J’émigre…vers d’autres Blogs.

Posté par traverse le 15 juillet 2014

En 8 années de Blog, j’ai eu la chance de vous lire, de vous rencontrer, de vous donner des nouvelles, des coups de cœur et de gueule, et de constater, puisque cela semble un critère pour certains « numériques » (critère, à mon sens, absolument volatile…), un nombre de visites qui m’a impressionné…

Nombre total de hits : 521394  Nombre total de visites : 283355

blog.fr/2013/10/02/on-n%E2%80%99entend-que-des-clicks/

Après 8 ans ici-même, un peu d’air frais fera le plus grand bien.

Vous aurez alors la possibilité de visiter deux Blogs, le mien, « Je suis un lieu commun…. » et celui des Editions Traverse qui commencent leurs activités en septembre 2014.

http://editionstraverse.over-blog.com/

 

« Je suis un lieu commun » : http://traverse.unblog.fr demeurera en Archives.

Mon nouveau Blog devient: 

http://je-suis-un-lieu-commun.over-blog.com/

 

Par ailleurs, plusieurs rendez-vous déjà en cette période de chaos éditorial: faillites d’éditeurs, fermetures de librairies, pertes d’une génération de lecteurs, …

Si vous souhaitez nous lire bientôt…n’hésitez pas à nous envoyer une réaction, une demande, une proposition de collaboration, des nouvelles, à  …traverse@skynet.be

Enfin,

Je, la collection  des Récits de vie demeure ici:  http://auberge.unblog.fr/

et La collection des Feuillets de corde continue mais sous une autre forme dès 2015…

Vous retrouverez le Blog : http://feuilletsdecorde.unblog.fr/

sous une autre adresse ( et achevé, ici il nous manque de la place qui est devenue beaucoup trop  chère chez unblog.fr) Les N°s 13 et 14 des Feuillets seront recensés bientôt…) également dans notre Site www.traverse.be complètement renouvelé au profit des Editions Traverse…

Bel été!

Daniel Simon 

(Cinq livres à paraître dès septembre jusqu’en décembre 2014…)

« Autobiographie rêvée »: chez www.couleurlivres.be dès septembre.

« A côté du sentier », nouvelles (chez MEO, avec une aide à l’édition du Fonds National de la Littérature)…

« Lettre à Saint-Nicolas » (éditions Couleur Livres), décembre 2014.

« Bruxelles, babel, babil et sabir » (Collection promenades, Traverse Editions).

« Théâtre pour acteurs et marionnettes (L’Harmattan, décembre)

 

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No pasaran!

Posté par traverse le 25 mai 2014

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Horreur, colère, tristesse, respect, écœurement, …tout se mêle dans le vocabulaire des émotions quand la lâcheté de la violence l’emporte. Et notre haut-le-coeur n’est pas sélectif, croyez-le, nous récoltons la première ligne des semailles…

Image empruntée au Blog de http://mario-scolas-727.skyrock.com/

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Dans le chaudron vous m’avez plongé

Posté par traverse le 15 mai 2014

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Pour Daniel BIG

Photo: Aline Dupont

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Tout le malheur de l’homme vient qu’il ne peut tenir dans une chambre.

Pascal

Dans le chaudron vous m’avez plongé, entremêlé de câbles, d’USB et de Wifi subtil, dans le dialogue en purée psittaciste, la vertu du respect compassé, l’empathie obligée en mépris larmoyant, la cyber fête des ennuis infinis, Babel comme horizon maudit, les embrassades humanitaires avec logo design, l’indignation des âmes occupées, le monde comme un village, l’animation de la farce colloscopique, des enfants en hachis d’ennui diabétique, des amours en horizon mythique, des croyances de chamanes de banlieues, des égos en LEGOS, des frayeurs de chatons sans tétine, des compassions virtuelles sans lendemain, des génies du matin éteints l’après-midi, des façons de mourir comme une maladie rare, des besoins authentiques de vertu naturelle, des histoires sans souci à ne pas se prendre la tête, des tristesses à la posologie douce, des allures de sauvage dans le Safari Park, de tout, de rien et encore autre chose, dans ce chaudron global, je mijote en soufflant sur le feu, d’un coup, poumons gonflés, je dis : « Vivement chez nous ! » et je m’enfuis en courant de ce bonheur malingre. « Vivement chez nous ! »

DS

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« Vivement chez nous! »

Posté par traverse le 3 mai 2014

Feuillets de corde n° 14

« Vivement chez nous » 

Dimanche 25 mai, nous allons et voulons voter!

Après nous irons où nos cœurs ont pris parti.

Ou nous regarderons, écouterons, commenterons les résultats: « Léger tassement, avancée significative, reconnaissons un recul stratégique, attendons les résultats, dans la circonspection de …, Et vous Madame…que pouvez-vous nous dire ce soir? Et vous Monsieur…comment expliquez-vous…Jusqu’au matin.

Nous, nous irons voter puis Feuilleter les derniers Feuillets de corde à la Librairie Cent papiers de 15 à 17h…au 23 de l’avenue Louis Bertrand.

Nous serons chez nous, dans ce lieu de culture, entre amateurs et « professionnels », nous passerons deux heures pour fêter le Poète inconnu (je l’imagine en terre de Syrie depuis trop longtemps…mais la Syrie est vaste et dépasse ses frontières…)

 

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 fichier pdf Vivement chez nous!

Nous accueillerons Olivier Terwagne qui écrit, compose, chante, et fut un fidèle de

nos rencontres. Heureux de terminer cette série avec lui!

Puis à la photographie, une complice aussi,Aline Dupont, dont vous retrouverez

régulièrement les photos en couvertures des Editions Traverse dès septembre…

Puis, Musique, lectures et…vivement chez nous!

 

VIVEMENT CHEZ NOUS !                                  

Rentrer chez soi. Décalage horreur. Orage dans l’air, erreur des sages, oikophobie, remugles, ménage à trois oboles, auberge espagnole.  Les rues s’éclairent à contre-jour. Gilgamesh abhorrait Uruk, tyrannisait ses proches. Des frontières cassées à l’épopée, retour à la maison, autre son de cloche, de clash et de peinture, il aime enfin ses murs. En Grèce, les guerriers quittèrent les seins des épouses pour leur destin et l’Asie mineure : d’Ouest en Est, en quête de gloire pour la femme adultère, dans l’espoir du retour, dissipé par les nymphes, déguisé en un autre, au bras d’une femme fidèle. Tout ça pour ça. T’aurais dû rester chez Calypso, t’as voulu jouer au héros. Paysan ! Avec un devoir à chercher, comme disait l’autre. Le plus court chemin de soi à soi pour devenir un héros : savoir qu’on a voulu tuer son père, un jour. Ne rions pas de nos ersatz. L’incendiaire Hélène resta sur place.

Le paradigme moderne du « je pense, je suis ici chez moi » est-il encore d’usage quand je suis sous prozac ? Les murs de la cuisine aspirent à un lifting. Les papiers s’amoncellent dans le living. Un coup d’œil au journal numérique. Hégélien par élégance de conduite, je pense que l’esprit du temps s’invite dans les événements politiques. Et si la vérité des hommes se cryptait au contraire dans les reliques des faits divers ? Tiens, personne n’est mort pendant que j’étais en vacances ? Je n’ai rien manqué. Je ne jette pas le mal avec l’eau du bien. Vous nous avez ramené la pluie ! Le soleil ne reviendra plus cuivrer les peaux des étrangers. Les temps changent. Pourrons-nous compter sur le droit à la clim universelle ? Trop de chaleur compassionnelle finit par étouffer les cœurs trop purs – ils vont sauver le monde en avion sans dire au revoir à leur voisin. L’Occident vaque à ses pulsions. Fin de l’histoire.

Ailleurs, c’est pas chez nous. Traumatisme de l’évidence. Truisme de connivence. Antinomie fondatrice de la métaphysique occidentale. Sans truisme, centrisme, ethnocentrisme. Ils cherchent dans les autres le même. Je n’ai pas sorti ma théorie du genre au bon moment. Que n’ai-je ouvert les vannes ? Un militant crie : « Je ne serai content que lorsque Paris ressemblera à Ouagadougou ».  Une femme micro-trottoir: « Pourrais-je un jour fumer à nouveau au milieu de ces femmes voilées ? Et montrer mes nichons, tranquille ». Red bull te donne l’halal. Capital, klaxonnage de gueule, sevrage et religion. Choc des pulsions. La guerre des voiles aura-t-elle lieu ? Tombe le string et le foulard. 68 printemps de retard. Enlever les croix sur les vieux murs des écoles. Et pour remettre l’église au milieu du village, il leur faudra une autorisation communale ? Du droit d’exil à la dernière cène, Coluche et les « restos du cœur ». Romantique parisien, j’ai mal au siècle après avoir garé mon vélo boulevard Ménilmontant. Je voudrais foutre le camp mais la gravitation universelle me retient parmi le rien. Un corps à corps m’enchaîne aux pulsations. Futur référendum: changer les lois de la physique dans la constitution.

Vivement à la maison qu’on puisse « mater » tranquille les photos des vacances. Prendre une photo d’un événement avant de le vivre – à terme – archiver les photos dans un « disque dur » – externe. Mise à distance – nécessaire. Ne jamais regarder – l’évidence. Prendre en photo l’ailleurs pour ne pas le vivre. Inscrire sur sa carte de visite « iphonographe », « ipadographe ». Disque rayé comme le pull over du Vel d’hiver. C’est chic. Je peux chanter la misère mais par intermittence seulement. Peut-être parlerez-vous de mon statut d’artiste subventionné par l’Etat.

Vivement chez nous. Sentence hystériquement correcte si j’en crois l’histoire de la chair, celle qui n’oublie rien. Prononcée par le grand Rabbin lors de la destruction du Temple en 70 après celui dont il niait le potentiel divin. Impossible de venir, mensonge suivra. Salle d’attente de près de deux mille ans avant de rentrer à la baraque, autorisé à faire le ménage devant sa porte cachère. Rentrer dans ses pénates, revendiquer le droit d’asile chez soi, et subir l’hostilité des pays voisins. Je suis malade dans ma propre maison et les coupables sont à la porte. Je suis toujours coupable et vous finirez par m’aimer.

Sans doute se souviendra-t-on du siècle des grands désenchantements du monde comme une longue repentance du sang versé. Pour la multitude. Il n’étonnera personne que les enfants de l’iphone, trop ouverts aux blessures des frontières et des Roms, terminent dans des bunkers design en intranet, partouze tous pour un point com. Je n’existe pas. C’est la communauté qui parle en moi. La guerre des mémoires est-elle déclarée? Qui n’a pas encore eu son badge « victime du crime contre l’humanité ». C’est la manif pour tous. Il n’y a pas de jardin sans clôture, pas de réel sans frontière. Suis-je coupable de droitisation ? Je m’inquiète, je m’éclate, je me déchire en relisant les Eléates.

Les morts entendront-ils la note exacte ? Et si l’avenue de l’impasse résidait dans un la ? La musique est la ruse de l’histoire, elle métisse en hémioles sur une basse continue. Elle matisse la fauvette en une baise inconnue. Une syncope audacieuse. Bach assoit sa vie en prouvant l’existence de Dieu. L’Europe résonne. Polyphonie des voix ? L’Orient sonotone. Contrepoints de suture ? Chant grégaire ? Naguère se tarissait la monodie grégorienne. Les moines survivaient en silence aux décadences millénaristes et inventent le plain chant. Douce plainte d’une enfance cistercienne que je n’ai pas connue. Vingt-et-unième siècle. Battement binaire. Pensée du Deux. Formidable. Au nom des damnés de l’altermondialisme, on est ici chez nous. Nous sommes des « icitiens » a dit Jamel Debouzze à la télévision.

Vivement chez nous disait de concert ce couple en vacances. Souvenir des noces. Les mariages, j’aime bien : on peut mater du nichon tranquille, en douce. Si on est seul. J’ai toujours eu un problème avec les vacances. Plan quinquennal du luxe, une expérience unique. C’est l’ère de l’esthétique ; moi, je kiffe. J’ai plus de vécu que toi et tes soutifs. « Nouvelle crise existentielle », « nouvelle crise existentielle »… Mais s’il fait une crise existentielle tous les quinze jours, on est beau. Se mettre au vert, c’est trouver la vérité du couple à l’étranger. Une fois rentrés chez nous, le nous n’existe plus. Premier jour à terre, drôle d’odeur dans l’air. On ne passera pas l’été. Malaise en altitude : elle était moins fausse que d’habitude. Retour de vacances et l’histoire me rattrape. L’événement frappe à ma porte. Les printemps des peuples tournent à l’aigre. La reconquête de ton expulsion. Un long chemin des croisades aux monospaces. Une amie m’a dit un jour : « ton problème, c’est les gens ». Moi je te dis, toi tu me dis, elle, elle ne dit rien. Nous pulsations, la vie, la mort, valsent dans le même ton. Je est inconscient qui me tue, toi tu n’en sais rien. Désaccordéons-nous tant qu’il est temps, je est un vous dans le même temps.

 

Chaque soir, comme Socrate

Assister au procès sans pouvoir répondre.

Les juges athéniens souhaitaient le bien de la cité

Plus tard,  je citerai les grecs, la doxa m’accusera d’européocentrisme

Tu te retrouveras avec tes culottes à trous sur le trottoir

Comme si les larmes avaient le dernier mot du réel

On ne fait pas de politique avec des pleurs

L’Eglise recueillait « albi nati » et nés d’ailleurs

 

Et puis les juifs empoisonnaient les puits

Tu sais, c’est du passé tout ça

Nous souviendrons-nous des Cathares

Du génocide d’une famille Tsar

 

Il faudra encore que tu chiales

Pour avoir ce que tu veux

Il faudra que je sois mâle

Pour m’habiter selon mon genre

 

Tu restes une énigme et moi un soliloque

C’est un billet de rumeur

Et j’ai droit de propagande

Sur la carte blanche

 

Génétique du futur, séjour éternel dans la carcasse d’un autre. Si je peux choisir : la gueule greffée sur le corps d’une bimbo plutôt « bi », histoire de faire l’amour à mon genre. Quittons-nous en bons spermes. On se retrouvera quand l’enfer sera en promotion. J’espère qu’on n’aura pas vendu mon corps d’ici là.

O.T.

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Parlons sécurité

Posté par traverse le 24 avril 2014

 

Psycho (1960)Directed by Alfred HitchcockShown: Janet Leigh (as Marion Crane)

 

 

Maman, papa et les enfants en vélo, casqués comme des insectes interstellaires, se faufilent entre les voitures, gestes amples et capotes jaunes au vent. Ca prend du temps un charroi de chenilles, alors on regarde.

La petite est bien assurée dans son siège devant le père. En cas de choc ou de chute, c’est elle qui prendra tout. On ne peut quand même pas imaginer un sale accident avec une automobile honnie  alors qu’on roule si décemment! Que nenni. On avance donc, stoïques, le sourire aux lèvres dans des nuages de CO2.

°°°

Maman attend avant de traverser la rue, landau en avant. Parfois, c’est le hasard, la scène se passe au passage réservé. Elle pousse son landau et se penche au-delà, bien au-delà pour scruter le danger, à gauche, à droite. La poussette gène un peu, elle l’avance encore, un rien, pour mieux voir. Un camion, un bus, une voiture, Ben-Hur peuvent apparaître à tout moment.

