Ma vie est passée dans le vent et les gares

Posté par traverse le 30 mars 2014

 

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Ma vie est passée dans le vent et les gares, auto-routes et cafés vite bus dans des gobelets de carton, parfois des haltes, des bras chauds, des voix presqu’inaudibles, des regards perdus, pourquoi suis-je devenu ce point d’arrêt à cet instant, cette vie, en face  qui se regarde en moi, souvent de la musique poisseuse, une gale, l’exécration de l’homme, dans cette gare si grande et sale, cela sent toujours le pire des hommes dans les lieux de passage, dans cette gare des familles étalées sur un sol de misère, des poubelles débordent, les passagers passent, des jeunes sur leurs skates, de vieux noirs édentés marmonnent sur les bancs, le commerce, des choses s’achètent, se mangent, se jettent sur les hommes à défaut d’autre chose.

J’ai attrapé mon train et n’ai rien lu pendant tout le trajet.

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Je devais téléphoner à quelqu’un de peut-être important

Posté par traverse le 22 mars 2014

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Je devais téléphoner à quelqu’un de peut-être important

pour moi et quelques autres,

j’étais tout entier concentré sur ce qui se joue

alors et encombre la vie

de ces nécessités odieuses

qui nous font l’air heureux,

la personne me dit c’est une erreur,

qui avez-vous tourné ?

Une panique aiguë m’a frappé droit au cœur,

l’enfance perdue, le cadran du téléphone,

le doigt s’enfonce dans l’anneau, l’ongle griffe la bakélite,

la résistance du mécanisme, le temps et les cliquetis de l’appareil,

Qui avez-vous tourné ?

J’avais entendu autre chose de grave et douloureux,

j’ai dit c’est une erreur,

une terreur peut-être que l’on tourne du doigt

pour retarder le temps.

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Un cerveau en étoiles

Posté par traverse le 10 mars 2014

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Elle était partie. Loin. Du côté des étoiles comme disaient ses amis. Au pays du crabe, comme il grommelait en s’endormant. Les mois passaient et Michel Berlin sombrait. La figure de son tendre amour effaçait le monde autour de lui. Il vivait un pas de côté, absent des rythmes légers de la vie. Il travaillait mais passait souvent plusieurs jours enfermé, espérant mourir d’un coup, comme on est désintégré dans les films de science-fiction.

 

Il s’habituait à ça aussi, et il se mit à mourir de moins en moins souvent. Il entendait toujours son magnifique rire traverser la pièce, la voyait endormie sur le canapé ; sa peau lui manquait, sa peau mate et chaude, son unique contrefort dans la vie. Il passait ses journées à scruter ses photos, écouter les enregistrements, aspirer en boucle les vidéos qu’il avait faites d’elle. Il tournait en rond, il s’éloignait de son centre, sans l’avoir décidé, il avait accepté l’idée de s’éteindre.

 

Les mois passèrent, le printemps revint. Un matin, Berlin téléphona à l’hôpital où elle avait séjourné en phase terminale et demanda un rendez-vous. Le Professeur responsable du service d’oncologie lui en proposa un trois semaines plus trad.

 

Berlin avait décidé de retrouver ses traces, de la reconstituer de toutes les façons et il lui restait cet ultime endroit pour tenter de réanimer la mémoire qui se déferait lentement de ses plus beaux souvenirs. Il se dit que dans les archives de la maladie de sa bien-aimée il récolterait quelques poussières. Il était prêt à tout pour ne pas la perdre une deuxième fois. Il attendit le rendez-vous dans une apnée de ce que certains auraient appelé le bonheur. Ce jour-là, le soleil brillait, un soleil froid dans un ciel bleu sans nuages.

 

Le Professeur écouta Berlin longuement, dans un silence entrecoupé de quelques questions. Les archives étaient scellées, répétait le Professeur et que pouvait-il trouver dans quelques clichés neuronaux et photos d’IRM ? « Que pensez-vous, Monsieur Berlin, pouvoir récupérer de ces graphes et biopsies scannées, des clichés en 3D de sa flore gliale et même des crayonnés que j’ai réalisés pour mieux comprendre l’évolution de sa maladie ? Que voulez-vous « reconstituer » Monsieur Berlin, votre femme n’est plus, ses cellules se sont développées à un rythme affolant, des métastases partout ; elle se nourrissait d’elle-même, comme une étoile qui explose dans la galaxie et se dilate en projetant sa matière dans des univers de gaz, elle se disperse dans l’infini, elle est partout, Monsieur Berlin, comme une poussière d’étoile, une poussière et nous allons la rejoindre quand notre magma sera lui aussi sur le point de s’éteindre… »

 

Berlin insista avec une conviction qui fit comprendre au Professeur que rien ne l’arrêterait, qu’il allait tenter de la reconstituer mentalement, de la reconstruire, cellule par cellule, de la remettre en mouvement dans le grand vide de l’absence.

