Feuillets de corde n° 14
« Vivement chez nous »
Dimanche 25 mai, nous allons et voulons voter!
Après nous irons où nos cœurs ont pris parti.
Ou nous regarderons, écouterons, commenterons les résultats: « Léger tassement, avancée significative, reconnaissons un recul stratégique, attendons les résultats, dans la circonspection de …, Et vous Madame…que pouvez-vous nous dire ce soir? Et vous Monsieur…comment expliquez-vous…Jusqu’au matin.
Nous, nous irons voter puis Feuilleter les derniers Feuillets de corde à la Librairie Cent papiers de 15 à 17h…au 23 de l’avenue Louis Bertrand.
Nous serons chez nous, dans ce lieu de culture, entre amateurs et « professionnels », nous passerons deux heures pour fêter le Poète inconnu (je l’imagine en terre de Syrie depuis trop longtemps…mais la Syrie est vaste et dépasse ses frontières…)

Vivement chez nous!
Nous accueillerons Olivier Terwagne qui écrit, compose, chante, et fut un fidèle de
nos rencontres. Heureux de terminer cette série avec lui!
Puis à la photographie, une complice aussi,Aline Dupont, dont vous retrouverez
régulièrement les photos en couvertures des Editions Traverse dès septembre…
Puis, Musique, lectures et…vivement chez nous!
Rentrer chez soi. Décalage horreur. Orage dans l’air, erreur des sages, oikophobie, remugles, ménage à trois oboles, auberge espagnole. Les rues s’éclairent à contre-jour. Gilgamesh abhorrait Uruk, tyrannisait ses proches. Des frontières cassées à l’épopée, retour à la maison, autre son de cloche, de clash et de peinture, il aime enfin ses murs. En Grèce, les guerriers quittèrent les seins des épouses pour leur destin et l’Asie mineure : d’Ouest en Est, en quête de gloire pour la femme adultère, dans l’espoir du retour, dissipé par les nymphes, déguisé en un autre, au bras d’une femme fidèle. Tout ça pour ça. T’aurais dû rester chez Calypso, t’as voulu jouer au héros. Paysan ! Avec un devoir à chercher, comme disait l’autre. Le plus court chemin de soi à soi pour devenir un héros : savoir qu’on a voulu tuer son père, un jour. Ne rions pas de nos ersatz. L’incendiaire Hélène resta sur place.
Le paradigme moderne du « je pense, je suis ici chez moi » est-il encore d’usage quand je suis sous prozac ? Les murs de la cuisine aspirent à un lifting. Les papiers s’amoncellent dans le living. Un coup d’œil au journal numérique. Hégélien par élégance de conduite, je pense que l’esprit du temps s’invite dans les événements politiques. Et si la vérité des hommes se cryptait au contraire dans les reliques des faits divers ? Tiens, personne n’est mort pendant que j’étais en vacances ? Je n’ai rien manqué. Je ne jette pas le mal avec l’eau du bien. Vous nous avez ramené la pluie ! Le soleil ne reviendra plus cuivrer les peaux des étrangers. Les temps changent. Pourrons-nous compter sur le droit à la clim universelle ? Trop de chaleur compassionnelle finit par étouffer les cœurs trop purs – ils vont sauver le monde en avion sans dire au revoir à leur voisin. L’Occident vaque à ses pulsions. Fin de l’histoire.
Ailleurs, c’est pas chez nous. Traumatisme de l’évidence. Truisme de connivence. Antinomie fondatrice de la métaphysique occidentale. Sans truisme, centrisme, ethnocentrisme. Ils cherchent dans les autres le même. Je n’ai pas sorti ma théorie du genre au bon moment. Que n’ai-je ouvert les vannes ? Un militant crie : « Je ne serai content que lorsque Paris ressemblera à Ouagadougou ». Une femme micro-trottoir: « Pourrais-je un jour fumer à nouveau au milieu de ces femmes voilées ? Et montrer mes nichons, tranquille ». Red bull te donne l’halal. Capital, klaxonnage de gueule, sevrage et religion. Choc des pulsions. La guerre des voiles aura-t-elle lieu ? Tombe le string et le foulard. 68 printemps de retard. Enlever les croix sur les vieux murs des écoles. Et pour remettre l’église au milieu du village, il leur faudra une autorisation communale ? Du droit d’exil à la dernière cène, Coluche et les « restos du cœur ». Romantique parisien, j’ai mal au siècle après avoir garé mon vélo boulevard Ménilmontant. Je voudrais foutre le camp mais la gravitation universelle me retient parmi le rien. Un corps à corps m’enchaîne aux pulsations. Futur référendum: changer les lois de la physique dans la constitution.
Vivement à la maison qu’on puisse « mater » tranquille les photos des vacances. Prendre une photo d’un événement avant de le vivre – à terme – archiver les photos dans un « disque dur » – externe. Mise à distance – nécessaire. Ne jamais regarder – l’évidence. Prendre en photo l’ailleurs pour ne pas le vivre. Inscrire sur sa carte de visite « iphonographe », « ipadographe ». Disque rayé comme le pull over du Vel d’hiver. C’est chic. Je peux chanter la misère mais par intermittence seulement. Peut-être parlerez-vous de mon statut d’artiste subventionné par l’Etat.