Rien, heureusement, le petit dans son landau bavote et ne se doute pas qu’il est aux premières loges.

°°°

Dans le tram, Kevin Mohamed et Nadia s’installent et décident de se défaire des muscles dont ils étaient équipés en montant. Ca s’affale et se laisse aller dos contre portes sans le moindre souci des lois de la gravité. Une rupture de courant et les ouvertures se déclenchent. J’en ai vu un tomber, dos vers l’arrière et bras ballants, happé en une seconde, spectaculaire !

Depuis, j’explique et me fais traiter avec le mépris des aventuriers d’expérience. Ils ont raison, faisons confiance au beau hasard des pannes.

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Chacun son écran

Posté par traverse le 23 avril 2014

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« Aimer, c’est regarder ensemble dans la même direction », disait le bon Saint-Saint-Exupéry.

Pendant cinquante ans, ils regardèrent chaque soir ensemble le même téléviseur.

Aujourd’hui, chacun son écran.

 

°°°

Jeunes et heureux, ils marchent le regard fixé sur le téléphone qu’ils tendent devant eux, comme les premiers croyants portaient dans la foule impie des signes de reconnaissance.

Ils se croisent sans se voir mais finiront,béats, dans la fosse commune. Epargnons ici les lions.qui ne nous ont rien fait.

°°°

Maman pousse son landau et ne cesse de parler à son mobile coincé entre le cou et l’épaule ou le foulard. L’enfant ne se doute de rien, il est face à la foule, les landaus ont changé d’orientation. Patience,  il sera branché bientôt lui aussi.

Certaines, coquettes et adaptées, portent une ravissante oreillette et gagnent en aisance dans leur nonchalante conversation avec le monde.

 

°°°

C’est Pâques, Alléluia, et comme Noël, ce ne sont que fêtes de vieux ou d’acharnés à quelques agapes familiales ou autres bondieuseries, -n’est-ce pas chers dialogueurs de la neutralité?- et l’Esprit a donc changé de camp.

Une grande entreprise Télécom nous offrait il y a peu une magnifique publicité où un père niais et souriant appelait son fils, « Viens mon grand, les Cloches sont passées! » et l’autre de rechigner dans sa chambre de la plus vile des façons, mais il faut y aller. Et le chérubin découvre dans les herbes du jardin de merveilleux appareils sonnant et trébuchant, caquetant et tintinnabulant en lieu et place des œufs méprisés. On est de son temps ou on est rien.

Rome a passé la main à Télécom, ça sonne et ça résonne souvent de la même façon.

°°°

Nous passerons aux écouteurs plus tard, les acouphènes règnent et les tram arrivent sans bruit.

°°°

 

 

 

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Je me suis promis vite

Posté par traverse le 15 avril 2014

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Je me suis promis vite

de n’y croire jamais à ces rodomontades

des origines, du sol, du sang

et des identités asthmatiques en quête

d’un vieux souffle pour dire un vide,

une fontaine éparpillée dans laquelle on patauge,

ces temps innocents des meurtres bienveillants,

des machettes et des fours,

de la bêtise et du sexe vengeur,

ce temps perdu à racler les fonds de terroir,

 

Je me suis promis de ne pas y être attaché

à l’origine de mes parents, géniteurs,

morts aujourd’hui et plus souvent avant,

à l’homme nu que je fus et vers qui je me tourne

chaque nuit dans la mesure du temps,

mon unique linceul,

j’écris sur la blancheur des refrains en mesure

du territoire des hommes

où je vais le plus souvent seul.

 

Un trou, un cratère, une sonde où je tombe,

l’origine est une chute sans fin,

des histoires bricolées de l’antérieur,

des bandages glacés sur des corps de paroles,

des récits protecteurs, ridicules, risibles,

papiers d’identité de piètre qualité

que nous tendons dans des présents féroces

frissonnants du bonheur des dindons de pays

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La Cité des Ravissements

Posté par traverse le 14 avril 2014

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(Paru dans le dernier numéro de la Revue Marginales,

disponible en librairie,

sur abonnements ou  sur commande)

L’écrivain ne savait plus qui, de lui ou de ce qu’il prétendait être, parlait, écrivait ses histoires. Il ne s’y retrouvait plus. Il confondait de plus en plus souvent la mort de ses personnages avec le temps qui prenait tant et tant de place en lui. Il avait peur, il remettait sans cesse sa vie au lendemain au nom de simagrées qu’on aimait le voir faire.

 

Un matin, il ne se leva plus. Le réveil sonnait, il le laissa faire sans étendre le bras pour l’arrêter. Il s’enfonça un peu plus sous la couette et frissonna. Des cauchemars l’avaient traversé toute la nuit, il était en nage. Il avait soif, terriblement soif, il ferma avec force ses paupières et attendit que le monde se passe, sans lui.

 

Un peu plus tard, il alla aux toilettes, prit un magnum d’eau dans le frigo et retourna au lit. Cela dura une semaine. Il se nourrissait de ce qu’il trouvait dans les armoires surélevées de sa cuisine. Il cuisait des pâtes qu’il arrosait de piment et se mit à vider les dernières bouteilles d’alcool de son bar. Il écouta son répondeur quelques secondes, effaça les messages et débrancha le téléphone. Il fit le compte de ses provisions, il avait de quoi tenir un moment. Cette angoisse de manquer lui servait pour la première fois de sa vie.

 

Il ne voulait plus sortir, il ne s’en sentait pas la force. Le téléphone sonnait régulièrement, des mails arrivaient mais il ne les ouvrait plus. Il tenait sa tranchée, il en faisait partie, les bruits du dehors ne l’atteignaient plus de la même façon, ils ne marquaient plus l’étendue infinie au-delà des fenêtres à double vitrage, ils s’entremêlaient et s’étouffaient lentement. Un matin, il entendit le silence et eut besoin de pleurer. Mais il n’était pas encore prêt et alla se recoucher.

 

Il entama ainsi la deuxième semaine. Il se releva plusieurs fois et essaya d’écrire mais rien ne venait. Ses doigts rataient les touches du clavier et il effaça le tout en regrettant le geste de la feuille de papier qu’il arrachait, il y a longtemps, de la machine-à-écrire avant de la chiffonner et de la lancer dans la corbeille à côte de sa table de travail. Il n’y avait plus de geste dans la vie qu’il menait. Des répétitions de tics, des réflexes surs des surfaces sensibles, des chipotages tactiles, mais plus de geste d’ampleur. Son corps s’était rendu à l’ennemi. Il pensait résister mais tout était presque perdu, il le sentait, il le savait. Un homme sans ampleur n’était pas grand-chose à ses yeux. Cette qualité qu’il pensait perdue tenait encore le corps des vieux qui maniaient la lenteur avec la sûreté des pandas protégés.

 

Une deuxième semaine s’acheva. Il dut sortir faire quelques courses dans le quartier et éprouva un sentiment étrange : il était invisible et souriant, prêt à disparaître, paisible. Il était heureux de ne plus être là. Quelqu’un le bouscula, il se laissa emporter par la secousse jusqu’au bord du trottoir. Il se raidit devant une voiture qui passait et le regretta aussitôt.

 

Rentré chez lui, il s’assit face à la fenêtre et pleura, en secousses, puis de longs sanglots et renâcla enfin comme un cheval qui meurt. Il resta là la journée entière à regarder le ciel et la cime des arbres. Il ne comprenait pas encore ce qui lui arrivait bien qu’il en connût toutes les étapes. Le soir s’effilochait en lambeaux sur la crête des toits et il eut froid. Le besoin d’écrire était là, fragile mais comme à neuf. Il ouvrit l’ordinateur et relut la consigne que la Revue lui avait envoyée quelques semaines auparavant, « Comme en 14 ».

 

Il pianota des choses sans importance une heure durant. Tout était trop littéral. Cette guerre, il la connaissait depuis son enfance et les récits de ses grands parents. La boucherie, la boue, la bêtise, il avait tout entendu. Il avait respiré les gaz et la putréfaction. Il avait entendu les sanglots et les bombes.

Ses doigts s’arrêtèrent sur le mot « élagage ». Il aimait ce mot. Il l’employait souvent mais soudain il résonna sèchement comme une évidence. C’est à ce propos qu’il voulait écrire depuis longtemps. C’est sur cet élagage inévitable qu’il allait probablement connaître qu’il se mit à écrire. Sur cette façon qu’il faudrait réinventer de tuer les hommes quand ils sont énervés, en colère ou ivres de frustration.

 

Il regardait le grouillement, les masses, les coulées d’humanité se déverser un peu plus chaque jour autour des métropoles exsangues. Il voyait chacune, chacun, un à un, une à une, il les voyait dispersés sur la terre, il les regardait comme s’il s’observait dans un miroir : la grossièreté des traits, l’empâtement du visage, les rides, les balafres du temps, c’était lui, c’était eux. Dans le prisme de la compassion pour tant de douleur partagée, il saisit une idée qu’il voletait en lui et se mit à creuser.

 

Il travailla toute la journée, le lendemain et la semaine. Il engrangeait des sources, des modèles, critiquait ses données en permanence. Il consulta des traités d’eugénisme, découvrit les rêves mortifères d’hygiénisme de la guerre, des poètes  célèbres hantés par le nettoyage génétique, la confrontation au Chaos, la rude épreuve feu, tout ce qu’il fallait pour réduite le surnombre et renforcer l’humanité. La tribu mondiale cultivait des comportements locaux et d’apartheid. La rupture était imminente, cela basculerait bientôt dans la barbarie la plus effroyable au nom de Dieu, de l’eau, du développement continu et de ces saints apôtres pétroliers, les lignes de faille étaient visibles, les coutures lâchaient, la déchirure filait vers l’infini.

 

Le soir, il se sentait mieux. Il avait embrassé le pire et en sortait lessivé, libre, à nouveau audacieux. Son projet prenait forme. A la fin du trimestre, il estima avoir conclu sa modeste proposition. Il adressa son protocole et ses arguments aux instances nationales et internationales et attendit. Le texte était court et tenait à peu près en ces termes…

 

« Ils sont assis calmement face à leur pupitre. Ils écrivent en silence, tracent des rondes, des jambages, des pleins et déliés. Ils sont soigneux et silencieux. Cela coûte d’aller à l’école, alors on est attentifs, et studieux. L’avenir en dépend. Passer par là donne plus de chance de ne pas mal finir.

 

La cloche a sonné, ils se sont levés, ébroués, pris leur barda, leur fusil, leur casque et sont allés se faire tuer en chantant dans le soleil d’été.

 

Le soir, le maître a nettoyé la classe.

Le lendemain, elle était presque vide.

 

Le temps a passé, des cris, des murmures, des rires, des chaises qui renâclent et tombent, des sonneries, des rires, quelques uns sont affalés devant des documents qu’ils tiennent du bout des doigts, d’autres s’étendent en bâillant. Ca parle et ça s’exprime. Quand on passe par ici, l’avenir n’est pas certain disent les plus âgés.

 

Des réseaux s’organisent, des sociétés secrètes rassemblent des adhérents de plus en plus nombreux pour apprendre le soir ce qu’ils méprisent le jour. L’école est pleine et les cœurs sont vides. Ceux-là se sont vengés et ont tiré dans la foule un bel après-midi, les autres, là-bas vont boire et fumer avant de prendre la route et s’encastrer dans des poteaux d’acier. Ils tètent, ils grognent, ils pleurent, ils sont sans recours devant leurs besoins sans façons. (…) »

 

« (…) La plupart se débrouillent, sans idéal ni espoir, changent de pays, de noms, de langues plus souvent. Ils s’écrasent comme des insectes alourdis par une chaleur d’orage sur les pare-brise. Des maladies renaissent, des attentats crépitent sur la carte du monde, des raz-de-marée, des cyclones, des guerres, la famine, la soif, la peste et le choléra. Mais ça ne suffit pas. Il en naît chaque jour, trop et sans mesure. (…) »

 

Le rapport citait, reliait les arguments, bousculait les habitudes et bouclait finalement sa théorie de la façon la plus poétique…

 

« La destruction, l’élimination de l’humanité est un rêve inapproprié et sans fin. Nous le savons. Guerres, génocides, massacres, rien n’y fait. Une force de vivre plus haute que la survie ponctuelle et terrible habite les hommes, ils rêvent de se prolonger dans n’importe quel enfer et ils s’y emploient chaque jour. Nous voyons le résultat. Rien n’y fait.

 

Par ailleurs, une faille, un éclat dans le marbre, leur soif absolue de jouir et de jouir encore des plus jeunes aux plus vieux, la jouissance est le cap. Et cette frénésie érode tout. Le désir de soi gagne sur le désir de se perpétuer. Il suffit d’augmenter cette pression, louer cette disparition, la favoriser et le Chaos sera maîtrisé.

 

Des Cités de Ravissement, des couronnes d’addictions autour de chaque zone urbaine, des districts du plaisir réglementé, voilà la solution.

 

Ma modeste proposition consiste à établir ces Cités où toutes les drogues, plaisirs et assuétudes seraient offertes à l’humanité souffrante. Des cartes réglementaires, des bases de données numériques, tout sera diligenté pour rencontrer les désirs des consommateurs.

 

Chaque mois, chaque famille, et tout individu à partir de six ans, devra faire preuve de son  passage dans les Cités de Ravissement. Quatre passages mensuels suffiront à défaire en eux toute velléité de reproduction, l’effondrement sera régimenté, la dissolution de soi, la seule loi.

 

Lors de ces trajets vers les Centres aménagés, le manque et la nervosité suffiront à élaguer bon nombre des consommateurs (accidents, effets de panique, troubles cardiaques et respiratoires, crises d’angoisse, haine de soi, suicides collectifs,…). Lors des retours, nous arrivons aux mêmes conclusions, et de façon exponentielle.

 

Les assuétudes briseront toute velléité. La stérilité, le repli sur soi, l’abandon des autres, la désintégration sociale permettront d’accélérer encore le processus de décomposition.

 

Le temps sera le seul handicap. Les temps longs en ces matières peuvent s’installer. Il s’agira alors d’amplifier certaines dimensions de ma proposition mais elles sont en germe dans le fruit.

 

A ce rythme…. (…) »

 

L’écrivain avait terminé son œuvre, son plus bel opus. Il n’était pas mécontent du titre non plus. Cela résonnait comme l’époque. Exotisme, esprit de la ruche, spiritualité obsessionnelle dans une arche de contentement.

 

Sa modeste proposition reçut des accueils divers. Des chipoteries, des accents d’éthique bafouée, des incompréhensions dans la procédure proposée, mais tout était globalement positif.

 

Le sentiment du devoir accompli l’emplissait, des frissons le parcouraient comme les vaguelettes du ressac.

 

Il acheta une arme, un simple revolver à deux sous sur Internet et se prépara. Il ne se tira pas une balle dans le pied, son intention n’était pas d’échapper au prochain assaut mais de le précéder. Il visa la tempe, pour l’ampleur du geste qui menait le revolver jusqu’à l’endroit choisi et fit feu.

 

Ensuite, il prit une douche, s’habilla impeccablement et sortit, léger.

