues, plaisirs et assuétudes seraient offertes à l’humanité souffrante. Des cartes réglementaires, des bases de données numériques, tout sera diligenté pour rencontrer les désirs des consommateurs.

 

Chaque mois, chaque famille, et tout individu à partir de six ans, devra faire preuve de son  passage dans les Cités de Ravissement. Quatre passages mensuels suffiront à défaire en eux toute velléité de reproduction, l’effondrement sera régimenté, la dissolution de soi, la seule loi.

 

Lors de ces trajets vers les Centres aménagés, le manque et la nervosité suffiront à élaguer bon nombre des consommateurs (accidents, effets de panique, troubles cardiaques et respiratoires, crises d’angoisse, haine de soi, suicides collectifs,…). Lors des retours, nous arrivons aux mêmes conclusions, et de façon exponentielle.

 

Les assuétudes briseront toute velléité. La stérilité, le repli sur soi, l’abandon des autres, la désintégration sociale permettront d’accélérer encore le processus de décomposition.

 

Le temps sera le seul handicap. Les temps longs en ces matières peuvent s’installer. Il s’agira alors d’amplifier certaines dimensions de ma proposition mais elles sont en germe dans le fruit.

 

A ce rythme…. (…) »

 

L’écrivain avait terminé son œuvre, son plus bel opus. Il n’était pas mécontent du titre non plus. Cela résonnait comme l’époque. Exotisme, esprit de la ruche, spiritualité obsessionnelle dans une arche de contentement.

 

Sa modeste proposition reçut des accueils divers. Des chipoteries, des accents d’éthique bafouée, des incompréhensions dans la procédure proposée, mais tout était globalement positif.

 

Le sentiment du devoir accompli l’emplissait, des frissons le parcouraient comme les vaguelettes du ressac.

 

Il acheta une arme, un simple revolver à deux sous sur Internet et se prépara. Il ne se tira pas une balle dans le pied, son intention n’était pas d’échapper au prochain assaut mais de le précéder. Il visa la tempe, pour l’ampleur du geste qui menait le revolver jusqu’à l’endroit choisi et fit feu.

 

Ensuite, il prit une douche, s’habilla impeccablement et sortit, léger.

 

Daniel Simon

 

 

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Deux livres récents dans la collection Je…ce 9/2 Schaerbeek

Posté par traverse le 5 février 2014

Rencontres littéraires

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fichier pdf Rencontres littérairesTraverse

A La librairie Cent papiers, 23 avenue Louis Bertrand – 1030 Schaerbeek 

Le dimanche 9 février de 15 à 17h,

deux livres, deux auteurs dans la collection Je  www.couleurlivres.be

            Présentation par Daniel Simon       

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Outplacement dans la collection Je – Quart de pageArnaud de la Croix

« Avant de vivre l’expérience, je connaissais le mot de vue. Et il ne m’inspirait pas confiance. Sans doute parce que s’y trouve le préfixe out, comme dans « Qui est IN et qui est OUT ? », ou comme dans knock out… Outplacement (prononcer aoûtpléssmeunt) est un mot qui ne se traduit pas en français, ce qui ne l’empêche pas de trimballer une chaîne lexicale qui fait froid dans le dos : mettre dehors, déplacer, déporter (au sens de porter hors du cocon douillet de l’entreprise, de déverser dans la rue, où les SDF meurent de froid. »

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Dans mon pays, loin de mon pays dans la collection Je

Lili Sorel

Lili Sorel a écrit ce récit d’un ton ferme et émouvant, en nous laissant entendre, avec une voix singulièrement apaisée, une partie de notre histoire congo-belge…

Ce texte s’est construit en deux années de recherche, d’affrontements difficiles, de retrouvailles heureuses, de mystères en partie élucidés. Ce texte est aussi un récit de voyage autant que le récit d’une vie, d’une génération, d’une part de notre histoire congo-belge. »

Invitation cordiale – Entrée libre – traverse@skynet.be – 0477/76.36.22 – www.traverse.be

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