Vivement chez nous. Sentence hystériquement correcte si j’en crois l’histoire de la chair, celle qui n’oublie rien. Prononcée par le grand Rabbin lors de la destruction du Temple en 70 après celui dont il niait le potentiel divin. Impossible de venir, mensonge suivra. Salle d’attente de près de deux mille ans avant de rentrer à la baraque, autorisé à faire le ménage devant sa porte cachère. Rentrer dans ses pénates, revendiquer le droit d’asile chez soi, et subir l’hostilité des pays voisins. Je suis malade dans ma propre maison et les coupables sont à la porte. Je suis toujours coupable et vous finirez par m’aimer.
Sans doute se souviendra-t-on du siècle des grands désenchantements du monde comme une longue repentance du sang versé. Pour la multitude. Il n’étonnera personne que les enfants de l’iphone, trop ouverts aux blessures des frontières et des Roms, terminent dans des bunkers design en intranet, partouze tous pour un point com. Je n’existe pas. C’est la communauté qui parle en moi. La guerre des mémoires est-elle déclarée? Qui n’a pas encore eu son badge « victime du crime contre l’humanité ». C’est la manif pour tous. Il n’y a pas de jardin sans clôture, pas de réel sans frontière. Suis-je coupable de droitisation ? Je m’inquiète, je m’éclate, je me déchire en relisant les Eléates.
Les morts entendront-ils la note exacte ? Et si l’avenue de l’impasse résidait dans un la ? La musique est la ruse de l’histoire, elle métisse en hémioles sur une basse continue. Elle matisse la fauvette en une baise inconnue. Une syncope audacieuse. Bach assoit sa vie en prouvant l’existence de Dieu. L’Europe résonne. Polyphonie des voix ? L’Orient sonotone. Contrepoints de suture ? Chant grégaire ? Naguère se tarissait la monodie grégorienne. Les moines survivaient en silence aux décadences millénaristes et inventent le plain chant. Douce plainte d’une enfance cistercienne que je n’ai pas connue. Vingt-et-unième siècle. Battement binaire. Pensée du Deux. Formidable. Au nom des damnés de l’altermondialisme, on est ici chez nous. Nous sommes des « icitiens » a dit Jamel Debouzze à la télévision.
Vivement chez nous disait de concert ce couple en vacances. Souvenir des noces. Les mariages, j’aime bien : on peut mater du nichon tranquille, en douce. Si on est seul. J’ai toujours eu un problème avec les vacances. Plan quinquennal du luxe, une expérience unique. C’est l’ère de l’esthétique ; moi, je kiffe. J’ai plus de vécu que toi et tes soutifs. « Nouvelle crise existentielle », « nouvelle crise existentielle »… Mais s’il fait une crise existentielle tous les quinze jours, on est beau. Se mettre au vert, c’est trouver la vérité du couple à l’étranger. Une fois rentrés chez nous, le nous n’existe plus. Premier jour à terre, drôle d’odeur dans l’air. On ne passera pas l’été. Malaise en altitude : elle était moins fausse que d’habitude. Retour de vacances et l’histoire me rattrape. L’événement frappe à ma porte. Les printemps des peuples tournent à l’aigre. La reconquête de ton expulsion. Un long chemin des croisades aux monospaces. Une amie m’a dit un jour : « ton problème, c’est les gens ». Moi je te dis, toi tu me dis, elle, elle ne dit rien. Nous pulsations, la vie, la mort, valsent dans le même ton. Je est inconscient qui me tue, toi tu n’en sais rien. Désaccordéons-nous tant qu’il est temps, je est un vous dans le même temps.
Chaque soir, comme Socrate
Assister au procès sans pouvoir répondre.
Les juges athéniens souhaitaient le bien de la cité
Plus tard, je citerai les grecs, la doxa m’accusera d’européocentrisme
Tu te retrouveras avec tes culottes à trous sur le trottoir
Comme si les larmes avaient le dernier mot du réel
On ne fait pas de politique avec des pleurs
L’Eglise recueillait « albi nati » et nés d’ailleurs
Et puis les juifs empoisonnaient les puits
Tu sais, c’est du passé tout ça
Nous souviendrons-nous des Cathares
Du génocide d’une famille Tsar
Il faudra encore que tu chiales
Pour avoir ce que tu veux
Il faudra que je sois mâle
Pour m’habiter selon mon genre
Tu restes une énigme et moi un soliloque
C’est un billet de rumeur
Et j’ai droit de propagande
Sur la carte blanche
Génétique du futur, séjour éternel dans la carcasse d’un autre. Si je peux choisir : la gueule greffée sur le corps d’une bimbo plutôt « bi », histoire de faire l’amour à mon genre. Quittons-nous en bons spermes. On se retrouvera quand l’enfer sera en promotion. J’espère qu’on n’aura pas vendu mon corps d’ici là.
O.T.