 

 

fichier pdf Cité des Ravissements

 

 

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Le jour commence

Posté par traverse le 13 avril 2014

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Pour Eric Piette,

13 avril, 2014

 

Le jour commence,

j’écoute la machinerie des oiseaux et du vent,

je devine ce dehors qui prend de la hauteur

dans le temps qui revient,

ce temps-ci, ce temps des animaux de la maison,

des malades et des enfants cachés,

ce temps-ci emplit tout,

bascule les horloges dans le sable,

dans la joie d’entendre encore

des paroles communes qui disent

le mal rompu pour un moment.

 

Je ne sais rien de là, où je vais

si longuement,

l’amour est une halte, peut-être

une prairie longue comme le vert

file sous nos sabots enfoncés

lourdement dans les terres du galop,

et puis, d’un coup une haie,

un muret, un ruisseau silencieux

effacent le poème du cheval ahuri

et je tombe à genoux

dans le présent furieux.

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Hier, je rentre dans un magasin de téléphonie

Posté par traverse le 6 avril 2014

Hier, je rentre dans un  magasin de téléphonie, au hasard, j’avais besoin d’une coque pour mon nouveau téléphone. Le « Paki » qui m’accueille me parle anglais en souriant, ses doigts courent sur les appareils, ouvrent des tiroirs, referment des boîtes, trouvent la pièce. Il me tend l’appareil équipé, mais sa tête est ailleurs, il sourit, observe les clients, me dit « C’est vingt euros ». Je n’ai pas de liquide sur moi, j’essaye une carte mais son appareil fonctionne mal, je lui tends alors mon GSM en gage et lui dis que je vais à la banque, là au coin. Ca prend cinq minutes, je reviens, je lui tends les vingt euros et lui, avec mon téléphone en main m’explique, grand sourire qu’il n’avait pas compris pourquoi je le lui avais abandonné pour partir aussitôt. Brève conversation autour du malentendu: l’argent, la banque, le gage…Il me répond en me serrant le bras: « No problem Sir, because your face ». Il tend alors la main vers mon visage en souriant encore plus. Je le remercie, lui serre également la main et on se quitte,  certains d’avoir été un court instant dans la grâce de la confiance et de la courtoisie.

J’étais troublé, comme si j’avais volé à l’étalage, trahi un vague ami, méprisé quelqu’un…Mais qui ? Je comprenais en marchant la main dans la poche en caressant mon téléphone tout neuf ce que je venais de vivre. J’y avais pris du plaisir. J’étais dans les tribus humaines, gratifié de « bonne gueule ». Je savais que l’homme, singulier, unique, en face de moi était de bonne foi et cette alliance que nous venions de faire, était aussi heureuse que pernicieuse.

Je pense à Willy Kyrlund et à ses terribles histoires de bonté paradoxale. Je vous renvoie à sa lecture (livre dit introuvable, et en occase, mais donc, faut vouloir, c’est bien)

fichier pdf Bonté.PDF

Willy Kyrlund, De la bonté, C. Bourgois, Collection La Lettre internationale, 1992.

téléchargement

http://translate.google.be/translate?hl=fr&sl=en&u=http://en.wikipedia.org/wiki/Willy_Kyrklund&prev=/search%3Fq%3Dwilly%2Bkyrklund%2Bwikipedia%26rlz%3D1C1CHMO_frBE568BE568%26espv%3D210%26es_sm%3D93

(Traduction Google)

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Des amis joyeux et dangereux

Posté par traverse le 3 avril 2014

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Des amis joyeux et dangereux, des femmes belles et subtiles dans la mise à mort, des petites-filles en Alice serviles, des garçonnets tout ramollis de sucre et de rêves faciles, des vieillards plus inquiets que jamais , nous étions las de ces façons de mendiants et allions par les villages dire notre soif de vivre, nous buvions ce qu’il fallait pour supporter le monde, nous tapions fort dans le dos en jurant de ne jamais mourir, pissions sur les buissons et rentrions en balançant nos grands corps inutiles.

On remettait ça jusqu’au matin, notre bêtise comme seule apparition de l’aube, nos mâchoires pendouillaient et nous étions si déglingués que les chiens  le matin nous évitaient en relevant la gueule.

Je vois ce temps disparaître en silence, quelques textes, des objets parsemés, le goût des fleuves et des rivages, le cœur serré et la tête perdue dans la vision de tragiques transhumances. Nous allons.

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Ma vie est passée dans le vent et les gares

Posté par traverse le 30 mars 2014

 

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Ma vie est passée dans le vent et les gares, auto-routes et cafés vite bus dans des gobelets de carton, parfois des haltes, des bras chauds, des voix presqu’inaudibles, des regards perdus, pourquoi suis-je devenu ce point d’arrêt à cet instant, cette vie, en face  qui se regarde en moi, souvent de la musique poisseuse, une gale, l’exécration de l’homme, dans cette gare si grande et sale, cela sent toujours le pire des hommes dans les lieux de passage, dans cette gare des familles étalées sur un sol de misère, des poubelles débordent, les passagers passent, des jeunes sur leurs skates, de vieux noirs édentés marmonnent sur les bancs, le commerce, des choses s’achètent, se mangent, se jettent sur les hommes à défaut d’autre chose.

J’ai attrapé mon train et n’ai rien lu pendant tout le trajet.

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La joie des éduqués

Posté par traverse le 15 août 2013

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Il ne s’agirait pas de voir l’ennemi en l’autre (ce qui est très mal porté en ces temps de coutures apprêtées) mais plutôt dans ce qu’il y a de plus pacifié en soi.

La part d‘éduqué en nous, celle que nous nommions  l’évolué (1) face à l’indigène dans le Congo ex-colonial, consiste en un résidu humaniste qui a survécu dans une socio-culture de l’abondance (négationniste par le lissage, le nivellement, l’évitement, la réconciliation, la dégradation, l’égalitarisme des dénis, le rabotage des perspectives, le mêlement, le résumé, l’exotisme, …).

L’éduqué  aime les choses culturelles, les événements, les pèlerinages muséaux, la littérature du consentement, l’écologie des arts et la joie des savoirs anciens.L ‘éduqué ne sait rien du monde et il en connaît pourtant de si belles images.

C’était l’objet de son éducation. Il rêve le monde dans des ritournelles de lieux communs et des salmigondis de vérités éternelles, il chasse l’autre dans le bien systématique de son aveuglement tolérant. L’éduqué est bas et veule, parce que l’éduqué a oublié qui il était.

Cet éduqué, au fil des ans, a détruit de mille façons les aspérités, les angles, les arrêtes, les impasse, l’objection, la salissure et la fermentation, … Il a simplifié dans l’évitement de la complexité, il a ignoré les exigences de l’Histoire dans son obsession du bonheur dans la liberté.

L’art a été dévalué au bénéfice de la culture sous-alimentée par assujettissement et aides variables. L’éduqué a du monde une vision simple. Elle renvoie aux illusions qu’il prend pour morale. A ses espoirs, ses croyances et intérêts. L’éduqué sait aussi qu’il va sombrer bientôt. Il n’a pas de point d’appui.

La joie des éduqués

 

La pluie tombe souvent, de longues périodes durant, puis, le gris du ciel et parfois le soleil. Puis la pluie. La morosité coule le long des vitres et on regarde la rue le cœur vide. Ca va comme ça, ça se passait comme ça, ça aurait pu se passer autrement, et on le sait, mais ça se passe comme ça, en glissement interminables.

 

C’est aux éduqués que la tâche a été confiée. On n’est touchés chez eux par rien de particulier si ce n’est la caducité de leur regard, leur surdité chantante, la commodité avec laquelle ils oublient ce qu’ils ont prononcé la veille.

 

On ne leur connait rien de précieux ni de particulier,  ils sont la brume sur la plaine, l’écume des vagues, ils sont volatiles et légers,  ils répandent autour d’eux une sorte de coulis de merveilles un peu sales, habitués au vide et au contentement. Ils ont des idées puissantes, des phrases, des mots, des bijoux parfois, leur cœur n’est transporté de rien et leur savoir tourbillonne dans des espaces étriqués. Ignorants de tout dans l’appétit sans faim des enfants fatigués, leur désir de croître s’est à peu éteint dans un besoin d’apparaître vif et sans quartiers qui les jette sur la scène de sages simagrées.

 

Les éduqués ont pour les choses communes des idées sans mesure, ils peuvent s’émouvoir de tout et de rien, ignorer ce qu’ils glorifient soudain,  tendus vers un azur où chacun cherche sa place dans l’ascenseur général.

 

Ils aiment les visions partagées et sortent éblouis des lieux où ils se rassemblent, dans le sépulcre des inanimés et des inertes, dans la vaste cité des musées et des choses aimables, ils aiment vivre ensemble ces joies de passage entre deux occupations nécessaires.

 

De la même façon, ils se réjouissent en famille dans des embrassades dominicales, bercés de contes, de légendes et d’histoires sans apprêts qui font office de rites sans dangers. Ils s’abreuvent à des calices emplis de vertus anciennes qu’ils rêvent au présent tant leur avenir les plonge en toute naïveté dans les effrois et les ténèbres.

 DS, août 2013

(à suivre)

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Les canuts

Posté par traverse le 26 novembre 2011

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D’un coup de pied, il bascule le brasero. Les braises d’éparpillent sur le tarmac trempé. Il pleut depuis trois jours et la poussière des lieux a vernissé le paysage d’un gris profond. L’usine est adossée à la forêt face à des terrils éteints dans la brume.

« C’est grève. Ces temps-ci on fait grève aussi souvent qu’on travaille. Un jour pour, un jour contre. On sait rien faire d’autre. Alors on le fait bien. Aujourd’hui, ça fait deux semaines qu’on bloque les grilles d’entrée. Personne ne sort, personne ne rentre. Tout un boulot. Un sale boulot. On sait qu’on va dérouiller un jour, que ça va finir en compote, mais qu’est-ce qu’on peut faire? »

Certains cassent des palettes et y mettent le feu. Les autres applaudissent. Ca flambe dans des rires et les tapes dans dos. On ne sait pas à quoi ils pensent, mais ça tient chaud. On sort les piqueniques, des bouteilles, on trinque. On boit pour réchauffer le feu qui s’éteint vite.

Le soir tombe sur le chantier qui ressemble de loin à une fête ralentie. Des femmes passent au bras des hommes, marchent lentement autour des braises, parlent à voix basse. D’autres rangent du matériel, scient des palettes. On s’occupe.

Le jour se lève, vent et pluie. Les nuages filent au loin comme pour céder la place en douce à un ciel sans hauteur.

Des voitures arrivent en klaxonnant, ça réveille, on s’occupe à décharger les coffres pleins. De la nourriture, encore des couvertures, des barbecues qu’on monte en vitesse.

Des enfants aussi qui viennent embrasser leur père, des femmes qui repartent en faisant des grands signes, elles reviendront plus tard. Faut s’occuper des gosses, de l’école, un peu de la maison. Elles, ça fait un moment déjà qu’elles ont perdu leur boulot. Elles se débrouillent, ils se débrouillent tous. Des ménages parfois, du repassage, des choses qu’elles font déjà chez elles depuis longtemps. Les hommes bricolent, retapent ce qu’ils peuvent pour pas cher entre les pauses de l’usine.

C’est surtout le moral qui baisse, plus que les réserves. Et les nouvelles ne sont pas bonnes. La gendarmerie a reçu l’ordre de vider l’usine. Ils vont devoir mettre la pression. Et ils sont déjà au maximum. Reste les bombonnes. Ils ne savent pas s’ils le feront vraiment, mais la presse est bonace. Pourvu qu’on lui serve la soupe et qu’elle soit chaude.

Douzième jour. Ca fatigue, mais ils sont près pour des semaines, après ils auront tout le temps de se reposer.

« Sarko est en balade. On ne sait plus où… Afghanistan, Pakistan, Iran…Par là, quoi. On n’est pas tranquilles. On dirait qu’il s’en fout. Ce qu’il préfère, c’est la bagarre. Ici, c’est presque le paysage. Ca l’intéresse moins. Du moins, on a l’impression. On l’attend toujours son plan de reconversion. Ca fait quarante ans qu’on en parle et on a rien vu venir. La région s’est vidée. Chacun a choisi : partir ou rester. Certains sont partis pour toujours, au bout d’une corde. Mais entre nous on n’en parle jamais. Aujourd’hui on est plus nus que nus, comme les canuts d’avant…C’est nous les canuts, nous sommes tout nus…Ca recommence d’une autre façon, toujours aussi sauvage, mais ça recommence toujours, d’une époque à l’autre, c’est le même scénario. On sait bien que nos gosses, vont se l’arracher le travail et ils n’en n’auront que des morceaux. La plupart ne travailleront pas. Des jobs, des stages, du passe-temps national. On n’a pas envie de leur dire de tout foutre en l’air aujourd’hui, parce qu’on espère encore, mais ça ne sent pas bon. Ils le savent, ils deviennent nerveux, on est mal. »

« Ma femme va accoucher dans trois semaines, un premier ça se fête comme jamais. Mais ça tombe mal…Il va pas grandir ici, je le sens. Trop vieux ici, à bout de souffle. Je le dis pas trop mais j’en suis sûr, on va se tirer le plus vite possible. Même si on gagne ici, c’est rebelote dans pas longtemps. Mondialisation et cie. La Bourse ou autre chose, on sait bien que ce qu’on fait ici, ils le font aussi bien là-bas. Et moins cher. Alors, on essaye de tenir mais ça s’use. Le gamin, il ira voir ailleurs. Moi, je jouerai la fin de la comédie ici. Ca devient drôle, à la fin, cette façon qu’on a de parler de l’avenir alors qu’on sait très bien que nous, on fait un boulot d’il y a cinquante ans. Et qu’on s’y est pas mis à temps pour sauter par-dessus les évidences. On le sait, dans toute la région, que c’est une usine parfaite, mais parfaite pour hier, pas pour demain. Nous, c’est du bois de rallonge. »

La gendarmerie débarque. Dix combis. Des frises, des autopompes, les boucliers, l’alignement parfait. Des légionnaires au pas.

Mégaphones, jets de pierres, caillasse, cocktails même. Les grilles sont soudées. L’usine est ceinturée de bombonnes. Tout va exploser s’ils entrent, lance le délégué.

« Pas le vrai, celui-là, il vote contre. Il dit qu’on est fous, que ça ne sert à rien de casser l’outil, que c’est pas légal. Qu’on va se faire avoir les uns après les autres, cueillis à la sortie et hop, jusqu’à la corde qu’ils vont nous user. On ne sait plus mais on crâne. »

La ligne de gendarmerie avance lentement. Rome est en marche contre les barbares.

Quelqu’un crie que Sarko vient d’avoir une fille, que ça vaut une trêve. Il est hué. Puis ils rient en évoquant le Président en position. Des blagues. Des bien lourdes. Les gendarmes sont immobiles maintenant. Il y en un qui filme lentement. Les autres, en face, filment aussi. Chacun braque l’autre au cas où. Pour une poignée de dollars, génération digitale.