 

Ils reprirent plusieurs rendez-vous, le Professeur fut conquis par son insistance et la rudesse de son désespoir. Berlin reçu de nombreuses copies, fac-similés et scanners. Il se mit le soir-même au travail. Assembla, relia, combina des données, projeta des formes sur le mur de sa chambre, scruta la mase des 1250 grammes de millions de milliards de cellules qui avaient élaboré dans le secret des émotions et des expériences, ce que sa femme avait de plus serein, son amour sans limites et sans conditions.

 

Il installa des télescopes dans son grenier, épingla des cartes du ciel sur tous ses murs et se prépara à passer ses nuits la tête dans les étoiles.

 

Cela dura un an. Berlin lisait dans le ciel le cryptage du mal qui avait dilapidé les cellules du cerveau de son amour. Il commençait à comprendre la cartographie double qu’il dressait chaque nuit et le visage de sa femme commença à occuper la voûte céleste toute entière, des sourires de madone, des baisers ourlés, des regards de chatte, des yeux pétillants de malice, il paraphrasait dans le ciel les tracés que la maladie, vive, intelligente et rapace, avait dessinés dans la chair précieuse de celle qu’il aimait.

 

Cet amour n’était pas une histoire simple, plutôt une sorte de refuge à perpétuité qu’ils avaient décidé d’établir l’un dans l’autre, une fusion infantile pour se soustraire au présent et à la fin.

 

Les cartes du Professeur lui servaient de repère, il allait dans le ciel comme on va dans un livre d’images, les yeux captifs et l’imagination en vadrouille. Les scanners balisaient son émerveillement et les positions du Soleil, de la Lune, de Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne, ainsi que des mille trois cent septante-sept étoiles brillantes conjuguaient leur luminescence en de vastes portraits qu’il photographiait chaque nuit.

 

Les années passèrent et Berlin, la tête dans les étoiles, semblait heureux. Il vivait seul mais ne se plaignait de rien. Il était joyeux et avait hâte chaque soir de braquer ses lunettes vers le firmament.

 

Peu à peu,  le ciel se dissipa dans de vagues brumes, la voûte tant aimée devint presque invisible aux terriens, des changements climatiques majeurs, des éclairements toujours plus nombreux saturaient la vision. Berlin scrutait maintenant un ciel encombré de lumière, pâle et dégradé.

 

Il y perdit la vue, ses yeux fatigués se brûlèrent à cette incandescence céleste. Il était à la fin de sa vie et il prit donc sa cécité pour une chance. Des piqûres de lumière papillonnaient sur sa rétine et il se surprit à envisager une nouvelle cartographie amoureuse. Les yeux clos, on le voyait sourire en tendant légèrement sa tête vers le haut comme le font les aveugles quand ils écoutent intensément.

 

Berlin balançait doucement la tête dans le vertige de ses visions, il l’avait enfin retrouvée.

 

DS, mars 2014.

 

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Le Cahier des larmes

Posté par traverse le 6 mars 2014

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Une mer intérieure, une mer de larmes, un océan de pleurs, voilà de quoi il était rempli et rien ne se déversait plus, rien d’autre ne prenait de place en lui. Il allait, étouffé et gonflé de ces torrents inversés, l’œil sec, piquant et  brûlant.

Des vagues lui gonflent la gorge, des refoulements de sanglots ;  des précipices remontent des lamentations anciennes. Il se souvient de ces anciennes larmes, comme si la nuit qui les avait soufflées – du verre dans la lumière des flammes intérieures- était celle qui le verrait enfin brisé, larmoyant et courbé sous le poids des chagrins.

Ces larmes n’avaient plus d’effet sur lui, elles n’étaient que sons, mots, souvenirs, regrets des offices anciens, désastres de marbre mais plus rien ne les faisait rouler et jaillir et tomber sur son torse, ses pieds et la terre où il était.

Un trop-plein de larmes de toutes sortes le menait lentement au chaos et sa défaite prochaine prenait forme de bonne nouvelle, des larmes enfin allaient conduire sa chute jusqu’à extinction de toutes ces passions sèches. Des larmes viendraient, un trou se laisserait entrevoir au milieu de son cœur et ce serait la bonde qui lâcherait, un flot bienfaisant se répandrait sur lui, il ne serait plus qu’une statue liquide, une masse de glaise, un golem gémissant.

Des larmes taries sont nées les rires de gorge, de ventre et de bousculade, rires pour se moquer du dire, rires qui montent de la plante des pieds et renvoient la vie à sa godillante marche de toupille. Ces rires se ruent jusqu’au faîte et font trembler l’homme tout entier, semblent parfois baignés de chaudes larmes, de gouttelettes d’huile sans vertu ni matière qui giclent sous la pression des saccades grotesques, des pétillements humides, des éclaboussures mécaniques machinées par les entorses à la sérénité ou à l’ennui de vivre.  

(à suivre)

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