« Des voitures arrivent en trombe. Des femmes et des hommes qu’on connaît, des dignitaires du Parti, comme on disait avant. Ils avancent les bras tendus. Les gendarmes s’écartent. On arrête de filmer. Pas les autres. On discute, ils nous disent de ne pas aller trop loin, qu’ils vont se battre encore plus durement avec nous. On les écoute sans rien dire. On sait qu’ils ne pourront pas faire grand-chose. Que ça dure depuis cinquante ans. Mais on n’a pas trop de monde avec nous, alors, faut pas sacrifier nos figurants, la farce n’est pas finie. Cris, débats, engueulades, on cède. On retire le premier cordon de bombonnes. »

Le jour tombe d’un coup sur les braseros froids. Beaucoup pleurent, se prennent dans les bras, se serrent, baissent la tête. Les grilles sont ouvertes au chalumeau. Des camionnettes emportent le tout. Les gendarmes se retirent. La nuit vient.

Daniel Simon

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Les papillons de la bibliothèque

Posté par traverse le 14 novembre 2011

(Une nouvelle extraite de mon dernier livre « Ne trouves-tu pas que le temps change?Ed. Le Cri. Disponible sur www.lecri.be, en libraire ou chez l’auteur)

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Il avait emménagé en catastrophe. Les déménageurs avaient porté jusqu’au premier étage les centaines de boîtes de livres qui pesaient de plus en plus lourds à chaque trajet. Il les avait fourrés n’importe comment dans sa bibliothèque.

Les grands à côté des grands, les petits avec les petits, la poésie près du théâtre et les romans emmêlés aux essais ou aux inclassables. Il avait rempli des étagères plus qu’autre chose. C’était à l’image de sa vie sentimentale. Un peu de tout et jamais au bon endroit.

Les livres d’art étaient faciles à ranger. Hauts, lourds, peu manipulés, ils occupaient les rayonnages du bas Mais la place manquait et il avait alors allongé une seconde rangée devant celle du fond et deux épaisseurs de livres donnaient à l’ensemble un air de désordre sympathique, comme si l’empressement était la règle du lieu.

Il n’en était rien. Tout dans sa vie avait été placé sous le signe du provisoire.
Il avait même replié soigneusement les boîtes en carton vides à la cave au cas où il devrait quitter le lieu au plus vite. Il aurait alors de quoi déserter avec ses bouquins si encombrants.
Ses bibliothèques occupaient une grande part des murs et comme les fenêtres abondaient, que la lumière était reine, aucun espace n’échappait et l’appartement avait rétréci quelques heures après le départ des derniers copains venus donné un coup de main en fin de journée.

C’était un asile, un repli plus qu’un foyer. La bibliothèque s’était révélé très vite le centre du conflit avec sa femme.

Des livres dans la salle à manger, des livres sur le palier, des livres dans son bureau, des livres dans la chambre, des livres aux toilettes, des livres partout certes, mais pas en pagaille, plutôt dociles et adaptés aux lieux. Pas de piles instables à même le plancher, pas de volumes épars au pied du lit, pas de magazines oubliés dans le fatras des choses quotidiennes, non, mais des livres partout, bien alignés, pressés sur des étagères en bois naturel qu’il avait bricolées et installées quelques jours avant l’arrivée du camion.

C’étaient, il lui semblait alors, ses seuls alliés, ses compagnons de toujours et il n’avait aucune intention de les abandonner au nom d’un amour qui n’aimait la lecture que conjuguée au passé ou renvoyée au temps de sa jeunesse. Elle aimait tellement la lecture, disait-elle, qu’elle ne lisait plus…

« Quand j’ouvre un livre, je ne le lâche plus…Alors, tu vois, avec tout ce qu’il y a à faire, je ne lis plus, je suis bien trop passionnée ».

Il avait souri mais d’un coup la certitude de son échec lui était tombée sur les épaules. Il s’était trompé, il le savait depuis le premier jour mais il s’était consciencieusement livré à l’ennemi au nom d’un amour fulgurant, profond, affolant et désastreux. Il apprit bien vite qu’une femme qui ne lit pas a assez de croyance dans le réel pour qu’elle puisse vous pourrir la vie en toute bonne foi.

La lecture était pour sa femme un acte masturbatoire, une sale affaire qu’on se refile entre dépressifs ou ratés. C’était pour elle d’une prétention sans bornes de rester assis ou couché à lire, c’est-à-dire à ne rien faire qui tienne le monde debout, alors qu’on ne sait pas déboucher un wc ou changer une roue de voiture.

Cette vanité des lecteurs était encore plus forte à ses yeux qu’elle avait en horreur, tout autant qu’elle en était fascinée, les écrivains et les personnes susceptibles de passer par les mots des énigmes auxquelles elle pressentait ne pas avoir accès. Plutôt que de lire, elle agissait comme la plupart de ses semblables, elle maudissait secrètement les lecteurs et les moquait à chaque occasion avec quelques mots faussement admiratifs où l’inspiration revenait plus souvent que le reste.

Elle considérait la lecture comme une pratique religieuse mais en rien une extase mystique. Cela puait la vénération des grenouilles de bénitiers ou des bigotes de mosquées. Elle reconnaissait les gestes mais pas ce qu’ils révélaient.

Peu à peu, elle ajouta à ses occupations de lecteur des tares qui le renvoyaient aux limites de l’impuissance ou de la perversité. Il était un enculé de première dès qu’il avait un livre en mains .Il lui avais fait remarquer que son image était insultante pour les homos et les lecteurs mais elle avait repassé les plats en disant qu’il fallait être un homme qui n’en n’avait pas pour consacrer autant de places aux livres dans un appartement où une femme aurait dû être le seul centre.
Un soir, alors qu’elle lui intimait une fois encore l’ordre de vider l’appartement des bibliothèques, il lui demanda naïvement où il déposerait alors tous ses livres ? Elle le regarda, la fureur dans les yeux, lui lança un de ses anathèmes favoris et quitta l’appartement.

La séparation mit des années à se régler mais sa vie ne fut plus jamais la même. Ces livres, ces théories de volumes apparemment sans secrets particuliers, étaient, alors qu’il avait consacré sa vie à les choisir et à les aimer, la seule véritable raison de son célibat forcé.

Il avait un goût amer en bouche quand il repensait à la haine dans les yeux de sa femme qui rêvait d’autodafés permanents. Elle était de la tribu des incendiaires. Lui, il aimait les textes, le papier, les livres de tous genres et de toutes époques, les bibliothèques, les lecteurs et cette vertu si récente dans l’histoire de l’homme qui l’avait conduit d’enfers en résurrections peu à peu dans le silence étonné de la lecture.

Cette femme était une fausse innocente qui vivait en toute quiétude une époque de muets et de sourds. Elle avait aussi en horreur le temps consacré par son mari à l’écriture, elle en était cruellement jalouse, elle méprisait ce temps qui ne lui était pas consacré, elle vomissait ces dimanches où il se réfugiait dans son bureau au lieu de se promener avec elle, bras dessus, bras dessous le long des étangs.

Elle crachait sur ce bel argent disparu dans du vulgaire papier mais elle se pavanait, elle rayonnait, elle gloussait, elle tortillait du croupion, elle conchiait les autres quand, à l’occasion de l’une ou l’autre lecture publique, elle pouvait se montrer à son bras et soutirer de ces rencontres convenues une gloriole qu’elle exhibait sans pudeur. Son orgueil de pacotille la rendit pitoyable à ses yeux.

Elle déclara donc la guerre à la bibliothèque. Des livres disparaissaient, des pages arrachées, des couvertures croquées, … Elle gémissait au milieu des livres en lui lançant des insultes nouvelles chaque semaine. Il avait honte de ce que cette haine produisait en elle. Elle lui rappelait l’internat, la grossièreté de certains pions qui confondaient le dortoir avec une chambre basse de justice.

L’alcool augmentait chez certains la conscience de leur médiocrité et il n’était pas rare que le plus lâche, un gros quinquagénaire à la main leste sur les petits, envoie valdinguer contre les murs les bouquins qui traînaient au fond des armoires ou sous les oreillers. Les internes couraient alors les récupérer comme des affamés ramassent les miettes sur le chemin, ils allaient courbés, les yeux baissés et ils emportaient leurs livres en vitesse, sans demander leur reste.
Ils méprisaient ces surveillants de l’ennui pour une raison qu’ils ne comprenaient pas mais ils savaient qu’ils souillaient leurs livres de leurs sales mains trempées dans la poisse d’une vie qu’ils devaient maudire plus que le troupeau de pensionnaires attardés qu’ils formaient. Ces adultes sans grâce les renvoyaient ainsi dans une bêtise qui était la leur et dont ils ne se défaisaient jamais. Ils les voyaient encore libres et ils en crevaient.

Quand elle en eut assez, elle se tourna vers lui et déclara que cette bibliothèque était un endroit malsain et que des sales choses allaient nous arriver : la poussière, les acariens, des microbes…Les livres, c’était comme les pigeons, on pouvait les regarder voler mais il valait mieux ne pas les toucher au risque d’être atteints de maladies de peau, d’irritations ou allergies de toutes sortes.
Elle prit les poussières comme une hystérique, elle vaporisait d’insecticide les livres et le parquet tout autour, elle frappait les jaquettes des plus gros contre les tentures bleues comme on secoue une couette ou un oreiller. En attaquant de ses soins la bibliothèque chaque jour, le tout ressembla à une vitrine de bouquiniste scrupuleux qui met ses lots récents en valeur comme un joaillier le ferait avec une rivière de diamants entourée des bijoux assortis.

Elle garrottait les étagères de ses caresses permanentes où elle enfermait les livres de plus en serrés chaque jour.

Il étouffait, elle jubilait. Il n’y avait plus d’amour entre eux mais une sombre affection de tous les instants, quelque chose qui les unissait comme un terrible secret, un crime commis dans le crépuscule des cœurs, elle était restée, il ne s’était pas enfui.

La bibliothèque était devenue inaccessible. Elle était présente comme jamais mais l’approcher familièrement était devenu impossible, c’était comme un tombeau fleuri de formats et de couleurs, une nécropole élégante qu’on longeait le regard vague. Elle était comme une couronne mortuaire dans laquelle nous vivions et tournions comme des chats maussades.

Les mois passaient, les années faillirent faire de même mais la répulsion de sa femme pour la bibliothèque atteignit alors des sommets qu’il ne pouvait comprendre sans une certaine admiration. C’était une guerrière qui se battait tranchée par tranchée et ce genre de combat amènes vite les troufions adverses à des accolades qu’on pourrait prendre pour une humanité d’exception, alors que l’ennui de la mort et des insultes se tarit aussi vite que n’importe quelle passion.

Il faut du renouveau à l’horreur, des plages de calme, des bivouacs apaisés et ça repart alors comme jamais dans le pus et le sang, dans l’allégresse et un terrible consentement.
Ils en étaient là. Cette haine était leur seule intimité. Et les livres des prétextes sans actualité. Il ne les ouvrait plus, les évitait même, il lisait à l’extérieur, dans le métro, le train, sur les bancs publics, au parc, mais plus chez lui. Ils étaient un symbole qui s’éloignait de leurs besoins réels, ils tapissaient les murs d’une cathédrale de savoir où personne n’entrait, ils s’éteignaient de jour en jour alors qu’il les avait toujours regardés comme les vitraux colorés d’un temple où il faisait bon vivre à certaines heures du jour ou de la nuit.

Ils s’habituaient à cette zone de conflits comme on se familiarise avec une maladie grave, dans l’attente du pire mais encore en deçà. Une nuit alors qu’il s’était relevé pour aller aux toilettes, il sentit une très légère odeur de brûlé dans le salon, quelque chose comme une cigarette qui se consume dans un cendrier. Sa femme ne fumait évidemment pas et il était très attentif à ne jamais laisser aucun mégot mal éteint avant d’aller se coucher.

Ce n’était rien, une simple cigarette mal éteinte dans le fond du cendrier marocain qu’elle lui avait rapporté d’un lointain voyage.

Quelques vagues fumerolles mais il n’y avait aucun danger.

Il s’inquiéta de ce signe. Il se demanda si ce n’était pas lui qui avait négligé d’écraser le mégot. Il repassa tous ses gestes en mémoire mais rien. Il n’y avait pas de trous dans ses souvenirs récents et ce ne pouvait être lui. Alors c’était elle mais le geste était si infime, si inconséquent, si apparemment naturel qu’il aurait vite déclenché des hostilités pour un peu de cendre tombée dans le fond d’un cendrier froid. Ca n’en valait pas la peine et il se résigna à regagner la chambre où elle dormait profondément.

Elle avait toujours sur les cheveux ce filet qui retenait sa belle chevelure enroulée et serrée comme un bonnet. Elle savait que cette habitude de célibataire sans grâce le hérissait et avait mis fin à tout désir entre eux.Ca et le reste. Les jalousies morbides, les instabilités quotidiennes, les agressions soudaines ne suffisaient pas. Il fallait que ce filet clôture la journée et entame la nuit où ils dormaient encore côte à côte. Elle n’envisageait pas autre chose. Ils étaient mari et femme et pas question de déroger à ce sacrement, même s’il était vide de toute intimité. La forme, rien que la forme, encore la forme, c’était ça son seul but, son unique obsession. Et la bibliothèque en faisait partie.

Un jour, elle ne se sentit pas bien, la poitrine, le cœur, elle ne savait pas. Trois mois plus tard, elle mourait d’un cancer généralisé.

Il régla tout, le rapatriement du corps dans son pays natal, la liquidation des dettes communes et il se retrouva seul.

Il avait arrêté de fumer et il se sentait vide. Vide mais apaisé.

Il s’installait souvent le soir dans son canapé, face aux fenêtres donnant dans un élégant arrondi sur les arbres de l’avenue et il rêvassait. Il pensait aux voyages qu’il avait faits, aux amours de sa vie, aux livres qui l’avaient changé, aux échecs qu’il tentait de dissimuler dans des sommeils vagues. Il pensait à cette femme, à son pays qu’il aimait, à sa fin soudaine et un papillon vint voleter devant lui, maladroitement. Il le regarda inquiet. D’où pouvait-il venir ? Une mite ? Il se leva, chercha l’antimite et vaporisa tellement l’appartement qu’il dut sortir et se promener une heure dehors dans l’allée avant de rentrer chez lui.

Plus rien le papillon avait disparu. Le lendemain, même scène mais ils étaient trois. Il en écrasa deux mais il renonça au troisième trop agile et alla se coucher.

Cette nuit, il ne dormit pas. Les papillons le préoccupaient. Peut-être venaient-ils de la cuisine, du garde-manger des conserves, pâtes riz et féculents divers ?

Il se leva et vida l’armoire, aspergea le tout de désinfectant, nettoya, examina l’ensemble mais rien, pas d’infection. Tout était normal…

Les soirées s’enchaînèrent sans événements précis si ce n’est que les papillons, chaque soir étaient plus nombreux. Il pouvait les écraser entre ses mains, d’un essuie bien torché, ils revenaient chaque soir. Il vaporisa encore le tout d’insecticide mais les papillons étaient là quelques jours plus tard. Il ne savait plus que faire.

Les papillons faisaient maintenant partie de son univers. Ils tournaient lentement dans la pénombre des soirées et son manège reprenait : il les chassait, les écrasait, allait se laver les mains, se rasseyait dans son canapé et reprenait sa lecture.
. Un matin, il eut besoin d’un livre précis qu’il ne trouvait pas. Il farfouilla un peu partout et se souvint vaguement d’un endroit où il devait se trouver…

Il dégagea quelques livres de la première rangée mais rien. Il attaqua la deuxième, et toujours rien, enfin, il tomba sur ce qu’il cherchait : un volume épais, ancien, au papier ivoire. Il était satisfait, heureux même, il avait, depuis des années reconstituer un ordre mental dans le chaos apparent des classements et à chaque fois qu’il trouvait l’ouvrage désiré, il jubilait. Ca avait été pendant des années comme une résistance passive face à l’acharnement de sa femme. Il saisit le livre et il découvrit sidéré des grappes de larves accrochées à la tranche. Il en sortit un deuxième, même chose, un troisième, un quatrième, …des larves partout.

Il nettoya toute la bibliothèque, tranche par tranche mais il n’en trouva plus par la suite. C’était, dans la chaleur des vieux livres protégés par la ligne des plus récents que les papillons avaient fait leur nid.

Pendant des années, des larves avaient dormi là et maintenant qu’il était enfin seul, les papillons surgissaient comme si le temps de prendre leur envol était enfin arrivé.

Ce soir-là, il s’assit comme d’habitude dans son canapé, regarda les branches des arbres onduler dans la pluie de la nuit et remarqua un papillon voltiger dans la lumière des lampes basses.
L’insecte tournait dans la lumière sans crainte, presque sous son nez. Il l’observa longuement et se remit à lire dans le crépitement de la pluie contre les vitres…

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Les bigotes ont changé de parures

Posté par traverse le 30 octobre 2011

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En clin d’œil à l’ami Brassens.

Les bigotes ont changé de parures,
elles vont d’un même pas
en fouettant le monde
de leur regard farouche,
et pas question de rire,
l’affaire est au plus grave,
on repasse les plats
sous les mêmes prétextes,
la même antienne rabat-joie,
et pas question de rire
devant ces ragots millénaires,
les bigotes sont là
et l’hiver n’est pas loin.

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Zéro mort dans Ne trouves-tu pas que le temps change?

Posté par traverse le 24 octobre 2011

Zéro mort dans Ne trouves-tu pas que le temps change? dans Textes pdf lecrisimoncover.pdf

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La voiture s’arrête au milieu de la nuit éclairée. Pas un chat. Un night shop encore ouvert. Le moteur tourne, la musique bourdonne, les phares sont allumés, tout va bien. Là, devant, des jeunes dans une super bagnole arrêtée au milieu de la rue.

Chaque fois qu’il croise ces voitures dans son quartier, il se demande toujours comment ils font. Pourquoi ils sont si jeunes avec des bagnoles si chères ? Il connaît en partie la réponse, lui, le prof, le médiocre.

La nuit est calme, la voiture prend ses aises, portières ouvertes. Il les entend parler fort. Un de leurs copains a surgi du mur, les rejoint et se penche à l’intérieur de l‘habitacle. Qu’est-ce qui s’échange là : herbe ou chocolat ? Fumette ou haschisch plus ou moins trafiqué ? Ils se tournent vers lui en le montrant du doigt. Ils reprennent leur conversation. Une heure du matin, il est invisible.

Patience, ils vont redémarrer, patience, ils vont partir et tout continuera comme avant, patience. Ca dure, ils rient, patience.

Il se dit, si je klaxonne je fais ce que je dois faire, c’est simple, je suis bloqué au milieu de la rue à trois cents mètres de chez moi par une voiture de luxe et je me sens bizarre, mal foutu, tout coincé, je bloque les sécurités, pourront pas entrer. Ca fait clac, trop fort, vont l’entendre, ils bougent, ils vont partir, c’est fini, pas à s’en faire, vont disparaître et je rentre chez moi.

Il veut allumer une cigarette, l’air de dire qu’il est à l’aise, non c’est de la provocation, ça va les énerver, rester calme, simplement attendre qu’ils partent, patience, merde. Ne pas fumer.

Il se dit je suis un con, j’ai pas passé autant de temps devant des milliers d’étudiants à défendre les règles élémentaires du dialogue et de la négociation pour me retrouver comme deux ronds de flan en face de petits merdeux qui me narguent. Tout est calme, trop calme, ils sont chez eux et lui, un étranger planté dans une bagnole muette, les mains moites. Si je leur fais signe gentiment, peut-être qu’ils vont comprendre que je ne suis pas agressif, que je veux simplement passer, je leur ferai un signe pouce en l’air, comme pour dire qu’ils sont sympas, que je ne leur en veux pas de bloquer le passage comme des salopards, je sourirai même négligemment, faut pas qu’ils voient que j’ai peur, peur de voir ces sales gueules en face, peur de n’avoir rien à répondre s’ils me provoquent, peur que les mots soient de la fiente de prof et qu’ils ne servent à rien encore une fois, peur de me défaire de peur.

Faut rester calme, faire marche arrière, oui, rebrousser chemin, c’est plus malin, fuir l’affrontement. Mais alors qu’est-ce que je suis, moi, pédagogue de mes deux ? Un médiocre, une lope, un raté du vocabulaire qui n’a rien dans le pantalon ? Qu’est-ce que je suis, moi, un looser planté sur la route par une bagnole de petits dealers ? Qu’est-ce que je vaux en pleine nuit, seul, sans le secours des aboyeurs démocrates qui la ferment dès qu’un péquenot leur marche sur les pieds dans la file au supermarché ? Ils détournent les yeux, s’excusent d’avoir des pieds, regardent en l’air, fouillent dans leur porte-monnaie, la ferment obligeamment en attendant que l’enfoiré ait daigné dégager. Puis ça cause et ça refait la file, ça paye et ça fait de la conversation et des exemples, du vécu héroïque pour des étudiants qui s’en fichent.

Non, ne pas abandonner le terrain, j’aurais dû foncer en les insultant, doigt en l’air ou les coincer puis les attraper par les couilles et leur en foutre une sur la tronche.
C’est ça que j’aurais dû faire, c’est ce que je voudrais faire maintenant, leur faire comprendre qu’il y a des lois, que la nuit, c’est pas le territoire des bandes, qu’ils feraient mieux de la faire discrète, que c’est pas comme ça qu’ils vont nous intimider, que ça fait deux bons siècles que ça a changé, que ce n’est plus la loi du plus fort, qu’il s’agit de jouer le jeu un minimum si on veut gagner la partie, que tout le blabla des assemblées citoyennes ça vaut pas un clou devant la mauvaise foi de tous ces gosses biberonnés à la connerie généralisée de la culture de l’abandon, que ça va mal finir un jour de nous prendre pour des veaux à qui on essaye de faire comprendre le contraire de ce qu’on voit tous les jours, que c’est marre ces tronches de travers qui ricanent en nous voyant trimer à répéter des lieux communs auxquels personne ne croit. Ils devraient se réjouir, ils ont presque réussi à nous faire douter de l’intérêt de quoi que ce soit d’autre que le cul formaté ou les bonheurs marchandisés.

C’est décidé, je fonce, tant pis pour la casse, j’ai pas l’intention de me laisser intimider plus longtemps, fallait pas qu’ils exagèrent, ça fait trop longtemps qu’ils sont là, si je bouge pas ils me marcheront sur le corps la prochaine fois. Dans le train la semaine dernière j’ai essayé de discuter, de calmer le jeu, ils agressaient la contrôleuse, pute, salope, pour qui tu nous prends pour nous contrôler, femme de merde en uniforme, dégage. La femme avait tenu bon, un mec s’était levé, personne n’avait bronché, il avait craché devant ses pieds, consciencieusement, pas de réaction, j’attendais que quelqu’un bouge, j’attendais comme tout le monde, ils osent frapper eux, ils ont pas peur des lunettes cassées, des nez et des lèvres éclatés, de la morve et des saloperies de la violence, nous on nous a appris à avoir peur de tout ce qui échappe au contrôle, à la loi, aux bonnes manières de ceux qui vivent entre eux en chipotant le détournement, l’esquive et le retrait. Finalement la femme avait pleuré, de honte je me suis levé, la voix mal placée, ils m’ont renvoyé d’une main sur ma banquette, silence total, connu, reconnu par chacun, silence de la défaite devant une moelle épinière plus droite que la nôtre.

Dans la boîte à gants, rien qui puisse servir à me défendre au cas où. Rien que du papier. Va falloir que je pense à revoir mon psy un de ces jours. J’avais arrêté après quelques mois, il me disait que des stupidités que je répétais à mes étudiants en simulant la découverte de situations intéressante du point de vue de la pédagogie. Eux, ils rigolaient doucement, ils savaient que la plupart des profs vont chez un psy, qu’ils tiennent pas longtemps sans, que leur discours, c’est du vent dès qu’un balèze se lève et vous dit d’aller vous faire foutre. Vous discutez, ils se marrent, on gagne plus en un week-end que toi avec ton salaire de prof, lui a lancé un gosse un jour, vous finissez par appeler la direction qui vous explique que ça ou rien, c’est du pareil au même, qu’après ils seront dans la rue, chez eux, que ce sera alors le tour des flics de se faire pisser à la raie, qu’ils feront ce qu’ils peuvent les flics, comme vous, qu’ils emmèneront les gosses aux juges qui feront ce qu’ils peuvent les juges, qu’il les enverront chez les éducateurs qui feront ce qu’ils peuvent les éducs et puis, après un ou deux tours gratuits, ce sera les tours payants et ça rentrera dans l’ordre un moment mais que ça ne sert à rien cette roue qui tourne à vide, que tout le monde est épuisé à courir les fantômes, qu’il vaudrait mieux être logique et tirer toute de suite les conclusions que tout le monde attend, que c’est de l’embrouille cette chasse au renard où chacun se refile le soin de tirer le coup de grâce, qu’il va falloir arrêter de parler comme eux ou de parloter comme en temps de paix, que c’est la guerre totale, une guerre civile, celle de ceux qui ont quelque chose à se mettre dans la tête, des rêves, des projets, de l’égoïsme, ; de l’avenir contre ceux qui n’ont rien, que les bavures vont pas arrêter, dans les deux sens, qu’on cogne un jour trop fort et c’est toute la ville qui est sonnée, et que chacun alors se retire un peu plus dans son camp, que les paroles sont fortes quand elles disent la vérité et mortifères quand elles produisent un brouillard tellement épais que plus personne s’y retrouve , que ça commence à bien faire ces enculades de mouches au nom du grand péril, de la peste ou de je ne sais quoi d’abominable que nous fabriquons chaque jour avec un consentement proche du contentement. Qu’ils le savent, là en face, dans la bagnole et qu’ils se marrent doucement.

Il se demande maintenant ce qu’il va faire. Reculer, avancer ? Il aimerait disparaître ou les voir se fondre doucement dans la nuit, l’air de rien, en riant, comme des jeunes sympas qui font une petite virée, que ce n’est pas très important tout ça, juste une voiture arrêtée au milieu de la route. Il ne sait pas pourquoi soudain il pense à Moby Dick, à la baleine blanche, qu’il chasse depuis si longtemps, lui le capitaine Achab des banlieues, parce que c’est un prof probablement, un prof qui se sert de toute sa sacrée culture pour trouver des explications, des raisons, des prétextes à s’interroger et à expliquer le monde, le bien et le mal, le vice et la vertu, la lutte ou la fuite. Il a tellement de mots et de citations en réserve qu’il peut faire face à toutes les situations, il est le partisan du zéro mort, de ce superbe zéro mort, de cet insupportable zéro mort qui fait que chacun se planque dans des débats inaudibles au nom de la transparence, où chacun s’interrompt au nom de la clarté, du dialogue, où chacun protège sa graisse et sa frilosité. Zéro mort.

C’est ça l’objectif, le résultat à atteindre. Zéro mort et si possible, rien que des blessures d’amour propre, les plus difficiles à effacer paraît-il mais ce sont des mots, des boutades, des phrases, des rodomontades d’obèse, de légers sinistres dans lesquels ils se complaisent en jouant les martyrs de la vérité. Il sait cela, ça le met mal à l’aise en permanence, il a un surmoi très développé, un sens de la justice et du droit que personne n’a jamais pris en défaut, il est puissant et ferme dans ses interventions mais il ne sait plus que faire en ce moment. Il va falloir qu’il décide, qu’il fasse un geste, un seul, quelque chose de signifiant, un harpon à lancer, rien qu’un et sa vie va changer, il en est sûr, il va l’atteindre cette putain de baleine vicieuse, il va la frapper à mort et lui, au risque d’être emporté par cette île de graisse maléfique, il sera sauvé, il s’aimera enfin.

Un coup de klaxon, rien qu’un, le plus discret possible, comme une invite, surtout pas un ordre, un appel au civisme, un dialogue de générations, un geste sympa lancé dans la nuit. Mais il ne sait comment faire. Il se sert si peu de son klaxon, il trouve cela barbare, violent, comme un ordre lancé à un chien, il ne parle pas cette langue-là. Alors il a peur et il attend.

Ceux d’en face le savent et ils prennent tout leur temps, c’est sûr. Il faut qu’il réagisse d’une façon ou d’une autre, il effleure le cœur de son volant en retenant son souffle, il retient ses doigts comme sur l’arête d’une gâchette sensible, si il les provoque, ils sortiront un flingue, c’est déjà arrivé ou ils mettront sa voiture en pièces, c’est fréquent, ou le feu, c’est facile et lui dedans comme un rat, la main tremblante. Il en a assez, c’est Alamo, il va falloir tenir jusqu’au bout, jusqu’à l’ultime sacrifice, zéro mort, c’est fini, la baleine revient le narguer, elle remonte, il le sait, il est face à elle, il cherche son harpon, il voit son petit œil méchant, la lumière du diable qui l’éclaire, son heure est venue, c’est son dernier combat enfin, plus de plastronnades, fini de gamberger, sa main se crispe sur l’arme décisive, il retient son souffle, vise cet œil de malheur et lance son trait au centre du mal.

Le klaxon explose, pire que tout, il hurle et c’est l’effroi qui le saisit, la baleine vient de plonger et il est seul maintenant face à l’océan glauque enroulé au filin, attendant quelques secondes encore d’être emporté vers les abysses.

Rien, pas un mouvement, pas un geste, rien. Silence de mort. La voiture n’a pas bougé, ils rient maintenant, il entend très nettement les jeunes rires qui le narguent, ses forces l’abandonnent, il ne pourra pas répéter son geste, les harpons manquent, c’est l’heure de payer l’addition, le moment de passer à la caisse. Soudain, un geste, un des leurs lui fait signe d’avancer, sans ambages il l’invite à passer à côté comme un flic qui vous dit circulez y a rien à voir et il tremble maintenant, il sue, il sent ses boyaux se relâcher, il appuie lentement sur l’accélérateur, la voiture frissonne, elle avance de quelques centimètres, en face personne ne bouge, ils se sont remis à discuter, quelques centimètres de plus et c’est un mètre de gagné, il se rapproche, il les frôle, eux ne lèvent pas la tête, il les dépasse lentement, il est passé, cette fois encore il s’en est sorti, il remonte la rue en retenant son souffle, peut-être qu’ils vont le poursuivre, il n’est pas bon à la course, toujours peur de l’affrontement, il est bientôt chez lui, il va se garer devant son immeuble et il pense, peut-être qu’ils vont me suivre, qu’ils saccageront ma voiture dès que je serai rentré chez moi, alors il roule encore un peu, il cherche un endroit sous les arbres de l’allée, un peu sombre, il arrête le moteur, respire lentement, sort, le signal de fermeture automatique le rassure, il marche un peu hagard vers son appartement, cette fois, ça s’est bien passé.

Editions Le Cri
ISBN 978-2-8710-6571-5
15,00 €

Les nouvelles de Daniel Simon sont comme des prises de température régulières du monde, des façons de se remettre sur pied alors que le ciel emporte le temps au-dessus de nos têtes. Nous restons parfois dans cette immobilité qui fait de notre fin une provisoire éternité : nous regardons la lumière tomber en nous et nous en diffusons, le temps d’une vie, quelques rayonnements.
Un jour, le temps change, le monde bascule dans un ordre où nous n’avons plus toute notre place. Nous nous battons un court instant pour dilater ce temps, puis c’est fini…

Daniel Simon, né en 1952 à Charleroi, est licencié en études théÉtrales. Il collabore régulièrement à plusieurs projets culturels au Portugal, Maroc, RDCongo, Roumanie, Tunisie… Depuis trente-cinq ans il anime des ateliers d’écriture. Il a notamment publié des poèmes (dont Épiphanies, Orange bleue éditions ; D’un pas léger, éditions Le Taillis Pré ; Dans le Parc, MEO, etc.), une vingtaine de pièces représentées ou publiées (Lansman), des nouvelles (L’échelle de Richer, éd. Luce Wilquin, 2006), des articles, des essais (Je vous écoute, Couleur livres, 2009 ; La Troisième séance, Couleur livres 2010). Il réalise par ailleurs des vidéos de création, dirige la revue Récits de Vie et la collection JE aux éditions Couleur livres.

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Quand vous serez dans l’abri du passé

Posté par traverse le 12 octobre 2011

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Quand vous serez dans l’abri du passé et à tourner en rond dans des temps usagers, que vous serez oblique et sans foi dans le fil du présent, que vous boirez des eaux aux fontaines électriques en lapant l’infini des légendes éteintes, les yeux tombés dans de vagues promesses, le cœur tout entraîné à l’immortelle fête, caressant le tissu des histoires conquérantes où vous allez ballant dans le vent qui les chasse, quand vous serez instruit de vos oublis nouveaux, avançant dans le bleu vertige des désirs abrupts, la tête enturbannée de colères soudaines et franchissant enfin le seuil d’une chambre fertile où le Nil coule à flots dans le sable du lit, vous roulerez alors dans le limon parfumé des amours passagères, les épaules défaites et le cœur suturé, quand vous serez.

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Quand vous serez à la lisière des villes

Posté par traverse le 2 octobre 2011

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Quand vous serez à la lisière des villes en longeant des haies de parchemins éteints, que vous prendrez le vent dans le creux de la main en lisant des tempêtes anciennes, que vous irez sous des auvents de paroles frémissantes vers des silences neufs, que vous douterez des chagrins qui se gonflent de joies, que les images se bousculeront en vous jusqu’au seuil des réveils, que le temps prendra quartier dans des sursauts nouveaux où vous allez écarquillé sur le fil des souvenirs, que la joie sera là où vous ne la connaissiez, des papillons furtifs, des chansons de l’Orient, des voyages immobiles, des femmes qui fredonnent aux enfants sans colère, quand vous serez une île, et la mer et la barque, une façon de rire et de dire la joie de se perdre le matin pour découvrir le soir, quand vous serez.

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Un peu de noir…

Posté par traverse le 23 septembre 2011

…pour sourire…
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J’ai trouvé mon équilibre, écrivit le pendu.

Vous n’avez pas maigri, mais rétréci.

Les crimes que je n’ai pas commis aujourd’hui, ne sont que des repentirs.

Pendant qu’il riait, on lui voyait un masque qu’il n’aurait jamais dû quitter.

Les enfants parfois ont des regards de vieux, c’est pour cette raison qu’ils grandissent.

Le Je est un jeu dans lequel on se dissout lentement.

La joie de reconnaître ce qu’on aime ensemble, et encore plus, ce qu’on déteste.

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Perdre, une autre façon de se mettre au monde

Posté par traverse le 3 septembre 2011

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Perdre, une autre façon de se mettre au monde.

Une image oubliée qui revient, un poème cherche le récit.

Sachez que…un conseil qui cherche le bourreau.

Et soudain, vous achevez un geste entrepris il y a longtemps : la forme fait du temps dispersé notre seule présence.

Elle a des pudeurs en se levant et marchant à l’écart de son corps trop présent.

Peut-être une façon de ne pas se soumettre, cette discrétion devant les évidences.

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Dans la pluie qui tombe sur les hommes rentrés tard

Posté par traverse le 29 août 2011

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Dans la pluie qui tombe sur les hommes rentrés tard, encore le faste et le fugace sur des torses fragiles, on court dans ces fines ampoules de mélancolie vers la lumière des vitrines et des buées intérieures, en hâte, tout occupés à semer des regrets dans les éclaboussures où nous allons comme des semeurs, courbés sur la nuit qui nous tient déjà à la gorge pour un temps.

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Apnées

Posté par traverse le 24 août 2011

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Apnée 1

Le goût du sel qui passe de la langue à l’arrière-palais, des présences soudain de petits-déjeuners avec la femme aimée, des œufs, du lard braisé, un café fort, le repos de la nuit et si la mer avait une saveur de fraise ?

Apnée 2

Le crépitement des lucioles d’oxygène monte vers la lumière à tire d’ailes, la bouche s’ouvre comme une carpe sur le vide, un vacarme s’échappe de moi, je descends.

Apnée 3

Silence et copeaux d’oxygène accrochés aux cheveux, des pieds remontent des frissons plus frais, descendre encore.

Apnée 4

Les oreilles battent jusqu’au bout des doigts, prendre ce temps comme une répétition légère du dernier sursaut.

Apnée 5

Attendre sous l’arche l’apaisement, un instant encore dans le poids disparu des instants, remonter.

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Les enfants chiants

Posté par traverse le 24 août 2011

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la cruauté a besoin du comique

Posté par traverse le 24 août 2011

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Si l’amour menait à quelque chose

Posté par traverse le 21 août 2011

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Si l’amour menait à quelque chose, il serait réservé aux aventuriers, mais non, profitons-en, à rien, à rien.

Et pourtant, elle n’est rien qu’aimée et cela suffit.

Ce besoin de pureté qui s’empare des imbéciles en vieillissant, n’importe quelle pureté !

Un ami sur le départ, que je ne reverrai plus : « Et maintenant qu’ils se débrouillent, je suis si fatigué d’avoir tant expliqué. »

Sous les eaux du barrage, un village en apnée.

Rire tant et tant et se surprendre à ne plus savoir de quoi on rit.

« Sois naturel » signifie pour beaucoup « n’aie pas peur » et « n’aie pas peur », « tremble silencieusement ».

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Les copines

Posté par traverse le 21 août 2011

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La mer monte. Marée furieuse même, moutons galopants et écume baveuse. Ostende vit dans la marmaille du mois d’août des semaines infinies. Bains de mer, crèmes glacées et gaufres en terrasses, jeux de plage et ennui flottant. C’est ça que j’aime, cet ennui familial qui me console souvent de ma furieuse solitude. Le soleil se couche, les appareils photos se réveillent, c’est bête et beau, ce sont les vacances.

Chez « Le Basque », nous mangeons des moules, à la provençale pour elle, au vin blanc pour moi. Les frites sont délicieuses, la mayonnaise parfaite si ce n’est que je m’ennuie. Manger des moules, c’est recommencer le même geste pour une fine bouchée sans surprise, c’est juteux et pesant, les moules. Alors je bois. Avec les moules, il faut boire. On s’ennuie moins.

Ma compagne est silencieuse, elle doit se dire que les moules…Mais c’est le plat de saison alors, on s’y est mis tous les deux. Je n’aime pas le silence des repas. Je n’aime pas cette façon de se concentrer sur l’essentiel. J’aime les parades, les diversions, les effets de style. J’aime ces allers-retours entre la parole et la bouchée, où on passe d’un bonheur à l’autre parce qu’ils se croisent et se mêlent parfois. Parce qu’ils font que de la conscience surgit dans le dedans et le dehors du corps. Ca me plaît ce va-et-vient entre les mots et la bouffe. Disons que ça me rassure de me sentir tantôt vide et tantôt plein dans le même mouvement. Et avec les moules, c’est difficile cet exercice. Très vite elles refroidissent et ça devient des trucs mous au fond d’une casserole qu’on va pêcher avec la fourchette. C’est triste cette pêche à table où le gibier est déjà froid.

Silence, le soleil se couche vraiment, tout est rose, les amoureux s’enlacent sur la digue, les vieux ralentissent et leurs chiens se mettent à tirer sur la laisse. La serveuse emporte nos assiettes pour les vider dans un grand seau à l’entrée. Les coquilles vides font penser à je ne sais plus quel artiste flamand. Je le lui demande, elle n’en sait rien et me dit que c’est idiot de faire de l’art avec des moules. Je lui réponds que ça se fait beaucoup chez nous, de l’art-moules… Elle rit, c’est facile, mais elle rit, par rapport aux moules qui n’en finissent pas. On les regarde maintenant avec circonspection, presque comme un placement. On se remet à parler, elle me raconte ses rêves, des voyages fantastiques sur une route blanche qui la mène au loin. Elle se sent bien, le rêve est soudain là, grâce aux moules, en tous cas, elle se sent légère. Elle le dit, je suis ému quand elle me dit ces choses-là. J’aime cette façon de dire qu’on est bien ou mal, heureux ou triste. Je hais les déprimés, les déconfits de la vie, les pleurnicheurs et les mous, les moules quoi ! Elle est belle dans la lumière de fin du jour, elle est toujours belle en fait. Et je l’aime. On forme un couple un peu fragile, dans le genre « cours après moi que je t’attrape », mais ça fait tellement longtemps que ça dure…On a dû trouver un système qui nous convienne sans avoir l’air de décider vraiment. C’est une façon de se jouer un air de liberté mais on sait bien que c’est que du jeu, cette façon de se prendre au mot, de se quitter pour quelques jours, de se croire désespéré et d’être à bout de nerfs. C’est qu’un jeu. Facile, mais à notre âge, c’est toujours ça. On redemande un carafon de vin. Elle me prend la main et l’embrasse tendrement. J’achève mes moules, je suis heureux.

Elles sont trois, elles entrent en force, seins en avant, cheveux flottants, des crinières plutôt, une métisse, une noire et une arabe. Du moins c’est ce qui me semble, à force d’en croiser dans mon quartier, je commence à les reconnaître. Elles sont magnifiques, grandes, colorées, talons hauts. Elles s’installent en vue de mer, rient, parlent fort une langue qu’elles manient avec souplesse. Elles se retrouvent après un stage ou quelque chose comme ça, elles travaillent dans le show ou la variété, des attachées de presse, des communicatrices,…Elles se racontent les derniers potins, baissent la voix pour les vraies confidences, se remettent à rire, commandent une bouteille de champagne, charrient le garçon et font cliqueter leurs bijoux.

J’hésite entre une crème brûlée ou une glace. Elle se décide pour une coupe de fruits frais et moi pour une dame blanche. On se regarde dans les yeux, on se prend les mains, la lumière du soir scintille dans les vitres, et les trois copines d’à côté se rabrouent en parlant de leurs dernières conquêtes. Il y en a même une qui semble avoir été la proie des trois…Elles se balancent en toussant de plaisir. La métisse se lève et se dirige vers les toilettes, je la regarde en coin disparaître dans l’escalier. Les deux autres téléphonent, soudain graves, professionnelles. Elles disent « oui » et « non » avec la même fermeté, tout est net dans le ton, tranchant même. Elles raccrochent quand la troisième les rejoint et commandent une autre bouteille, pour fêter ça. L’arabe enchaîne en parlant de boîtes de strip-tease à Paris, où elle doit rencontrer un client, un partenaire qui vient de Londres, ça l’ennuie, elle ne trouve pas ça correct, mais pas bégueule elle ajoute que c’est le bizness, les deux autres argumentent en disant que c’est culturel le strip-tease pour les français, elles tombent d’accord, c’est culturel et elles trinquent.

La noire me regarde de temps en temps et je croise son regard un instant plus lentement. Ma glace baigne dans le chocolat et j’hésite à porter la cuillère à ma bouche de peur de ressembler à un gosse qui apprend à manger proprement. Je suis coincé, je dois me décider, la glace fond, ma compagne va finir par lever les yeux de ses fruits magiques. Elle admire tout ce qui est frais, elle fait très attention à sa santé : des graines, des tisanes, des légumes et des fruits tous les jours, de la marche, tout quoi. C’est pas que je sois contre, mais à toujours penser à sa santé, ça renvoie à la maladie qui rôde et j’aime pas ça. Ca me déprime et j’aime pas les déprimés. Je m’énerve moi-même à tourner autour du moment fatal où j’apprendrai que je l’ai, que ça y est, que c’est mon tour, que je dois me préparer, etc…J’aime pas ça les obsédés de la santé, mais pour le reste elle est formidable, alors, je passe outre. Elle ne me regarde plus, ça y est, je plonge dans ma coupe et je m’enfourne deux cuillerées coup sur coup !

Le garçon leur apporte la deuxième bouteille, il semble les connaître, il sourit tant qu’il peut, à en être ridicule, il se redresse pour faire le beau, tourne autour de chacune pour les servir en bombant le torse comme un torero, elles aiment ça et pointent leurs doigts en révolver vers le pauvre qui commence à fatiguer. Trois tueuses sympathiques, sans illusion sur la faiblesse du mâle, prête à déguster sans trop se fatiguer, des copines en sortie avant le retour chez soi. Un temps où elles folâtrent dans les hautes herbes en scrutant l’horizon. Je sens que la noire me regarde à nouveau, je saisis les mains de ma belle et je les embrasse en riant.

Dehors, des animations débiles, de la musique de plage, des jeunes branchés, des trentenaires à poussettes, madame au téléphone et monsieur qui pousse le dernier. Du bonheur durable. Le soleil s’est noyé dans ses propres reflets, la mer est étale, le scintillement augmente, comme un vernis sur la beauté qui s’élève vers le ciel. Je demande l’addition, on nous offre un alcool, pour la maison. Un genièvre au citron. D’un trait, je vide mon verre et j’en demande un deuxième, ça me ragaillardit avant de passer devant la table des trois belles. Je promets que c’est le dernier. Le garçon me pousse l’addition sans un mot. A la table d’à côté, elles envoient des sms en riant. On se lève, on sort, il fait froid pour la saison, on se prend la main, j’ai encore un goût de citron sur la langue…

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L’air ne suffit plus

Posté par traverse le 18 août 2011

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L’air ne suffit plus, de l’eau, en lui, dedans, dehors, jusqu’à la gorge, la luette plongée, le voile embué, les papilles fondues et la boule qui gonfle, l’air enchevêtré à l’eau, tout enfourné de mots fondus dans la masse liquide qui le tient dans la matière, encombré de vestiges anciens, vagues retournées au centre du vocabulaire, marées rageuses au solstice des colère, l’air ne suffit plus, la bave parfois, écume, morve et liqueur sans pareil, salive sémantique en vernis sur la langue, fouillis du foutre éperdument perdu, fange somptueuse au profond des muqueuses, inondation vagale au tréfonds des endroits où la basse effusion des lymphes et du sang mort porte le pantelant au profond des abysses, l’air ne suffit pas, dans l’endroit où il fond au fronton des angoisses, le verbe alors suffit à reprendre le souffle abandonné un temps dans l’expire de la langue, la fonte se meut alors en un souple arrachement au poids des chairs lesté de tant d’anomalies, il y a du vent, des orages majeurs, des ondes de silence, de tout si resserré en lui que cette bulle froide enfermée dans le cœur se dissout un instant en manière de secousses, balayage du centre et ordalies d’organes, vestiges de la meute ancienne qui l’instaura un jour dans l’ordre des vivants, dans des coulis de lave au portes des eaux claires, l’air ne suffit plus, vaste plaine en lui remémorée dans le bref instant d’un inspire, l’eau a déjà mis son sceau aux entrées bronchiales, laissé tomber l’écluse entre les temps, fondu l’avant et le présent en un spasme léger, tout enrobé de choses qu’il fait bon d’oublier en cet endroit précieux des sommeils infinis, suspendu dans le flot des années passées, des vertus inutiles et des chagrins retors, la flèche enfin lancée dans un ciel azuré que rien ne peut atteindre, ni le fer, ni le froid, ni l’amertume grise des hommes sans destin, la voûte est indomptable en des secrets majeurs et nous allons pressés de nous vider d’ici, de nous remplir de là, d’empiéter sur notre ombre et l’air ne suffit pas, le vague espoir encore de renouer des forces continue son travail, le mitan est atteint, la ligne dépassée, la douane surpayée et dans un poumon vide le monde reprend place, sème des azalées, épanche son humeur par les baies entrouvertes d’une vie sans fin surprise dans ses ébats, l’air ne suffit pas, la parole vient toujours au secours des vivants qui se mêlent un jour de plonger tout au fond.

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Des textes comme des horloges

Posté par traverse le 15 août 2011

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Des textes comme des horloges, qui sonnent à l’heure dite.

Prendre possession, un germe d’avant fièvre.

Parfois je pleure la fin des larmes qui arrive trop tôt.

Tant de promenades reportées et tombées dans le poème.

Dans une chambre lointaine, elle prépare le lit, au cas où, dans le meilleur des cas.

La méchanceté a besoin du comique pour se donner à tous.

Un ciel de nuit et l’oreille grandit.

Se mettre à l’ouvrage, enfin s’abandonner à ce qui n’est qu’une humeur devant la matière.

Faire la cuisine, peler, cuire et servir avant l’étreinte.

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Le cinéma m’a donné le goût de la fin

Posté par traverse le 15 août 2011

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Le cinéma m’a donné le goût de la fin, la littérature, celui des enchaînements.

Soleil ce matin et l’automne qui fouille dans les arbres du bout des doigts.

Une trouvaille: un mot, une phrase, jamais une idée.

Elle entre dans la lumière et nous laisse affligés de tant de civilité.

Détourner les yeux de la Méduse, en nous.

Il promène son chien, les gants à la main, toujours prêt !

Elle était expulsée de l’amour depuis sa maternité.

Revenir au début : se débrouiller avec la clarté de la fin.

Ecrire, une façon de ne pas regretter.

La trace d’une femme aimée en filigrane…

Femmes lisant le menu d’un restaurant, scrutent sévères et muettes.

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Un vieil homme tient la main de la petite

Posté par traverse le 14 août 2011

Un vieil homme tient la main de la petite dans Textes dscn6671web

Un vieil homme tient la main de la petite, elle grandit à chaque pas.

Elle dit pour les vagues : le ciel de la mer.

Lenteur des vieux à laquelle je m’accorde avec joie et impatience.

Certaines voix me désespèrent et je dois m’en emplir.

Un corps général : elle se brûle la main, je retire la mienne.

De grand cœur souvent signifie avec honte.

La fatigue est une façon de vivre resserré.

S’encolérer de ne pouvoir être ici sans remords.

La nuit commence par un renoncement, le jour par des promesses.

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Passer à travers en laissant une trace

Posté par traverse le 11 août 2011

Passer à travers en laissant une trace dans Textes image015web

Passer à travers en laissant une trace, le poème.

Des bouleaux sur la crête, souvent une ombre de guerre ancienne.

Des vieillards avec qui je parlais, étonnés encore de l’âge qu’on leur cache.

Croiser un regard dans la piscine et sourire entre deux eaux.

La pluie dehors qui lie en moi les saisons.

La terre natale est toujours occupée, laisser la place en regardant le ciel.

L’autre ce n’est pas lui, de la parole plus que du corps.

Le récit tourne autour d’un endroit vide impossible à prononcer.

Une femme dans le tram qui coupe son téléphone comme on refait un lit.

Un beau visage entraperçu, le seuil d’une maison amie.

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Que tombent les pétales sur des cendres anciennes

Posté par traverse le 10 août 2011

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Que tombent les pétales sur des cendres anciennes et les flammes redoublent.

Ils se croisent en baissant les yeux comme dans un long sommeil intermittent.

Ils s’éloignent et ils s’aiment, chacun chez soi.

Des étourneaux dispersés dans les arbres, des ampoules éteintes avant la joie.

Prendre le large et revenir au livre après l’exil du jour.

La matière de l’apparence dans la forge du silence, écrire.

Aller et venir à mon gré dans le temps, juste avant le réveil.

C’est en faisant des fautes que je me sens le plus présent.

Une eau qui coule et de l’enfance me piquète les pieds.

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L’esprit du temps, une façon de dire le commun

Posté par traverse le 3 août 2011

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L’esprit du temps, une façon de dire le commun ; l’esprit de l’espace, une manière de ne rien distinguer.

A la hauteur des yeux, les hommes. A hauteur de mains, leur impuissance souvent.

A force d’être clair, la grâce disparaît.

Un ciel mouillé, des pneus qui écrasent la pluie, la lampe allumée au coeur du jour et le temps reprend forme.

Le monde rétrécit dans des images d’enfants gâtés.

Douleur : mot usé par les fausses joies.

Trop habile il ne convainc que les menteurs.

Aimer ne rien comprendre aux hommes par compassion.

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Connaître des amitiés féroces

Posté par traverse le 2 août 2011

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Connaître des amitiés féroces qui ne se font que pour se dénouer.

La femme criait si fort dans la cabine téléphonique que toute bonté est morte alentour.

Maquillages et coquetterie sont les marges d’un texte à peine traduit.

Cette façon rude qu’il a de dire oui ou non, un homme déjà sur le départ.

Dans la solitude, voir toutes choses reliées et dans la société perdre les hommes de vue.

Un moineau – un dieu ancien échappé du chaos- se pose et me regarde sans vie, comme les dieux.

Elle est belle et marche sur ses talons : un héron égaré.

Ciel vide, ciel plein et nous avons le langage pour réparer : nuages.

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Parler: se mettre hors de soi

Posté par traverse le 1 août 2011

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Parler: se mettre hors de soi, écrire: retrouver sa place.

Regarder les femmes passer, tête haute, tête basse, certaines de notre bref amour.

Du jardin montent des parfums de jasmin et je tombe lentement dans un vaste chagrin.

En soi des murmures, des bruissements, des phrases soudaines. Il faut clouer tout ça dans la matière de l’écriture.

Bien sûr, la fin, le froid et le muet mais aussi la fine ouïe de l’animal.

Paraître plus vieux, paraître plus jeune: une façon d’habiter ailleurs.

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Dans le soleil des guêpes

Posté par traverse le 31 juillet 2011

Spinoza dit pour « je »: « notre corps », et pour « le monde », le « corps extérieur ».

Peter Handke, A ma fenêtre le matin.

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Dans le soleil des guêpes, la vie s’embrouille.

Elle dit d’une enfant qui vient d’écrire un poème: l’élevage est terminé.

Tous ces récits qui viennent et s’écrivent parfaitement loin de la table. A peine assis qu’ils redeviennent étranges et obscurs.

Lire en baissant la tête, la relever pour prendre son souffle et replonger.

Bien sûr écrire est une question d’enfance mais ne pas écrire?

Oui, la mémoire, une façon de se perdre dans le dehors de la vie, aller sur les bords.

Lire les journaux et savoir qu’il n’y a pas de raison.

La lenteur que je prends pour une forme de digestion du temps.

Ecrire: guetter quelqu’un et ne rien pardonner.

Un été gris pour traverser son propre coeur.

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Tranquille, vivre une époque tranquille

Posté par traverse le 27 juillet 2011

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Tranquille, vivre une époque tranquille, donc ébranlable, sans appui ni continuité, un temps mou où l’Histoire mord soudain à pleines dents.

Réussir à s’endormir chaque soir dans le monde, avec au loin l’alarme d’une voiture que personne ne vient arrêter et se réveiller avec le monde, chaque matin dans l’alarme suivante.

Une femme farouche, un homme farouche, un enfant farouche, un animal farouche, pour une fois nous sommes qualifiés de la même et juste façon. Rien ne fait la différence en nous avant la confiance et la perte.

Parfois être d’accord avec sa mort, ne lui attribuer que peu de poids, alors pourquoi n’acceptes-tu pour toujours cette parfaite alliance?

Où suis-je? Loin d’ici si souvent. Où suis-je alors? Dans le souvenir d’ici…

Dans la lecture, seul se construit le souvenir du passé.

Des enfants bardés de la misère de leurs parents: téléphones, bijoux, vêtements, langages tous inutiles.

Ne pas se prendre la tête, comme une antienne désespérée qui affleure au lâcher prise et dit un temps de sphincters.

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Un enfant s’arrête et regarde

Posté par traverse le 19 juillet 2011

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CC Belem, Lisboa, 2010

Un enfant s’arrête et regarde ce que nous n’avons pas été.

La fête perpétuelle du temps comme une station avant la fin.

La joie d’être ici, c’est d’apercevoir encore le chemin.

Un soliloque ininterrompu depuis l’enfance: le goût de la répétition.

Le récit, comme la marche, oblige à se distraire de l’enchantement.

L’âge nous fendille comme le gel.

Une femme m’écrit sa fuite solennelle du monde qu’elle prend pour de l’amour.

L’inachèvement est une forme de rature infinie dans un temps impuissant.

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L’avion dans le ciel

Posté par traverse le 18 juillet 2011

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CC Belem, Lisboa, 2011

L’avion dans le ciel, un train dans le paysage: des piqûres dans la constance des lieux. Un homme dans la ville et le minéral se réchauffe.

Ces années-ci, ces années-là, deux façons de conjurer l’absence du temps commun.

Elle s’arrête au milieu de la rue pour téléphoner, une façon d’héroïsme des aveugles.

Vouloir être au seuil de chaque étape et franchir toutes les portes sans ménagement.

La fatigue est une sourdine qui efface lentement ce qui frappe et sonne.

Ce qui étonne et touche plus que la parole c’est son cours interdit qui va rompre la digue sur laquelle nous sommes.

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L’exhibition des sentiments

Posté par traverse le 15 juillet 2011

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Installation CC Belem, Lisboa, 2010

L’exhibition des sentiments sent le parfum fané sur un sublime éteint.

Ecrire, c’est peut-être soustraire du silence au désordre et le loger dans le texte, comme on abrite un pauvre d’esprit dans une chambre discrète.

Aimer celle qui n’est plus ce qu’elle fut avant que d’être aimée.

Quelques mots font partie de la matière, et non du langage. Aimer, partir, mourir sont de cette matière.

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Un sentiment d’époque

Posté par traverse le 14 juillet 2011

Un sentiment d'époque dans Textes ccbelemweb
Installation Centre culturel Belem, Lisboa, 2010

Un sentiment d’époque, fugace, la haine que l’on chasse hors de soi, honteux de s’être laisser surprendre. On expire, le mal semble se fondre dans l’air commun puis, d’un coup on inspire et on se sent mieux.

Retour chez soi, la nuit, tout envahi des pestilences dans lesquelles on vient d’aller, on se repose les poumons fatigués, on regarde le temps dans le vent sur les arbres, on se dit aussi que le jour est une fontaine d’inachèvements.

Temps sans illusions et perclus de mirages dans lequel les enfants apprennent à mentir avec légèreté.

Hier, j’ai regardé une femme longuement et elle s’est ébruitée dans un vol d’étourneaux.

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Elle passe dans la rue

Posté par traverse le 27 juin 2011

Elle passe dans la rue, son petit garçon à la main, le ciel est bas et des poussières piquent les yeux, les murs sont noirs du temps des pauvres et le tram cahote au loin en stridulant, elle passe en pensant à son amour défait, aux livres qu’elle aimait, aux vaisselles à faire et son enfant accorde son pas à ses talons qui sonnent, le tram est bientôt là, la journée se détend dans des secousses lentes, une main se saisit du camé d’une mère lointaine, un bijou qu’elle porte pour traverser le jour et atteindre la nuit dans le brouillard des hommes, une main forte et jeune l’arrache d’un seul coup, une marque légère lui découpe la gorge dans les rires qui dévalent, elle lâche son enfant un instant et vite reprend son pas dans des frissons salés.

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La petite fille tend la main à sa mère

Posté par traverse le 29 mai 2011

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La petite fille tend la main à sa mère qui téléphone en ignorant le monde, un homme marche lentement appuyé sur une canne et regarde la rue où filent des voitures assourdissantes de musiques, un cycliste roule au vent, son bébé arrimé au siège devant lui, des enfants crachent par terre, visages fermés et dos voûtés, une femme porte des sacs comme un âne ne le peut, des êtres se croisent les yeux baissés en pressant le pas, un chien tire une vielle dame vers le parc au bout d’une laisse infinie, des voitures en double file se moquent du temps commun, des jeunes filles si belles passent et repassent devant la friterie, des hommes sifflent, elles cambrent les reins, un jeune homme jette une cannette au pied d’une poubelle pleine, des femmes emmitouflées de noir marchent lourdement sur des ombres, un éclat de lumière frappe les façades et tout redevient rose, enfin.

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Le vent est tombé

Posté par traverse le 28 mai 2011

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Le vent est tombé. Des gens rient aux terrasses. Des enfants passent en tenant leurs parents par la main. Le soir est encore loin. Des désirs flottent dans les conversations qui ralentissent. Un verre se brise sur le sol. Les serveurs s’affairent dans le silence. Une femme pleure en pressant son mouchoir sur la bouche. Quelqu’un se lève et se rassied aussitôt en regardant les éclats près de sa chaussure. Un chien gémit sous la table. Une voiture passe en crissant. Un avion s’éloigne dans un ronronnement ondulé. Quelques gouttes de pluie sur les nappes de papier. Les nuages se dissipent. Le bruissement reprend et les serveurs balaient entre les jambes des clients. La femme téléphone en s’essuyant les yeux. J’ouvre mon livre, la guerre est finie.

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Quand vous serez à compter les nuages

Posté par traverse le 29 avril 2011

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Quand vous serez à compter les nuages dans le souvenir du bleu ligné en vous et ne donnerez plus d’importance au fil de ces masses floconneuses qui vous tient debout, quand vous serez dans le lent effacement des traces éblouies, dans l’empilement des choses qui vous cognent au détour des secousses de l’âme, quand vous serez privés d’un avenir qui se déplie soudain dans la rosée ou l’herbe couchée du soir, quand vous aurez dans le regard le filet des sursauts qui vous tiennent debout, quand vous serez abruti de compassions comme des séquences fades, quand vous aurez des mains qui se ferment et se couvrent de moiteurs que vous preniez pour le désir des femmes et qui sont aujourd’hui des deuils à déplier lentement, quand vous serez efflanqué, perdu et en retard toujours sur le jour qui rattrape vos saccages, vos tombes et les fleurs qui y fanent, quand vous serez ignoré de votre propre clan, quand vous serez attentif à la soudaine obscurité dont vous êtes gardien, vous irez dans des landes fragiles, des babils incongrus, des fastes relégués, vous ouvrirez le jour dans de belles conséquences qui n’intéressent que vous et les ombres du bas.

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Lectures/musique/arts plastiques et deux anniversaires!

Posté par traverse le 28 avril 2011

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Español abajo / Nederlands beneden
(Invitation. Merci d’inviter vos amis)

Fleur de faille / Flor de falla / De Steenbreek in bloei

vous invite à fêter tous les printemps du monde autour de deux gâteaux d’anniversaire
le vendredi 6 mai 2011 à partir de 19h à l’excellent café-restaurant l’Imagin’Air, 6 place Fernand Cocq (Ixelles)*

Entrée gratuite. Dès 19h: accueil. Restauration possible. Début du programme dès 20h.

> Exposition et autoprésentation de KOOR, peintre-graffiteur issu du Bronx.

> Présentation et lecture d’extraits (proses, poèmes) de « Decidme cómo es un
árbol » (Dites-moi à quoi ressemble un arbre), le livre de « mémoires de prison et
de vie » de Marcos Ana, résistant antifranquiste emprisonné à 19 ans et libéré à
42 ans, dont l’histoire inspirera un film en préparation de Pedro Almodovar.
Audition d’un témoignage de l’auteur. Chansons et guitare par Silvia
Fernández. Langues (selon les cas): ES, FR, NL.

> Musique: Léon Laffut (piano), Coco Kunik (clarinette),…

> Lecture par Serge Meurant de ses poèmes (FR).

> Lecture par Daniel Simon d’extraits de son dernier ouvrage, « Dans le parc »
(proses, FR) et commentaires de l’auteur.

> Lecture (en FR) du 1er chapitre de « Myriam del carbón al fuego » (Myriam du charbon au feu), roman à paraître de Ana Fernández.
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> De 22h à 23h30: fiesta y peña pour un double anniversaire au sein de notre
équipe (Ana Fernandez et Pierre Ergo). Lectures de poèmes: Ana Fernández
(ES), Pierre Ergo (FR), Serge Noël (présentation de son recueil « La passe
magique », FR). Improvisations musicales: Léon Laffut, Coco Kunik,
Benjamin Pottel (guitare, qui accompagnera aussi plusieurs lectures au cours de la
soirée), – etc.

* Soirée privée sur invitation. Pour se rendre à l’Imagin’Air: bus 54 et 71 (Place Fernand Cocq),
métro ou bus 34, 64 et 80 (Porte de Namur).

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Costa Nova

Posté par traverse le 27 avril 2011

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Autrefois, je me postais aux fenêtres et je regardais vivre mes voisins aux yeux sombres et cruels. Ils se précipitaient, leurs besognes arrachées au rituel silencieux des journées sans espoir, aux meilleures places des balcons et des portes cochères. Ils vieillissaient dans l’aigre et le vacarme.

J’avais dix ans et je les craignais comme des tueurs. J’étais un enfant sans pardon, harponné par la révolte. Eux, vivaient sans conditions, convaincus au cinquième verre de bière que « ça ne nous rendrait pas le Congo! ».

La plupart sont morts, la bière continue de couler et le Congo s’éloigne.

Le monde n’a pas cessé de tanguer, de roule-bouler, de se crapahuter d’une épouvante à l’autre. Il me fallait prendre le large: partir pour ne pas cesser de revenir.

Parmi les lieux innombrables où je pouvais me perdre, c’est-à-dire me soustraire au jeu des reconnaissances et des conciliabules, c’est une langue de terre entre lagune et océan que j’ai choisie. Des pêcheurs de morue ancrent là avant les houles atlantiques qu’ils franchiront jusqu’à Terre-Neuve.

Les bateaux aux flancs rouillés mouillent dans des eaux noires que la lumière du matin allume comme du marbre gras. Des mouettes plongent dans cette mer métallique et crèvent la surface dans une syncope de déglutitions, de déchirements humides et de gifles. La brume tombe comme on ouvre un parapluie et la ligne des salines apparaît dans un alignement de morse où les longues s’effacent dans des brèves de plus en plus brèves.

Costa-Nova se dissoud lentement dans le brouillard du soir et mettra jusqu’à l’avant-midi pour émerger de cette parenthèse où le monde peut, pour un très court moment, être tenu à l’écart. Dans la maison, l’humidité salée gonfle les pages des livres déposés en désordre sur l’étagère. Les façades dressent leurs planches colorées jusqu’au toit. En bandes blanches et rouges, ou vertes, bleues ou jaunes, les petites maisons à balcon rappellent qu’il y a du Grand Nord qui est descendu jusqu’ici dans, dans les cales et les rêves éveillés des marins portugais. Au loin, dans des effluves qui effacent tous les détails de la réalité, des femmes avancent bizarrement cassées, les bras enfoncés dans la vase, allant de gauche à droite, ramenant des poignées de coquillages qu’elles jettent dans un panier sans relever la tête, palpant à nouveau les fonds glauques, sans interruption jusqu’à l’heure de la marée montante.

Là, dans ces longs intervalles de silence et de vent, je pense à la Belgique, à ses lagunes, à ses labyrinthes, à ses ciels imparables de beauté aussi alors que la lumière tombe lentement, de plus en plus lentement, jusqu’à extinction.

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Là-bas il y a de la lumière

Posté par traverse le 29 mars 2011

Là-bas il y a de la lumière, dit-il.
Et il n’aimait rien tant
que les ombres qui flambaient en lui.

Là-bas il y a de la lumière,
du lait pour ma bouche,
du vin,
des champs, des greniers, des caves,
des nuages en chemises de soie,
des lumières où flottent des ailes bleues,
des rivières de mousse,
des lacs sur des montagnes froides,
de la foudre pour mon toit,
des odeurs sous les ongles,
là-bas, il y a de la lumière,
et c’est ici que je demeure
dans des lieux estompés
à l’abri des tempêtes et des anges perdus,
le nez contre la vitre
où mon haleine froide
fait peu à peu rideau
entre là
et ici.

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« Allô maman »

Posté par traverse le 21 février 2011

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Mamy n’allait pas bien.
Ses jambes. Sa hanche Et sa tête quelques fois. Mais surtout les jambes.
Ca faisait un an qu’elle ne sortait que rarement. Le temps, la pluie, le soleil, le vent, tout était bon pour qu’elle reste chez elle. A force, ça a empiré. Elle n’est plus sortie. Alors on allait chez elle et on faisait le tour de l’appartement pendant des heures. On lui tenait le bras, elle s’appuyait sur sa canne et on tournait en rond. On parlait du temps qu’il faisait, des changements dans le quartier, des nouveaux qui s’installaient, du boucher qui avait fermé, de la boutique « Allô maman » qui attirait tous les immigrés du coin et qui parlaient si fort en téléphonant au pays que ça s’entendait jusque sur le seuil. Ca l’amusait, ces histoires de nouvelles patries qui se croisaient d’un trottoir à l’autre. Elle les voyait de la fenêtre du salon et en été elle les entendait, surtout les enfants. Elle aimait ça, tout ce charivari qui lui donnait l’impression d’avoir déménagé, d’être ailleurs sans avoir bougé d’un pouce. Ca l’amusait ces cabrioles de langues qui montaient jusqu’à elle et qui faisaient une belle cohue, disait-elle. Toutes les langues sont belles quand on ne les comprend pas, c’est juste de la musique, ajoutait-t-elle en servant son café trop cuit.…

Mamy s’est remise en forme, comme ça à tourner en rond mais le monde à l’extérieur ne l’intéressait plus vraiment, il changeait trop vite, les risques d’agressions et de chutes,…Tout était bon pour qu’elle reste chez elle. Elle s’est mise à bricoler des choses. Des choses qu’elle ne nous disait pas. Elle remontait ses souvenirs, disait-elle et elle remontait de loin, même du temps où elle était au Parti. Elle s’est mise à en parler quand on insistait. Le Parti, c’était toute sa vie, elle avait tout donné au Parti, sa jeunesse, sa force, ses croyances, ses illusions, même son amour. Le Parti remplaçait tout. Il était sa raison de vivre et sa famille, c’est là qu’elle puisait sa force pour se battre. Elle militait, la Guerre froide, la Hongrie, Cuba, tout y est passé, elle se levait aux aurores et partait pour le Parti, son casse-croûte dans son sac en bandoulière, un béret sur la tête qui retenait ses belles boucles blondes. C’était une gravure de mode de la Révolution ! Elle frimait un peu alors, probablement parce qu’elle aimait le cinéma et qu’elle savait imiter, l’air de rien les actrices qui la fascinaient. C’était un temps où les films et nos rêves étaient intimement liés, ma belle époque, disait-elle…

Elle a demandé un ordinateur et un branchement Internet pour son anniversaire. On s’est cotisés et on lui a installé un grand écran au milieu du salon. Elle a liquidé une partie des statuettes kitchs qui trônaient sur les meubles pour faire de la place. On voyait que ça l’excitait vraiment cette histoire d’informatique. Puis, il a fallu lui expliquer. Elle a vite compris et elle y passait des heures. Un jour, elle a décidé de se mettre en réseau, Facebook ou Tweeter, je ne sais pas encore, les deux, puisque j’ai le temps, disait-elle en riant. Et nous on continuait à tourner en rond dans l’appartement avec elle au bras pour qu’elle ne s’ankylose pas vu qu’elle passait tout son temps à surfer et à poster des articles de plus en plus virulents. Comme au temps de ma jeunesse au Parti, ça me donne des ailes cet Internet, je me demande ce que ça aurait donné si on avait eu ça de notre temps, le Grand soir serait peut-être arrivé…On n’en finissait pas de se réunir, de préparer des réunions et d’évaluer les mêmes réunions la semaine d’après. Ca tournait en rond, à force. Et le Mur est tombé, et personne n’avait rien prévu, sauf eux, de l’autre côté, ils savaient que ça ne tiendrait pas éternellement, mais nous, ça nous arrangeait d’une certaine façon, ça nous donnait un os à ronger et on l’a rongé jusqu’à la moelle.

On se relayait pour la faire tourner, Mamy et elle nous racontait ses histoires de réseaux pendant la promenade, elle devenait de plus en plus informée de l’état du monde. La télévisons n’avait plus grande importance à ses yeux, rien que des histoires pour nunuches, jeunes et vieux, des histoires pour enfants débiles, m’étonne pas qu’ils s’endorment en regardant, et qu’ils recommencent le lendemain, ad libitum. Avec Internet, t’es assisse droit, tu t’actives, tu choisis, tu tries, tu te balades et soudain, tu trouves et tu creuses. C’est ça qu’elle nous disait Mamy pendant la balade appartementale, qu’elle ajoutait en nous pinçant l’avant-bras en riant. Jamais on ne l’avait vue de si bonne humeur, comme si elle rajeunissait de semaine en semaine. Et elle nourrissait son ancienne colère de nouvelles solidarités. Elle signait toutes les pétitions qui lui passaient par l’écran et elle harcelait son réseau en envoyant encore et encore ces infinies listes, celle des femmes battues, des enfants perdus, de la chasse à la baleine, des abeilles en débâcle, des lapidations, tout était égal, une liste, une signature, un clic. Bref, elle devenait folle. Elle passait par la phase de l’empathie universelle et des compassions hebdomadaires propres au réseau. Elle commençait à nous ennuyer, on lui demandait de se calmer pendant mais elle s’enflammait, elle nous parlait de démocratie mondiale, de nouvelles luttes planétaires, de combats difficiles à venir, elle s’indignait et elle nous fatiguait.

Un jour, on l’a trouvée allongée sur le sol, elle était tombée devant son écran allumé. On l’a ranimée, appelé le médecin qui l’a auscultée et n’a rien décelé qu’une fatigue profonde. Il lui a prescrit des nuits plus calmes, des vitamines, une prise de sang et des soirées moins…connectées. Elle l’a écouté sans rien dire, mais on savait qu’elle n’en ferait qu’à sa tête. Elle se battait pour la cause et pas question de céder devant un coup de mou, nous dit-elle peu après.

Les semaines suivantes, Mamy était plus silencieuse, elle filait, à la fin de la promenade tapoter son clavier, elle sauvait des données, elle enregistrait des listes de noms, elle envoyait à tour de bras, mais en silence. Elle était dans la phase complot. Ca a été la plus difficile à vivre. Une sorte d’autisme qui nous renvoyait à la trivialité du réel. Elle, elle savait, elle avait ses sources, elle nous confondrait, c’était sûr, un jour ou l’autre, nous qui étions dans le monde des choses et le poids du monde. Elle s’emportait parfois, elle devenait irritable, elle savait et nous, nous étions de pauvres bougres empêtrés d’illusions. Ce que nous vivions n’était que la face visible de ce qu’elle observait pour mieux changer le monde. Elle était en guerre et nous nous croyions en paix. On s’est un peu fâchés mais elle s’est vite reprise et nous a préparé des tartes qui rachetaient sa lutte mondiale.

Un matin, elle a disparu. On s’est tout de suite inquiété, les voisins, les hôpitaux, la police, rien. Personne ne savait rien. Disparue.

Les semaines ont passé et un soir on a été contactés : des mails, des messages sur les réseaux sociaux, elle réapparaissait, elle nous demandait pardon pour les inquiétudes, les frayeurs mais il fallait qu’elle parte, des camarades l’avaient emmenée pour participer à un grand rassemblement sur le vieillissement et ses conséquences sur les tâches, rôles et fonctions des vieux dans les sociétés post-industrielles. Elle avait accepté car elle avait élue par vote Internet et il fallait qu’elle assume cette nouvelle mission.

Elle nous tiendrait au courant par MSN et on ne devait pas s’inquiéter. Tout roulait parfaitement, comme elle disait. Elle est rentrée un vendredi soir, elle nous a téléphoné, on est allés la chercher à l’aéroport, elle était radieuse, en fauteuil roulant mais radieuse !

Elle nous a raconté ses rencontres, les congrès, les colloques sur le Net et la Réunion finale qui était comme la cerise sur le gâteau. On n’était pas obligés de se réunir vraiment, disait-elle, mais c’était plus agréable pour se donner un coup d’énergie pour la suite.

Deux mois plus tard une série de lois ont été votées un peu partout pour modifier le cadre des relations familiales et des liens intergénérationnels. Elle ouvrait son ordinateur quand on venait pour la promenade et elle nous racontait comment le monde allait changer, que ses fichues jambes n’étaient plus un problème et qu’on n’avait qu’à bien se tenir. Ca ne faisait que commencer.

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